Les ossements d’un disparu de Relizane reconnus par les siens
Hadj Smain montre les vêtements et ossements dans un charnier près de Sidi M’hamed Benaouda (Relizane)
(Photo privée)
Un k-way et un briquet ressortent du charnier
Les ossements d’un disparu de Relizane reconnus par les siens
Le Quotidien d’Oran, 28 décembre 2003
C’est un k-way vert et surtout le briquet qu’il contenait qui ont permis à la famille Saïdane de H’madna de reconnaître les ossements du père enlevé par la milice de Fergane en septembre 1996. Premier disparu parmi les 212 de la wilaya de Relizane dont la dépouille est exhumée d’un charnier, la découverte révélée hier à Alger par la LADDH marque un tournant dans le drame des disparitions forcées.
C’est le moment tant redouté. Les mères de disparus conviées à la conférence de presse de la Ligue algérienne de la défense des droits de l’homme (LADDH) savaient depuis le matin de quoi il s’agissait. Lorsque Maître Ali Yahia Abdenour, président de la LADDH, cède, après un rappel du contexte, la parole à Hadj Smaïn, son responsable du bureau de Relizane, quelque chose se tend soudain dans l’atmosphère de la petite salle de réunion du siège algérois de la LADDH. Un magnétoscope est mis en route. Il n’y a pas de préambule. Des ossements humains au ras du sol, des habits décolorés. Hadj Smaïn explique au fur et à mesure: «Nous sommes à quelques mètres du charnier localisé en 2001, à trois kilomètres au sud de Sidi M’hamed Benaouda. Des citoyens nous ont appelés. Il y avait un os humain qui dépassait du sol. Nous avons fait vite. Nous avons déterré, filmé et photographié et nous avons ramené seulement la tenue, une abaya, et un pantalon de survêtement vert, un k-way». Un parent de disparu tend un sachet à Hadj Smaïn. Ce sont les habits de la victime.
Jamais depuis que le drame des disparitions forcées qui ont fait irruption dans le champ public en 1997, la présence d’un disparu n’aura été une sensation aussi palpable. Ses ossements à l’écran et sur le panneau des photos, ses effets vestimentaires là dans la salle. Maître Ali Yahia avait beau prévenir que ce que nous allions montrer «ne signifie pas pour nous que tous les disparus sont morts», l’émotion est trop forte. A l’arrière de la salle, des mères de disparus en sanglots s’éclipsent vers le couloir. Le jeune M’hamed s’avance alors, la tête baissée devant les crépitements des appareils. C’est le fils de la victime, Saïdane El-Hadj Lakhdar, enlevé à El-H’madna en septembre 96. «Nous avons reconnu le pantalon de k-way vert. C’est mon frère qui l’avait acheté. Mon père le portait le matin de son enlèvement. Il avait le troisième bouton pressoir de la jambe gauche qui manquait. Et je me rappelle, la veille, nous avions chauffé un tuyau de caoutchouc, mon père avait gardé le briquet dans sa poche. Il avait aussi son permis de conduire et de l’argent dans la poche de la abaya. Ils n’y sont plus. Mais le briquet est là». «Nous avons discrètement invité tour à tour les familles dont la victime était habillée en survêtement le jour de son enlèvement à venir identifier ce que nous avions ramené de Sidi M’hamed Benaouda», raconte alors Hadj Smaïn. «Lorsque l’épouse de Saïdane est venue de H’madna et qu’elle a vu le k-way vert, elle s’est évanouie aussitôt».
La voix calme, l’émotion contenue, Saïdane M’hamed a continué à donner des détails qui ne font aucun doute à ses yeux sur l’identité des ossements exhumés à Sidi M’hamed Benaouda. «Nous avons déjà déposé plainte une première fois contre les éléments de la milice de Fergane-ancien maire de Relizane – qui l’ont enlevé. Cela est resté sans suite. Nous allons saisir la justice à nouveau avec ces éléments nouveaux». Maître Ali Yahia Abdenour a ajouté que la LADDH se portera partie civile.
Hadj Smaïn n’a pas pu établir le nombre exact de victimes dont les ossements se trouvaient sur le site où il a exhumé, avec d’autres parents de disparus, les ossements de Saïdane El-Hadj Abed: «J’ai été déjà arrêté par la gendarmerie pour avoir filmé les traces à la surface d’un charnier voisin. On ne pouvait donc pas s’attarder sur les lieux. Il appartient maintenant aux autorités de faire le nécessaire. La preuve est faite que ces charniers contiennent bien des personnes enlevées par la milice de Fergane». Ce à quoi le président de la LADDH, Maître Ali Yahia Abdenour, ajoutera: «La vérité au sujet des disparus commence à apparaître. Il faut que le président Bouteflika dise aux familles ce que sont devenus les disparus. S’ils sont vivants, il doit le dire. S’ils sont morts, il doit aussi le dire et les laisser faire leur deuil». Plusieurs ONG, partis politiques et personnalités nationales avaient été conviés à la présentation publique des effets de Saïdane El Hadj Abed et du document vidéo montrant le charnier où ils ont été retrouvés, une première dans le dossier des disparus. Peu ont répondu à l’appel. Maître Farouk Ksentini, président de la commission ad hoc chargé de ce dossier, invité mais absent, a toutefois demandé à rencontrer Maître Ali Yahia.
El Kadi Ihsane
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DISPARUS
Un charnier découvert à Relizane
El Watan, 28 décembre 2003
La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a organisé hier au niveau de son siège à Alger une conférence de presse qu’a animée Me Ali Yahia Abdennour.
Une rencontre à laquelle ont également assisté des associations de disparus, dont l’Association nationale des familles de disparus (ANFD), SOS disparus ainsi que les familles de disparus de la wilaya de Relizane. Le thème central tournait autour de la découverte de charniers dans cette wilaya. M. Hadj Smaïn, responsable de la LADDH à Relizane et déjà «découvreur» de plusieurs autres charniers par le passé, a pu démontrer, photos et vidéo à l’appui, l’existence d’un charnier. Les images tournées à la hâte montraient en effet un amoncellement d’ossements humains probablement charriés par les eaux de ruissellement. Avec ce squelette, se trouvaient des effets vestimentaires (une abaya et un pantalon de survêtement) et un briquet. Malgré cela, il a été possible à Hadj Smaïn d’identifier le corps qui est, selon lui, celui de Saïdane Abed. Ce dernier est porté disparu depuis le 9 septembre 1996. Son fils, présent à la conférence de presse, a pu donner des explications concernant son «enlèvement». «Mon père a été enlevé le 9 septembre à 9 h du matin devant son domicile, en ma présence et celle d’autres témoins. Il a été enlevé par Hadj Fergane, DEC de Relizane ainsi qu’avec Adda, Abed et les frères Benachir. Ils l’ont emmené dans un véhicule appartenant au parc communal de Relizane. Depuis, aucune trace de lui n’a été retrouvée jusqu’à ce que Hadj Smaïn l’identifie dans un charnier début novembre.» La vidéo, datée du 13 novembre, a été prise, selon Hadj Smaïn, à 3 km de la sortie sud de Sidi M’hamed Benaouda, au lieudit El Q’aïla, qui était la garnison de la milice de Fergane. Une plainte a été déposée au niveau du juge d’instruction afin que l’affaire soit tirée au clair et que justice soit faite. Autre témoignage poignant, celui de Rachedi Belkacem, fils de Rachedi Mohamed, disparu le 2 août 1996. En voulant établir l’attestation de disparition de son père, Rachedi Belkacem a été étonné de découvrir chez la police un procès-verbal attestant que le cadavre défiguré de son père avait été retrouvé le jour de sa disparition. «Des charniers seront probablement découverts à Constantine où un travail d’investigation de la part des familles de disparus a donné des résultats. Des lettres anonymes contenant des pièces d’identité de disparus sont parvenues à leurs familles dans la même région, ce qui prouve que les choses commencent à évoluer», affirme Ali Yahia Abdennour. «On se demande ce que pourra faire la commission ad hoc installée par la Présidence dans la mesure où cette commission n’a pas latitude d’investiguer ou d’interroger la police, le DRS, la gendarmerie, la justice et les familles de disparus, seuls détenteurs de la vérité», relève-t-il. «Nous lançons un appel aux candidats à la présidentielle pour qu’ils se prononcent publiquement au sujet du respect des droits humains et des libertés individuelles», conclut Me Ali Yahia.
Par Akram Kharief
Voir aussi:
Les milices dans la nouvelle guerre d’Algérie (12/03)