L’appel de Mohamed Smaïn et Bouchachi à la société civile

Pour la défense des droits de l’homme en Algérie

L’appel de Mohamed Smaïn et Bouchachi à la société civile

El Watan, 8 août 2012

Les droits de l’homme sont-ils respectés en Algérie ? La réponse ne se fait pas attendre et ne souffre d’aucune ambiguïté.

Elle a été d’ailleurs largement exposée, lundi soir, au siège du Front des forces socialistes, par les défenseurs des droits de l’homme que sont Mohamed Smaïn et Mostefa Bouchachi. Mohamed Smaïn, qui a consacré de longues années de sa vie à militer pour les libertés et le respect de la dignité des Algériens, affirme que son combat de plusieurs années s’est toujours heurté à l’absence de volonté du pouvoir de respecter et faire respecter les droits humains, ainsi qu’à une sorte de défaitisme de la part de la société face aux atteintes et aux violations des droits.

«Un Etat de droit se construit avec l’apport de la société et de l’Etat. Comment pouvoir lutter quand il y a une démission d’un côté et un acharnement de l’autre côté pour réprimer toute expression libre et demande de justice ?», s’interroge Mohamed Smaïn, qui vient d’être libéré de prison pour avoir dénoncé des crimes odieux commis à Relizane durant la décennie 1990 au nom de la lutte antiterroriste. «En 50 années d’indépendance, le pouvoir n’a jamais respecté les droits des Algériens à une vie digne. Et tant que ce système existe avec les mêmes responsables à sa tête, on ne pourra jamais dire que les Algériens jouissent du respect des droits de l’homme», note-t-il.
M. Smaïn, ancien moudjahid et vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), rappelle que les Algériens ont subi la même terreur que celle vécue par les Syriens aujourd’hui.

«Si seulement les gens savaient ce qu’il y a eu durant ces années noires ! Cela dépasse l’entendement. A Ramka, il y a eu pas moins de 1300 victimes en deux nuits et les auteurs et commanditaires de ces massacres ne sont pas inquiétés. Comment peut-on parler de droits de l’homme dans un pays où la justice ne fait pas son travail, qui est de rendre justice ?», indique-t-il avant d’évoquer l’affaire Nezzar, poursuivi par la justice suisse pour crimes de guerre. «Il était le plus haut responsable militaire, il est donc responsable de ce qui s’est passé, notamment dans les cas de dépassements commis par les services de sécurité» dit-il en notant que tant que la vérité ne sera pas connue, il n’y aura pas d’extinction des poursuites contre tous les responsables du drame et de la terreur subis par les Algériens.

Maître Mostefa Bouchachi, ancien président de la LADDH et actuellement député FFS, a pris le relais pour affirmer que les droits, qu’ils soient sociaux, politiques, économiques ou cultuels, ne sont pas respectés. «La raison de cet irrespect systématique se trouve dans la nature du régime. Depuis 1962, rien n’a été fait pour garantir le bonheur et le respect de la dignité des Algériens. L’Algérie a été considérée par cette nomenklatura, au lendemain de l’indépendance, comme un butin de guerre à partager entre eux, tout comme les biens vacants», note Me Bouchachi, qui déplore qu’il y ait dans la classe politique et parmi l’élite intellectuelle des voix qui disent qu’on ne doit pas en parler à l’étranger et que cela doit rester entre nous.

«C’est terrible de voir toutes ces violations des droits humains et se taire en disant que ça ne doit pas sortir de nos frontières. Il y a une abdication face à la situation d’absence de droits qui est effrayante. En 1996, au sommet de la crise qui a emporté 200 000 vies et causé des milliers de disparus et des milliers de torturés, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture constatait un usage très large de cette pratique barbare et déplorait toutefois l’absence de plaintes émanant de citoyens, de la société civile ou de partis politiques. 16 années plus tard, la situation des droits de l’homme est inchangée, les violations continuent. Le pouvoir doit être heureux de constater que la société civile ne milite pas assez pour faire respecter les droits de tous. Il y a aussi une ignorance des possibilités de faire valoir ses droits.»

Malgré les garanties consignées dans la Loi fondamentale, l’absence de justice indépendante fait que la liberté de culte, de rassemblement, de constitution d’associations, ainsi que l’intégrité physique des Algériens sont systématiquement violées et même inexistantes. «Nous sommes le seul pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient où il nous est interdit de nous rassembler ou de manifester», déplore-t-il, en notant que la justice est devenue un des moyens du régime pour réprimer les droits et les libertés. Me Bouchachi souligne qu’il existe des mécanismes qu’offre la justice internationale et qu’il faut saisir. «Il n’y a pas, en Algérie, de justice qui punisse les oppresseurs et violeurs de droits.

La société a le droit de déposer des plaintes dans les tribunaux internationaux pour dénoncer des cas d’atteintes et de crimes imprescriptibles. J’invite les citoyens à s’engager pour la défense pacifique des droits, car il y va du respect de leur dignité. La violence donne une caution au pouvoir pour réprimer, c’est pour cela qu’il faut opter pour le combat pacifique, comme le fait le FFS», indique Me Bouchachi, en précisant qu’on ne peut pas parler d’ingérence étrangère lorsqu’il s’agit de défendre des droits de l’homme.
Nadjia Bouaricha