Ksentini: L’Etat doit faire ses excuses aux familles de disparus

Ksentini: L’Etat doit faire ses excuses aux familles de disparus

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 31 août 2009

«L’Etat devrait présenter ses excuses officielles aux familles des disparus, ça n’a rien de déshonorant, il doit leur donner un statut spécial», réclame le président de la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’Homme (CNCPPDH).

Mustapha Farouk Ksentini estime que ce que demande «cette minorité active», qui sont les familles des disparus, «est légitime, je respecte leur point de vue». Vérité et Justice sont les maîtres mots des revendications des familles qui se sont regroupées hier à la place du 1er Mai, à l’occasion de la Journée internationale des disparus. Mais, précise le président de la CNCPPDH, «c’est irréalisable ! Je ne le dis pas de gaîté de coeur, je respecte la douleur de ces familles, mais c’est carrément irréalisable !». En effet, explique-t-il, si Vérité et Justice voudraient signifier pour ces familles «retrouver les tombes de leurs proches enlevés et identifier leurs squelettes, c’est carrément impossible !». Il est clair qu’après tant d’années de lutte pour connaître la vérité et réclamer justice auprès des autorités qui semblent frappées d’amnésie – du moins pour ce qui concerne le dossier des disparus – ces familles attendent probablement un acte politique qui leur permettrait un tant soit peu de faire leur deuil. « J’ai toujours milité pour la réhabilitation morale des disparus, j’ai toujours dit que l’Etat doit leur donner un statut spécial, j’ai même proposé que leur soit consacré une journée nationale», nous a affirmé hier, Maître Ksentini. «L’Etat devrait présenter à leurs familles, ses excuses officielles, ça n’a rien de déshonorant, bien au contraire, ça grandit l’Etat», recommande-t-il. Le président de la CNCPPDH a rappelé que le chef de l’Etat en avait même fait mention dans un de ses discours. Mais, a-t-il dit désolé, « ça n’a pas été suivi d’effet ». Il reste cependant persuadé que «ce n’est jamais trop tard pour le faire ». Aux familles qui pensent qu’il tente de les dissuader de poursuivre leur combat pour la vérité et la justice, Maître Ksentini répond « jamais de la vie, je ne me le permettrais ! Je n’ai jamais refusé de les recevoir et de discuter avec elles, je n’ai employé aucun moyen immoral pour les obliger à accepter quoi que ce soit ».

Les familles de disparus peinent, en effet, à faire entendre leur voix. «L’Etat a préféré s’occuper des terroristes, il leur a donné des droits que nous n’avons pas eu, il n’a aucune considération pour nous», disaient hier, des familles qui continuent de se regrouper tous les mercredis devant le siège de la commission, en espérant un jour que l’Etat daigne les regarder en face et décide d’actes politiques forts à leur égard. « Je n’ai jamais demandé que ces rassemblements cessent, si ça peut exorciser leur douleur… J’ai toujours revendiqué une solution à ce drame sur la base d’un dialogue et d’un compromis entre les deux parties. D’ailleurs, je leur ai toujours dit que je ne défends pas l’Etat contre vous mais je vous défends contre l’Etat ». Il note à cet effet que «même les indemnisations, que certaines familles ont acceptées, ont été difficiles à arracher. Rappelez-vous, en 2001, parler de disparus, c’était un tabou, les gens avaient peur».

Interrogé sur les raisons qui font que l’Algérie refuse à ce jour de ratifier la convention internationale contre les disparitions forcées, comme revendiquée par les associations des familles des disparus, le président de la commission dit simplement «je ne peux pas répondre à cette question, je ne connais pas ces raisons si elles existent». Mais, souligne-t-il, «si l’Algérie signe cette convention, je ne pourrais qu’applaudir. Ce serait une bonne chose».

Pour rappel, la CNCPPDH a été sommée de se conformer aux règles onusiennes en matière de légalité. « Nous conformons les statuts de la commission aux règles consacrées par les Nations unis, mais il faut savoir que ce sont les Nations unies qui ont changé leurs règles du jeu parce qu’il faut reconnaître qu’avant qu’on ne soit déclassé, on était classé conformément à des règles bien onusiennes », a indiqué Maître Ksentini.

Instituée par décret présidentiel, la CNCPPDH devra l’être désormais par une loi. En fait, la demande onusienne réclame plutôt l’indépendance de la commission vis-à-vis de la présidence de la République et des instances du pouvoir politique. «Ils demandent l’indépendance de la commission, nous l’avons toujours revendiquée. Mais vous savez qu’il y a plus de 70 commissions dans le monde qui ont les mêmes critères d’institution que celles de notre commission, ce sont des commissions d’Etat et personne ne trouve à redire ni ne discute de leur indépendance. Je ne comprends pas pourquoi ils le font pour l’Algérie», dit son président. Il estime qu’il n’y a rien d’incompatible entre le fait que l’Etat subventionne la commission et son indépendance. A «ceux qui prêtent à la commission beaucoup de pouvoirs qu’elle n’en a», il rappelle que «nous ne pouvons pas créer un Etat de droit, nous tous seuls, on peut y contribuer». Et même s’il répète que «nous sommes une commission d’influence», ce qui signifie que la commission pourrait influer sur la décision politique, il reconnaît qu’«on n’a pas toujours réussi à imposer notre point de vue dans tous les cas. Nous l’avons réussi peut-être pour 60 % des cas». Maître Ksentini, dont le mandat prendra fin «dans 18 mois », rappellera toujours que «les droits de l’Homme, c’est une culture !».