Le Comité des droits de l’homme saisi à propos de l’exécution sommaire de Mme Nedjma Bouzaout

Le Comité des droits de l’homme saisi à propos de l’exécution sommaire de Mme Nedjma Bouzaout

Alkarama, 02 Août 2010

Le 26 janvier 1996, des agents de la garde communale d’Oudjana, dans la wilaya de Jijel, ont encerclé vers 7 heure du matin les domiciles des familles Yassad et Bousseloub. En raison des coups de feu sur la façade, Mme Nedjma Bouzaout a ouvert la porte et a été tuée à bout portant par l’un des membres de la garde communale.

Alkarama a été mandatée pour présenter le 30 juillet 2010 une plainte au Comité des droits de l’homme concernant l’exécution sommaire par des membres de la garde communale locale de Mme Nejma BOUZOUAT, épouse BOUSSELOUB, mère de neuf enfants. Les démarches de la famille auprès des autorités n’ont abouti à aucun résultat, et depuis la promulgation, en février 2006, de l’Ordonnance d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation, toute plainte est considérée comme irrecevable (article 45). C’est la raison pour laquelle, il est demandé au Comité des droits de l’homme d’intervenir auprès des autorités algériennes.

Les agents de la garde communale se sont donc rendus aux domiciles des familles Yassad et Bousseloub, ont pris d’assaut celui de la famille BOUSSELOUB en tirant avec des armes à feu sur la façade de la maison. Mme BOUZAOUT Nedjma a alors ouvert la porte de son domicile et l’agent nommé SLOUBI Rabie lui a tiré dessus à bout portant. Elle est décédée immédiatement.

Un autre agent nommé SLOUBI Abdelhamid est alors entré dans le domicile et a frappé M. BOUSSELOUB Saïd, le mari de Mme BOUZAOUT, lui causant des blessures.

A la suite de cette exécution sommaire, les agents de la garde communale d’Oudjana ont emmené M. BOUSSELOUB Saïd ainsi que deux autres habitants du même village, M. BOUAMLI Mohamed et M. BOUAMLI Azzedine.

Ils les ont conduit au centre du village et remis à des membres de la gendarmerie nationale de Boucherka-Taher. Les trois hommes ont été frappés à coup de crosse d’armes durant le trajet du domicile de M. BOUSSELOUB Saïd à l’endroit de rencontre avec les gendarmes.

Ces derniers ont embarqué les trois hommes dans un véhicule blindé et les ont emmenés au siège de la brigade de gendarmerie nationale de Boucherka-Taher. Ils y sont restés trois jours durant lesquels ils ont été sauvagement torturés avant d’être relâchés.

Selon les témoins de la scène, les agents qui ont participé à l’assaut contre le domicile de la famille Bousseloub et qui ont exécuté sommairement Mme BOUZAOUT Nedjma étaient des membres de la garde communale de Oudjana et parmi eux :
– M. SLOUBI Rabie, qui est l’auteur des tirs mortels contre Mme BOUZAOUT Nedjma.
– M. SLOUBI Abdelhamid, alias Mohamed, qui a pénétré dans le domicile familial et qui a blessé M. BOUSSELOUB Saïd.
– BOUANK Salim.
– KAIKAA Rabie.
– KAIKAA Mohamed, qui est resté en dehors de la maison.
– KAIKAA Kamel, qui est resté en dehors de la maison.

Les crimes ont été commis en présence de militaires de l’Armée nationale populaire de la caserne d’Oudjana qui accompagnaient les membres de la garde communale.

En plus de l’exécution sommaire de Mme BOUZAOUT Nedjma, au moins deux autres personnes ont été exécutées lors de la même opération, Mme YASSAD Zahra née GUENATE âgée de 40 ANS et sa fille, Mlle YASSAD Soumia âgée de 6 ans.

Cette opération de représailles faisait suite à l’assassinat la veille, le 25 janvier 1996, par des membres d’un groupe armé non identifié, de trois femmes près du village d’Oudjana. Une quatrième femme a survécu avec des blessures. Ces victimes étaient toutes les épouses de membres de la milice et de la garde communale locale.

Le jour même de ces exécutions sommaires commises par des membres de la garde communale, dans son édition du 26 janvier 1996, le journal télévisé national (de 20 heure), a annoncé « l’assassinat de sept femmes à la localité de Oudjana, wilaya de Jijel, par des groupes terroristes ».

L’assassinat de civils par les services de sécurité algérien et leur imputation à « des groupes terroristes » est une pratique constante dans la guerre civile en Algérie et un tel transfert de responsabilité des agents des forces de police et de gendarmerie à ces présumés « groupes terroristes » est une pratique très largement répandue.

Dans le cas de Mme BOUZAOUT, cette même affirmation est d’ailleurs contenue dans le Procès verbal de constat établi par la gendarmerie nationale. Une instruction a été ouverte par le tribunal de Taher et le juge d’instruction du tribunal a convoqué M. BOUSSELOUB Saïd qui a rapporté les faits dont il a été le témoin direct en citant les noms des membres de la garde communale d’Oudjana qui ont participé à l’opération. Le juge d’instruction lui a alors reproché d’accuser à tort « les forces de sécurité » et a refusé de consigner ses déclarations. Aucune information ne lui a été communiquée par la suite, ni par le juge d’instruction ni par le parquet.

En raison du climat de peur et d’insécurité qui régnait alors dans la région, M. BOUSSELOUB a préféré de pas déposer de plainte contre les membres de la garde communale qui avaient droit de vie ou de mort sur les citoyens. Ce n’est donc qu’en 2001, lorsque la situation sécuritaire s’est relativement calmée et que les exactions contre les civils ont cessé qu’il a repris ses démarches en saisissant le parquet général de Jijel d’une plainte contre les auteurs de l’assassinat de son épouse. Le parquet général n’a cependant pas cru devoir requérir l’ouverture d’une enquête judiciaire sur le crime commis contre son épouse ni l’informer des suites légales de l’enquête.

Le fait de déposer une communication devant le Comité des droits de l’homme peut être interprété par les autorités algériennes comme une action hostile, notamment en ayant pour conséquence de ternir l’image de l’Algérie sur la scène internationale, ce qui selon ladite Ordonnance (article 46) est passible de 3 à 5 ans de prison.

Il est donc demandé au Comité des droits de l’homme de constater les violations commises par des agents relevant de l’autorité de l’Etat et d’intervenir auprès des autorités algériennes afin que celles-ci:

– s’abstiennent de prendre des mesures pénales, ou toute autre mesure, visant à punir ou intimider M. BOUSSELOUB, ou tout autre membre de sa famille en raison de la présente communication;

– ordonnent de mener une enquête approfondie et diligente sur l’exécution sommaire de Mme Nedjma BOUZAOUT;

– informent la famille sur les résultats de l’enquête et l’indemnisent de manière appropriée et enfin,

– engagent des poursuites pénales contre les responsables présumés de l’exécution extrajudiciaire de Mme BOUZAOUT, les fassent juger et punir le cas échéant.

Afin de respecter leurs engagements en matière de droit interne et international, il est indispensable que les autorités algériennes n’aient pas recours à l’ordonnance portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.