L’ONU peut enquêter sur les disparus en Algérie, mais pour les Algériens, le dossier reste clos

L’ONU peut enquêter sur les disparus en Algérie, mais pour les Algériens, le dossier reste clos

Aïssa Bouziane Mercredi, Maghreb Emergent, 19 Septembre 2012

Visite délicate en Algérie de Mme Navanethem Pillay, Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme. Les dossiers sensibles seront en effet mis sur la table: disparus de la décennie 1990, justice défaillante, violations des Droits de l’Homme, surcharge des prisons, législation inadéquate et mal appliquée, etc.

Le dossier des disparus de la décennie 1990 continue de hanter l’Algérie. La visite du Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme, Mme Navanethem Pillay, entamée mardi, a rouvert ce dossier, et contraint Me Farouk Ksentini, le Monsieur Droits de l’Homme du gouvernement algérien, à suppléer le traditionnel mutisme des autorités algériennes sur la question.

Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCDH) a donc retrouvé un rôle qu’il affectionne: occuper la scène médiatique. Il était ainsi, mercredi matin, à la radio, où il a rappelé l’argumentaire algérien sur le dossier des disparus, en situant le problème sur le plan de l’incompréhension. Tout est parti, selon Me Ksentini, d’une «mauvaise appréciation » de la part des partenaires de l’Algérie. Ceux-ci « se trompent » quand ils parlent de la décennie 1990, car à ce moment-là, « l’Algérie a fait la guerre au terrorisme, non à des démocrates », a-t-il dit.

De là, ajoute-t-il, découle tout le reste. Pour lui, les disparitions forcées ne sont pas des actes délibérés menés à l’instigation de l’Etat algérien, mais des une sorte d’effet collatéral de la lutte antiterroriste. Les disparitions « n’ont pas été décidées ou organisées par l’Etat », mais des « agents de l’Etat ont eu des comportements individuels » qui ont mené à cette dérive, a-t-il affirmé. A ce titre, il considère que l’Etat algérien est « responsable mais pas coupable ».

Il a réfuté les chiffres avancés par différentes organisations sur le nombre de disparus. « Certains parlent de 18.000 ou même de 30.000 disparus. Nous les avons invités à fournir des dossiers, des documents », mais cela n’a pas abouti. Selon lui, il y a eu 7.200 disparus, recensés auprès des services de la gendarmerie. Sur ce nombre, 6.146 dossiers ont fait l’objet de démarches officielles pour aboutir à des dédommagements au profit des familles.

M. Ksentini a toutefois ouvert une brèche qui risque de rouvrir le dossier des disparus. Il a en effet admis que les organisations onusiennes puissent enquêter sur ce dossier, alors que les algériens n’ont pas le droit d’évoquer la question. La charte de réconciliation, adoptée par référendum, interdit en effet aux Algériens de revenir sur la « tragédie nationale », dossier considéré comme clos. Ce qui n’empêche pas les mères de disparus d’organiser chaque semaine à Alger un rassemblement pour réclamer la vérité.

Les grâces présidentielles comme remède à la surcharge des prisons!

Toujours dans un souci d’apaisement, Me Ksentini a admis que les militants islamistes, internés dans des camps du sud en 1992, peu après l’arrêt du processus électoral et la dissolution du Front Islamique du Salut, ont droit à une réparation. « Ils ont subi un dommage, l’Etat leur doit réparation », a-t-il dit, affirmant qu’ils seraient entre 15.000 et 18.000.

Sur les autres dossiers, le président de la commission des Droits de l’Homme a caressé avocats, journalistes, magistrats et société civile dans le sens du poil. Il s’est déclaré en faveur d’une révision de la loi sur l’information, récemment adoptée, car il est nécessaire selon lui, d’y associer les journalistes. Il a plaidé pour une meilleure formation des magistrats, niant que la corruption puisse être répandue au sein du corps judiciaire et affirmant n’avoir jamais rencontré un magistrat corrompu, allant visiblement contre une opinion très répandue selon laquelle la justice est largement gangrenée par la corruption.

Certaines lois sont « d’une rare absurdité. Elles compliquent la procédure et pénaliste le justiciable », a-t-il dit, dénonçant l’abus de la détention préventive. Il a aussi critiqué la situation des prisons algériennes, surchargées, se félicitant, dans une ultime bourde, des grâces présidentielles décidées de manière cyclique par le président Abdelaziz Bouteflika ; des grâces qui, selon lui, permettent de remédier à la surcharge des prisons, alors qu’au sein de l’opinion, l’augmentation de la violence et de la criminalité serait précisément due au « laxisme » des autorités qui accordent trop de grâces aux détenus de droit commun.