Sit-in des familles des disparus devant le siège du Conseil des droits de l’homme
Sit-in des familles des disparus devant le siège du Conseil des droits de l’homme
La juge Benzerrouki rappelée au devoir de vérité et de justice
El Watan, 31 août 2017
La Coordination nationale des familles des disparus (CNFD) a réussi hier son pari de tenir son rassemblement de protestation au boulevard Colonel Bougara, non loin du siège du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) dirigé par la juge Benzerrouki Fafa, marquant ainsi et bruyamment la Journée internationale des victimes des disparitions forcées, célébrée hier 30 août.
Un pari réussi en dépit du déploiement disproportionné des forces de police et des barrages filtrants, en amont et en aval de la place Addis-Abeba à Alger.
Une trentaine de parents de disparus lors de la «décennie noire» venus essentiellement de l’Est, de Constantine, de la capitale Alger et de l’Oranie, notamment de Relizane, a pu, malgré le harcèlement policier et les arrestations, se faufiler jusqu’au perron de la résidence du CNDH.
Pendant plus d’une heure et demie, les parents des victimes de disparitions ont brandi des banderoles réclamant vérité et équité et crié à tue-tête que justice soit faite sur les cas des milliers (entre 7 et 15 000 disparus), de disparition imputés ou opérés par les services de l’armée, de la police et de la gendarmerie.
Des slogans mordants et mettant à rude épreuve les nerfs des dizaines de policiers mobilisés : «Nezzar Ya djazar» (Nezzar, le boucher), «Pouvoir assassin», «Hamel criminel», «Barakat, barakat min houkem généralate» (Basta au pouvoir des généraux) et autres «La wiam, La Salam, la raha Lil Houkam» (Pas de paix, pas de réconciliation, encore moins de répit pour les dirigeants), «Qadiatou Al Makhtoufin, Qadia Watania» (Disparus, une affaire nationale), «Ouladna Machi Li l’bi3» (Nos enfants ne sont pas à vendre), «Maqabir Djam3ia, Mahakim Doualia» (Fausses communes, justice internationale)…
Le sit-in, affirme Ouassila Belatreche, porte-parole de la CNFD, a pour objectif de rappeler à la juge Fafa Benzerrouki, présidente du CNDH, les devoirs de justice et de vérité. «Nous avons écrit à cette institution constitutionnelle, demandé à ce qu’elle nous , mais nous n’avons reçu aucune réponse», dit-elle. Belatreche s’interroge dès lors si le CNDH n’est, en définitive, qu’une copie conforme de l’ex-commission des droits de l’homme dirigée par Me Farouk Ksentini sans «réel pouvoir ni quelconque attribution».
Le flou intégral entourant les disparitions et les rapports contradictoires dressés par les différents services d’Etat sur ces mêmes disparitions forcées, symptomatiques de l’absence de volonté officielle de faire toute la lumière sur ces drames, ont amené les familles à recourir à la justice internationale. Plusieurs plaintes individuelles ont été ainsi introduites au niveau du TPI depuis 2002.
Mme Saker, dont le mari, professeur de mathématiques, n’a pas donné signe de vie depuis 1994, en fait partie. En 2007, dit-elle, elle obtint une condamnation de l’Etat algérien qui lui vaudra des poursuites et une condamnation à un an de prison ferme. «Or, je ne cherche que la vérité.
Car, le procès-verbal de la police judiciaire qui m’avait été remis dit clairement que mon mari avait été arrêté par la police et remis ensuite au Cetri (DRS) de Constantine. Et depuis aucun signe de vie.» Mme Saker égraine un chapelet de déboires endurés. De punition et châtiments collectifs. «Le drame, c’est que même les enfants des disparus encourent la double peine. Savez-vous qu’ils n’ouvrent même pas droit à des postes dans les instituions de l’Etat. Pas même le droit d’être sous les drapeaux.»
Pareil pour Mme Aribi, dont le fils avait à peine 18 ans lorsqu’il a disparu le 3 décembre 1993, «arrêté, raconte-t-elle, par la Garde républicaine. Depuis, aucune nouvelle». Ni mort confirmée ni sépulture pour rompre avec un deuil en sempiternelle apesanteur. Farida El Waghlissi, la cinquantaine, perdit aussi son mari, cadre à la SNTF. Elu FIS à Constantine, il a été arrêté par les «services» d’Etat, puis plus rien… évaporé entre terre d’Algérie et ciel de la «tragédie nationale».
«Ce combat, nous ne le menons plus pour nous-mêmes, ni même pour nos disparus, mais pour que plus jamais pareille chose n’arrive à d’autres Algériens», avoue El Waghlissi, voix fluette, ton messianique. «Voyez par vous-même, ils nous ont envoyé toute une armada. On nous arrête, nous tabasse, nous dispatche dans les commissariats et le soir on nous escorte jusqu’à la gare du Carroubier. On est des expulsés en permanence, alors que nous sommes censés être chez nous.»
Dans sa déclaration publique, la CNFD dit ne «rien attendre» du Conseil national des droits de l’homme ou de tout autre organisme d’Etat, sous tutelle ou indépendant, soit-il. «Notre seul voie de recours pour une solution équitable à notre cause demeure la justice et les organisations onusiennes.» En mai dernier, à Genève, des membres de la CNFD avaient été admis au Conseil onusien des droits de l’homme. Une première qui promet des quarts d’heure difficiles aux tenants du pouvoir… de disparaître.
Mohand Aziri