L’Algérie condamnée par l’ONU pour la « mort suspecte » d’un commerçant en 1998
Le Monde, 6 juillet 2011
Le Comité contre la torture des Nations unies vient de condamner l’Algérie pour le décès d’un homme arrêté en 1998 et mort quelques heures seulement après sa libération. Cette décision, rendue publique début juillet après la dernière session, en juin, de ce comité chargé de veiller au respect de la Convention contre la torture, traitements cruels, inhumains et dégradants – un texte ratifié par l’Algérie – est une première dans ce domaine pour Alger.
Djilali Hanafi avait 32 ans. Le 1er novembre 1998, il est arrêté dans son magasin d’alimentation général de Mechraâ-Sfa, commune de la wilaya de Tiaret, au nord-ouest du pays, dans la région des hauts plateaux. Deux jours plus tard, le 3 novembre, la brigade de la gendarmerie de Mechraâ-Sfa le libère. Mais, incapable de marcher, il est ramené dans un véhicule de la gendarmerie jusqu’à son domicile. Le soir tombant, au vu de la situation d’insécurité qui régnait alors dans le pays, la famille décide d’attendre le lendemain pour emmener cet homme, marié et père de deux enfants, à l’hôpital distant d’une trentaine de kilomètres. Dans la nuit, il succombe.
Selon son épouse, qui a saisi l’ONU en 2008, aidée par l’association suisse Trial (Track Impunity Always), le commerçant aurait répété avant de mourir qu’il avait été battu. Des témoins codétenus ont raconté qu’ils avaient été placés avec lui dans « une cellule en ciment de 2 m2, partagée avec plus d’une dizaine de personnes ». Djilali Hanafi « grelottait et vomissait sans cesse » après avoir été frappé. Ces anciens détenus disent avoir appelé, en vain, toute la nuit. Ce n’est que le lendemain matin que les gendarmes ont fait sortir Djilali Hafani, qui n’a jamais reçu de soins médicaux. Tous ces témoins se sont, depuis lors, rétracté les uns après les autres.
Le 4 novembre 1998, tandis que la famille s’apprêtait à enterrer le défunt, la gendarmerie est venue demander de surseoir à la cérémonie pour pratiquer une autopsie. Les résultats de cette enquête ne seront jamais communiqués à la famille, malgré ses demandes répétées.
« La voie de l’impunité »
Treize ans après, le rapport d’enquête figure dans le dossier transmis par Alger à l’ONU, et conclut à une « crise cardiaque aiguë », sans « aucune trace de violence » sur le corps. La victime aurait été libérée parce qu’elle souffrait de « maux d’estomac ». Le certificat de décès a néanmoins conclu à une « mort suspecte ».
Les poursuites engagées par la suite par la famille, dont la première plainte remonte au mois de janvier 1999, sont restées lettre morte, bien qu’Alger ait souligné que tous les recours n’avaient pas été saisis. Après examen du dossier, le Comité contre la torture des Nations unies a cependant considéré que la plainte était recevable et « que les éléments de communication qui lui ont été soumis sont constitutifs de torture ».
« La victime a souffert d’un traitement en détention d’une telle gravité, sous l’autorité d’agents étatiques, qu’elle a entraîné son décès dans un laps de temps très court », indique-t-il. En conséquence, l’ONU somme l’Algérie de poursuivre en justice les personnes qui auraient torturé Djilali Hafani, et de l’informer des suites dans un délai de 90 jours, « y compris l’indemnisation de la requérante ».
Pour Philip Grant, directeur de Trial, qui se félicite de cette condamnation, « l’Algérie ne peut poursuivre dans la voie de l’impunité : les victimes de torture et de violation graves commises durant la guerre civile ont le droit de connaître la vérité et d’obtenir justice ». L’association suisse de lutte contre l’impunité était déjà parvenue à faire condamner l’Algérie par l’ONU, en mai, pour le cas d’une disparition forcée.
Isabelle Mandraud
Article paru dans l’édition du 06.07.11