Deux présumés tortionnaires algériens des années de plomb seront jugés en France
FIDH – Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme CFDA – Collectif des familles de disparus en Algérie
LDH – Ligue des droits de l’Homme – France
Deux présumés tortionnaires algériens des années de plomb seront jugés en France
Paris, le 6 janvier 2015 – La juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Nîmes a rendu le 26 décembre dernier une ordonnance de mise en accusation à l’encontre de deux présumés tortionnaires algériens résidant en France, Hocine Mohamed et Abdelkader Mohamed. Tous deux sont accusés de crimes de torture et de disparitions forcées commis au nom de la lutte anti-terroriste dans la région de Relizane en Algérie dans les années 1990. Le procès se tiendra devant la Cour d’Assises du Gard. Nos organisations, qui avaient déposé plainte en 2003 contre les frères Mohamed et qui accompagnent les 7 victimes algériennes qui se sont constituées parties civiles, ont accueilli cette ordonnance avec une très grande satisfaction.
/*« C’est la première fois dans l’histoire que des Algériens vont être jugés pour des crimes commis durant les années noires en Algérie »*/ a déclaré Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH et Responsable du Groupe d’action judiciaire.
/*« Nous espérons que ce procès marquera un tournant majeur dans la lutte contre l’impunité qui entoure la commission de ces crimes »*/ a ajouté Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH.
Cette ordonnance ponctue plus de 10 années de procédure judiciaire. Une information judiciaire avait été ouverte au sein du TGI de Nîmes, à la suite de la plainte déposée en octobre 2003 par la FIDH et la LDH. Hocine et Abdelkader Mohamed avaient ensuite été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire. L’information judiciaire avait permis de recueillir des témoignages probants à l’encontre des miliciens. En juillet 2013, le Parquet de Nîmes avait requis la mise en accusation des frères Mohamed devant la Cour d’Assises.
La tenue de ce procès en France sera d’autant plus importante que l’Algérie a adopté en 2005 une Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui interdit d’évoquer publiquement la guerre civile qui a déchiré le pays. Dans ce contexte, toute démarche judiciaire visant à établir les responsabilités des crimes commis durant cette période est impossible en Algérie, ce qui explique le fait que les victimes se soient tournées vers la justice française.
Le procès se tiendra en France sur le fondement de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises pour crime de torture.
Contexte
Dans les années 90, l’Algérie a été en proie à une guerre civile très violente, opposant les services de sécurité, les milices armées par l’Etat et les groupes islamistes armés. Dans ce contexte, les exécutions sommaires, les meurtres, les actes de torture, les viols, les enlèvements et les disparitions étaient devenus pratique courante des différentes parties au conflit et ont été perpétrés dans l’impunité la plus totale. Les groupes de « légitime défense » de la wilaya (département composé de 38 communes) de Relizane comptaient environ 450 membres au début de l’année 1994.
Les chefs miliciens ont été recrutés parmi les présidents des délégations exécutives communales (DEC) du département de Relizane. Ces délégations ont été mises en place en 1992 par le ministère de l’Intérieur suite aux dissolutions des assemblées populaires communales (mairies) contrôlées par le Front islamique du salut (FIS). L’implication dans les milices était aussi une source d’enrichissement considérable (au travers des vols et pillages) pour les miliciens, auxquels l’État versait par ailleurs une solde.
Les milices de Relizane se sont illustrées, entre 1994 et 1997, par de très nombreuses exactions pratiquées contre la population civile dans leur circonscription, celle-ci étant à leur merci.
Au sein de ces milices, Hocine Mohamed, premier adjoint du président de la Délégation exécutive communale de Relizane, et son frère, Abdelkader Mohamed, président de la Délégation exécutive communale de H’madna et à la tête de la milice de cette commune, sont suspectés d’avoir commis ces exactions et terrorisé la population.
Algérie : Questions et Réponses sur l’affaire Relizane
FIDH, 6 janvier 2015
Quels sont les faits à l’origine de la procédure ?
Dans les années 90, l’Algérie a été en proie à une guerre civile très violente, opposant les services de sécurité, les milices armées par l’Etat et les groupes islamistes armés. Dans ce contexte, les exécutions sommaires, les meurtres, les actes de torture, les viols, les enlèvements et les disparitions étaient devenus pratique courante des différentes parties au conflit et ont été perpétrés dans l’impunité la plus totale. Les groupes de « légitime défense » de la wilaya (département composé de 38 communes) de Rélizane comptaient environ 450 membres au début de l’année 1994. Les chefs miliciens ont été recrutés parmi les présidents des délégations exécutives communales (DEC) du département de Rélizane. Ces délégations ont été mises en place en 1992 par le ministère de l’Intérieur suite aux dissolutions des assemblées populaires communales (mairies) contrôlées par le Front islamique du salut (FIS). L’implication dans les milices était aussi une source d’enrichissement considérable (au travers des vols et pillages) pour les miliciens, auxquels l’Etat versait par ailleurs une solde.
Les milices de Rélizane se sont illustrées, entre 1994 et 1997, par de très nombreuses exactions pratiquées contre la population civile dans leur circonscription, celle-ci étant à leur merci.
Au sein de ces milices, Hocine Mohamed, premier adjoint du président de la Délégation exécutive communale de Rélizane, et son frère, Abdelkader Mohamed, président de la Délégation exécutive communale de H’madna et à la tête de la milice de cette commune, sont suspectés d’avoir commis ces exactions et terrorisé la population.
Qui sont les frères Mohamed ? Pourquoi sont-ils poursuivis par la justice française ?
Natifs et habitants de la commune de Relizane, les frères Mohamed étaient des miliciens connus de la population. Au terme de la plainte déposée à leur encontre, Hocine Mohamed, surnommé Adda, et Adbelkader Mohamed étaient à la tête des milices de Relizane. Selon les victimes rescapées et les proches des victimes, ils opéraient à visage découvert, ce qui a permis aux parents des victimes de les reconnaître formellement. Selon les témoignages recueillis auprès des familles de victimes, les deux frères se seraient rendus coupables de nombreuses exactions durant cette période, notamment d’actes de torture, d’exécutions sommaires et de disparitions forcées. Ces témoignages ont été recueillis par le Collectif des Familles de Disparu(e)s en Algérie (CFDA), la mission d’enquête de la FIDH qui s’est rendue en Algérie en juin 2000 et le représentant local, à Relizane, de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH).
Au terme de l’ordonnance rendue par la juge d’instruction du TGI de Nîmes, les deux frères Mohamed sont mis en accusation pour avoir perpétré des actes de torture et de barbarie à l’encontre d’une victime directe constituée partie civile et de membres de familles des autres parties civiles.
Pourquoi la justice française est compétente ?
En vertu de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises, qui découle notamment des obligations contenues dans la Convention des Nations unies contre la torture, les juridictions françaises sont compétentes pour juger un étranger accusé d’avoir commis des crimes de torture à l’étranger, contre des étrangers, si cette personne se trouve sur le territoire français. Informées de la présence en France des frères Mohamed, en 2003, c’est sur ce fondement que la FIDH et la LDH ont pu déposer une plainte auprès du TGI de Nîmes, pour actes de torture. Les deux accusés vivent dans le Sud de la France depuis (l’un ayant d’ailleurs acquis la nationalité française depuis). Sept victimes algériennes, ayant perdu leurs proches ou ayant survécu, se sont ensuite constituées parties civiles au cours de l’instruction.
La justice française a déjà rendu plusieurs décisions de condamnation sur le fondement de la compétence extraterritoriale : Ely Ould Dah, capitaine de l’armée mauritanienne, a été condamné par défaut à 10 ans d’emprisonnement en juillet 2005 pour actes de torture et de barbarie commis en Mauritanie. En septembre 2010, Khaled Ben Saïd, a été condamné, également par défaut, à la peine de 12 années d’emprisonnement pour complicité de tortures perpétrées en Tunisie. Et enfin, en mars 2014, Pascal Simbikangwa a été condamné à la peine de 25 années de réclusion criminelle pour génocide et crimes contre l’humanité commis au Rwanda en 1994.
Le procès de Relizane s’inscrirait dans la droite ligne de ces 3 procès déjà organisés en France au nom de la compétence extraterritoriale.
Une autre affaire est en cours en Suisse sur le fondement de la compétence extraterritoriale, qui concerne une mise en cause du général Khaled Nezzar pour crimes de torture et crimes de guerre. Une instruction est en cours. Pour plus d’informations : http://www.trial-ch.org/fr/activites/actions-juridiques/les-affaires-de-trial-en-suisse/khaled-nezzar-algerie-2011.html
Pourquoi la procédure a-t-elle été si longue ?
Il aura fallu en effet plus de dix années à la justice française pour clôturer l’instruction et décider de la mise en accusation des frères Mohamed. Ce retard s’explique en grande partie par l’absence, au moment du dépôt de la plainte en 2003, de pôle spécialisé dans la poursuite des crimes internationaux, qui a été créé en janvier 2012 au sein du Tribunal de grande instance de Paris et qui regroupe aujourd’hui tous les dossiers judiciaires portant sur des crimes de torture, génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ce pôle spécialisé, composé de magistrats du parquet et de juges d’instruction entièrement consacrés à de telles affaires, a permis d’accélérer le traitement de ce type de procédures à partir de 2012.
Néanmoins, il est à noter que les lenteurs dans cette affaire sont assez emblématiques des réticences des autorités judiciaires et politiques françaises à voir ce dossier, ayant des implications politiques et diplomatiques importantes, aboutir à un procès. Quelles seront les prochaines étapes ?
Les frères Mohamed peuvent faire appel, devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nîmes. La Chambre de l’instruction serait alors amenée à informer ou confirmer l’ordonnance rendue par la juge d’instruction. Un procès sera ensuite organisé devant la Cour d’assises du Gard. Ce sera le premier procès jamais organisé sur les crimes perpétrés par les milices pro-gouvernementales pendant la guerre civile en Algérie.
Pourquoi la justice algérienne n’a-t-elle jamais enquêté sur ce dossier et sur cette période de l’histoire algérienne ?
L’Algérie a adopté en 2005 une Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui interdit d’évoquer publiquement la guerre civile qui a déchiré le pays. Dans ce contexte, toute démarche judiciaire visant à établir les responsabilités des crimes commis durant cette période est impossible. Ainsi, en vertu de cette Charte, Mohamed Smaïn, partie civile dans la procédure en France et responsable dans les années 90 de la section de Relizane de la LADDH, a été condamné en 2007 (décision confirmée en 2011) par la justice algérienne à 2 mois d’emprisonnement ferme pour « dénonciation de crimes imaginaires » incrimination découlant de l’adoption de la Charte. En réalité, Mohamed Smaïn avait attiré l’attention des médias algériens sur la découverte de charniers dans les environs de Relizane, et avait interpellé les autorités algériennes pour que des enquêtes puissent être menées. Mohamed Smaïn a été arrêté en juin 2012 et a été libéré un mois plus tard suite à une intense mobilisation internationale. Cet exemple démontre qu’aucune démarche judiciaire ne peut pour l’instant aboutir en Algérie, d’où l’importance de la tenue de ce procès en France.
Chronologie de la procédure
2003 10 octobre 2003 : Une plainte simple est déposée pour torture, actes de barbarie et crimes contre l’humanité devant le Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Nîmes par la FIDH et la LDH. novembre 2003 : Une enquête préliminaire est ouverte qui permet de confirmer la résidence des deux frères Mohamed à Nîmes. Hocine Mohamed a obtenu la nationalité française par mariage. 11 décembre 2003 : Le Tribunal de Grande Instance de Nîmes ouvre une information judiciaire pour tortures et actes de barbarie.
2004 18 mars 2004 : Plusieurs auditions de proches des victimes algériennes (Houari Saidane, EL Habib Aoun et Fethi Azzi) sont organisées. 29 mars 2004 : Les frères Mohamed sont interpellés à leur domicile, placés en garde à vue, auditionnés par les services de police judiciaire et confrontés à deux des victimes. 30 mars 2004 : Le juge d’instruction décide le placement sous contrôle judiciaire des deux frères Mohamed. Avril 2004 : La FIDH, la LDH et plusieurs victimes algériennes, représentées par Maîtres Patrick Baudouin et Philippe Expert, se constituent parties civiles. 14 avril 2004 : L’Observatoire pour la protection des droits de l’Homme publie un appel urgent sur la situation de Mohamed Smain et Fethi Azzi qui sont venus en France pour témoigner et ont reçu des menaces et des représailles de retour en Algérie (Féthi Azzi a été renvoyé puis dégradé et muté dans un autre service de la sous-préfecture, et Mohamed Smain a été arrêté, alors qu’ils se trouvait en compagnie de journalistes enquêtant sur des disparitions forcées, et maintenu en détention pendant 20h). 18 juin 2004 : Le juge d’instruction délivre une commission rogatoire internationale pour que des actes d’enquête puissent être accomplis en Algérie.
2005 31 janvier 2005 : Audition de Mohamed Smaïn par le juge d’instruction 19 juillet 2005 : Les autorités algériennes refusent de mener à bien la commission rogatoire internationale aux motifs que l’Algérie a pris toutes les mesures nécessaires pour incriminer les actes de torture dans sa loi pénale nationale et a entrepris d’incriminer plusieurs cas et que la commission rogatoire demandée est de nature à porter atteinte à sa souveraineté et à son ordre public.
2006 27 février 2006 : La Charte pour la Paix et la Réconciliation Nationale entre en vigueur en Algérie. 7 avril 2006 : Le nouveau juge d’instruction, Monsieur Mangin, notifie aux parties l’échec de la demande de commission rogatoire internationale en Algérie. 12 Avril 2006 : Confrontation entres les deux frères (MM. Abdelkader et Hocine Mohamed) et la FIDH, la LDH et deux des parties civiles (MM. Houari Saidane et El Habib Aoun). 21 juin 2006 : Maître Cabanes, avocat des deux frères Mohamed, joint au dossier des soi-disant « déclarations » de retrait de certaines constitutions de partie civile. S’en suit une lettre des avocats des parties civiles dénonçant les intimidations et menaces dont elles font l’objet. 5 décembre 2006 : Confrontation entre les deux mis en cause (Abdelkader et Hocine Mohamed) et la victime M. Mohamed Saidane puis M. Fethi Azzi.
2007 26 avril 2007 : Confrontation entre Hocine dit « Adda » Mohamed et la partie civile Adda Derkaoui. 25 juin 2007 : Audition de la partie civile Ali Ben Ain Smen et de Nassera Dutour en tant que témoin. 7 novembre 2007 : Confrontation entre Ali Ben Aim Smen (partie civile) et Hocine Mohamed.
2008 7 janvier 2008 : Me Lasbeur et Me Verges, avocats de la défense, demandent que soit entendu comme témoin le frère de Mohamed Saidane, M’hamed Saidane. La convocation délivrée pour le 28 mars 2008 mais est reportée au 12 juin suite au refus de visa pour rentrer en France. Septembre 2008 : Désignation d’un nouveau juge d’instruction : Monsieur Mathieu.
2009 27 juillet : Les avocats des parties civiles envoient un courrier au juge d’instruction lui demandant de clôturer le dossier au plus vite. 22 Décembre : Maître Baudouin, en sa qualité d’avocat des parties civiles, réitère sa demande de clôture de l’information judiciaire.
2010 25 mars : notification de la clôture de l’instruction par le juge d’instruction au titre de l’article 175 du code de procédure pénale 8 avril : les avocats de la défense font une demande d’acte tendant à l’audition de Monsieur M’hamed Saïdane et à la main levée du contrôle judiciaire ordonné à l’encontre des frères Mohamed.
2011 19 septembre : le juge d’instruction constate l’impossibilité d’accomplir les actes demandés par la défense et rend une ordonnance de refus de mise en place de mesures d’instruction complémentaires 5 octobre : nouvelle notification de la clôture de l’instruction par le juge d’instruction au titre de l’article 175 du code de procédure pénale
2013 26 juillet : le Parquet prend un réquisitoire définitif demandant la mise en accusation des frères Mohamed devant la Cour d’assises
2014 26 décembre 2014 : la juge d’instruction rend une ordonnance de mise en accusation devant la Cour d’assises