L’«affaire Mira» prend une autre tournure

LA LEVÉE DE SON IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE INTRODUITE

L’«affaire Mira» prend une autre tournure

L’Expression, 30 Juillet 2007

Smaïl Mira déclare être prêt à renoncer à son immunité parlementaire «si la justice le demande».

Une première en Algérie. Le ministère de la Justice vient de demander officiellement, au président de l’APN la levée de l’immunité parlementaire du député Smaïl Mira. C’est ce qu’a affirmé, hier, M.Tayeb Belaïz au centre de rééducation d’El Harrach. Une déclaration qui intervient au moment où l’ex-président de l’APC de Tazmalt, impliqué, le 13 juillet en cours, dans une affaire d’homicide du jeune Kamel Saâdi, sort de sa réserve. Il déclare être prêt à renoncer à son immunité parlementaire «si la justice le demande». Dans les colonnes du quotidien Al Khabar, il souligne: «Je suis prêt à renoncer à mon immunité parlementaire, avant même que l’APN n’approuve cette décision.» En effet, dans son article 110, la Constitution est claire: «Les poursuites ne peuvent être engagées contre un député ou un membre du Conseil de la nation, pour crime ou délit, que sur renonciation expresse de l’intéressé ou sur autorisation, selon le cas, de l’Assemblée populaire nationale ou du Conseil de la nation, qui décide, à la majorité de ses membres, la levée de son immunité.» Or, manifestement, Smaïl Mira veut anticiper sur le «verdict» de la chambre basse du Parlement. Le patriote, qui se défend d’être en ce jour fatidique, en mission commandée à Yakouren, dans le cadre de la lutte antiterroriste, est donc prêt à être jugé et se tient disponible à toute sollicitation. C’est-à-dire au même titre que tout citoyen justiciable, quel que soit son statut. Nous avons tenté, hier, vainement de prendre attache avec M.Mira. Sans doute harcelé par la presse, il a préféré éteindre son téléphone. Information prise, il aurait quitté son village et serait à Alger. Qu’est-ce qui aurait, donc, motivé le geste de M.Mira? Dans ses dernières déclarations, il revient sur les circonstances de l’«incident regrettable». D’après lui, c’est lors d’un contrôle d’identité sur la route d’Aït M’likèche, au niveau du lieu-dit Azrou N’thor, que l’irréparable arriva. Résumons les faits relatés par M.Mira: de retour de Yakouren où il était en mission dans le cadre de la lutte antiterroriste et au moment où il descendait de son véhicule pour le contrôle de l’identité d’un jeune suspect, ce dernier aurait tenté de se saisir de son arme de poing. «En essayant de me dégager, j’ai tiré une balle, l’atteignant dans le bassin.» Mira tente d’invoquer implicitement une situation de légitime défense. L’autre argument, et non des moindres, brandi par le député pour attester de sa bonne foi, c’est le fait qu’il ait porté assistance au jeune Saâdi et a même «appelé des secours en vue de le transférer à l’hôpital militaire de Aïn Naâdja.» Des faits sur lesquels ses deux accompagnateurs ont, sans doute, été interrogés dans le cadre de l’enquête des services de sécurité. Cependant, une question s’impose: Mira a-t-il agi par légitime défense? La jeune victime représentait-elle réellement un danger, nécessitant le recours à l’arme à feu? Seule l’enquête en cours peut déterminer les circonstances exactes. De son côté, le RPR, le parti qui a parrainé la candidature de M.Mira, condamne l’assassinat du jeune Saâdi. Toutefois, le parti considère, par la voix de son président, M.Abdelkader Merbah, qu’il «ne lâchera pas son député si les enquêtes en cours concluent à un acte de légitime défense». Dans une déclaration au quotidien Asharq Al Awsat, M.Merbah s’interroge pourquoi le député incriminé n’a pas pris attache avec le parti après l’incident du 13 juillet. Par ailleurs, lors d’une conférence de presse animée samedi dernier au siège du Front des forces socialistes, M.Karim Tabbou avait souligné que son parti exige que toute la lumière soit faite sur l’assassinat du jeune Saâdi. Même son de cloche du côté de la population de la région, unanime à demander que justice soit faite. Par ailleurs, nous apprenons de sources sûres que la famille du jeune Saâdi n’a pas déposé plainte, et refuse que l’on donne à cette affaire une tournure politique. Elle considère que seule la justice est à même de faire éclater la vérité. A noter que Smaïl Mira, fils du commandant Abderrahmane Mira, chef de la Wilaya III historique, est chef patriote, depuis le début du terrorisme. Il a été élu dans sa circonscription lors des dernières législatives sous les couleurs du Rassemblement pour la République (RPR).

Arezki LOUNI


LES CITOYENS S’EXPRIMENT

«La vérité doit être connue»

L’Expression, 30 Juillet 2007

De tous les propos recueillis hier, ressort le caractère «positif» de la saisine de l’APN.

L’affaire «Mira» continue toujours à alimenter les discussions dans la région de basse Kabylie. Le sujet revient avec force sur le devant de scène à la faveur de la saisine du bureau de l’Assemblée populaire nationale par le ministre de la Justice en vue de la levée de l’immunité parlementaire au député. Cette évolution n’a pas manqué de susciter un intérêt chez le simple citoyen qui l’a beaucoup commentée.
De tous les propos recueillis hier dans la rue ou au sein de l’Assemblée populaire de wilaya ressort le caractère «positif» de cette saisine avec tout ce qu’elle induira en matière de retour de confiance entre l’institution judiciaire et les justiciables. «Il faut toutefois que l’affaire aille jusqu’au bout» précise-t-on. «La vérité doit être connue», soutient-on avec insistance, mais surtout que «tous les dépassements soient punis». Cette saisine, ajoutent certains citoyens, n’est que «l’aboutissement des enquêtes enclenchées en pareille circonstance».
Ce qui donne plus de crédit à l’action du ministre de la Justice. «Si les enquêtes diligentées par la gendarmerie, la police et l’armée n’avaient pas été concluantes, le ministre de la Justice n’aurait pas réagi de la sorte», avancent de nombreuses personnes visiblement très au fait des procédures. Certains vont jusqu’à préciser que «le dossier constitué par le procureur de la République à partir des différentes enquêtes, parait sérieux». Entre les plus optimistes qui notent «un acte démocratique» et les plus septiques qui parlent «de scénario sans suite», le débat sur les questions d’immunité parlementaire, l’homicide et divers dépassements à tous les niveaux constituent le sujet de l’heure. Si beaucoup de gens voient cette évolution comme un acte de concrétisation de la démocratie, certains émettent, cependant, des doutes quant à l’aboutissement de l’affaire. C’est toute la mesure du fossé qui sépare les gouvernants des gouvernés. «Un fossé qui se rétrécira si les choses vont jusqu’au bout», commente Saïd. Dans la rue, on entendait plusieurs versions sur les circonstances de l’incident. Des versions qui reconnaissent toutes qu’il y a eu meurtre. Selon certains, c’est la réaction violente de la victime qui aurait entraîné le coup de feu et pour d’autres, c’est la tentative de la victime de subtiliser l’arme de poing qui aurait poussé l’auteur de l’homicide à tirer. Aux dernières nouvelles, Smaïl Mira n’est plus à Tazmalt, ville qu’il a quittée le jour du décès du jeune Kamel Saâdi, pour se rendre à Alger. La famille n’a déposé aucune plainte, mais demande que la justice soit rendue, ne parlant point de vengeance.

Arezki SLIMANI


IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE

Ce que prévoit la Constitution

30 Juillet 2007

L’immunité parlementaire n’est pas une disposition spécifique à l’Algérie. On la trouve dans la plupart des pays du monde, où le député, élu du peuple, est protégé dans sa vie de tous les jours, et à ce titre, c’est cette fonction élective qui bénéficie de l’immunité. On considère qu’il ne peut être soumis au régime général auquel sont soumis les autres justiciables, sinon ce serait une entrave au pouvoir que lui donnent les électeurs et la loi fondamentale dans son travail de faiseur de lois. Dans un régime démocratique où les trois pouvoirs (exécutif, judiciaire, législatif) sont séparés, le juge n’est pas autorisé à poursuivre un député tant que son immunité parlementaire n’est pas levée par ses pairs.
Mais d’abord, que prévoit la Constitution?
L’article 103 de la Constitution dispose que l’immunité parlementaire est reconnue au député pendant la durée de son mandat.
Aucun député ne peut faire l’objet de poursuites, d’arrestation, ou en général de toute action civile ou pénale non plus que de toutes formes de pression en raison des opinions qu’il a exprimées, des propos qu’il a tenus ou des voies qu’il a émises dans l’exercice de son mandat.
Comme toute règle comporte des exceptions, l’article 104 dispose que les poursuites ne peuvent être engagées contre un député pour un acte délictueux, que sur renonciation expresse de l’intéressé ou sur autorisation de l’Assemblée populaire nationale qui décide, à la majorité de ses membres, la levée de son immunité.Néanmoins, en cas de flagrant délit ou de crime flagrant (ce qui peut arriver), il peut être procédé à l’arrestation du député. Le bureau de l’Assemblée nationale en est immédiatement informé.
Dans ce cas, le bureau de l’APN peut demander la suspension des poursuites et la mise en liberté du député. Il sera alors procédé conformément aux dispositions de l’article 104 ci-dessus. Quant au règlement intérieur de l’APN, il dispose (articles 71 et suivants) que l’immunité parlementaire est reconnue aux députés de l’Assemblée populaire nationale, conformément aux articles 109, 110 et 111 de la Constitution.
La demande de la levée parlementaire est introduite auprès du bureau de l’Assemblée populaire nationale par le ministre de la Justice.
Cette demande est soumise à la Commission chargée des affaires juridiques qui élabore un rapport final dans un délai de deux mois à partir de la saisie.
La commission entend le député concerné, lequel peut se faire assister par un de ses collègues. L’APN tranche dans un délai de trois mois à partir de la date de
la saisine.

Ahmed BEN ALAM