Le Comité des droits de l’homme des Nations unies condamne l’Algérie dans une nouvelle affaire de disparition forcée

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies condamne l’Algérie dans une nouvelle affaire de disparition forcée soumise par TRIAL Genève, 11 janvier 2013

Constatations du Comité

Le Comité des Nations unies a récemment condamné l’Algérie pour un nouveau cas de disparition forcée. En août 1996, M. Bouzid Mezine, un chauffeur de taxi âgé de 32 ans, a été victime de disparition forcée lors d’une opération de police dans son quartier. Il n’a pas été revu depuis. Ce cas est le sixième que TRIAL gagne contre l’Algérie.

Pendant plus de dix ans, les proches de M. Mezine se sont adressés à toutes les autorités compétentes pour élucider le sort du disparu mais sans succès. Un ex-détenu de la prison militaire de Blida a rapporté l’avoir vu deux mois après son arrestation. Malgré les efforts constants de la famille, les autorités algériennes n’ont réussi à fournir aucune information sur le sort de M. Mezine, aucune enquête sérieuse n’a été ouverte et personne n’a jamais été poursuivi pour sa disparition forcée.

L’arrestation et la disparition de M. Mezine a eu lieu dans le contexte général des disparitions forcées de milliers de citoyens algériens aux mains de l’armée ou des services de sécurité de l’Etat lors de la guerre civile d’Algérie entre 1992 et 2002.

Depuis la promulgation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en février 2006, les proches du disparu se trouvent confrontés à l’interdiction légale de recourir à toute instance judiciaire, toute affaire relative à la période de la guerre civile algérienne étant irrecevable dans le système judiciaire algérien.

Dans sa décision, le Comité des droits de l’homme observe qu’en raison de la disparition forcée de Bouzid Mezine, l’Algérie a violé plusieurs dispositions du Pacte International relatif aux droits civils et politique, en particulier, le droit à la vie et le droit à ne pas être soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements. En vertu de ces violations, l’Algérie a également infligé aux membres de la famille de la personne disparue un traitement inadmissible en provoquant des souffrances psychologiques qu’il leur a fallu surmonter.

Le Comité demande maintenant à l’Algérie de «mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de M. Bouzid Mezine». L’Algérie doit également « fournir aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de son enquête », « le libérer immédiatement s’ils est toujours détenu au secret » ou « restituer sa dépouille à sa famille » en cas de décès. Le Comité insiste par ailleurs sur l’obligation qu’a l’Algérie de « poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises ». L’Algérie doit également indemniser de manière appropriée la famille de la victime pour les violations subies.

L’Algérie doit par ailleurs garantir l’efficacité de son système judiciaire domestique, en particulier en ce qui concerne les victimes de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, et prendre des mesures pour éviter que de telles violations se reproduisent.

TRIAL salue la récente décision du Comité, en espérant qu’elle puisse finalement permettre d’établir la vérité sur les violations graves des droits de l’homme qui ont eu lieu durant le conflit interne algérien et faire une brèche dans le voile d’impunité qui protège encore les auteurs de ces crimes odieux.

Selon Philip Grant, Directeur de l’association TRIAL, «c’est parce que l’impunité a été érigée en pierre angulaire de la politique algérienne durant la dernière décennie, que les victimes des atrocités commises durant la guerre civile n’ont pas d’autre option que de recourir aux mécanismes internationaux des droits de l’homme pour obtenir justice. Les organes onusiens condamnent systématiquement l’Algérie pour ses manquements au droit international. Il est temps maintenant que les autorités algériennes respectent l’état de droit, qu’elles initient des enquêtes efficaces sur ces violations des droits de l’homme afin de dévoiler enfin la vérité sur ces tragédies, qu’elles jugent et condamnent les responsables des crimes et offrent une réparation équitable aux victimes. L’impunité ne peut plus être la règle en Algérie.»

Contexte

Cette affaire est la sixième soumise par TRIAL qui donne lieu à une décision. En 2011 et 2012, le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture avaient déjà condamné l’Algérie, respectivement, pour quatre affaires de disparitions forcées et un cas de décès sous la torture. Treize autres cas défendus par TRIAL sont actuellement pendants contre l’Algérie devant le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture.

Au total, TRIAL a soumis plus de 130 affaires devant différentes instances internationales (Cour européenne des droits de l’homme, Comité des droits de l’homme et Comité contre la torture), concernant des affaires de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et de torture en Algérie, Bosnie-Herzégovine, Burundi, Libye et Népal.


 

Disparition forcée de Bouzid MEZINE en août 1996

L’affaire

En mars 2008, TRIAL a saisi le Comité des droits de l’homme des Nations unies d’une communication individuelle pour le compte de Aîssa Mezine, agissant au nom de son frère, Bouzid Mezine. Ce dernier a été enlevé le 11 août 1996 entre 1 h. 30 et 2 h. de la nuit, à Alger, dans le cadre d’une opération de ratissage. Il est porté disparu depuis. Ce cas s’insère dans le contexte des disparitions de milliers de citoyens algériens aux mains de l’armée et des différents corps de sécurité du pays entre 1992 et 1998.

Bouzid Mezine a été enlevé de son domicile par un détachement de membres de l’armée nationale en présence de sa famille et dans le cadre d’une opération de ratissage dans le quartier. Les militaires ont également procédé à la perquisition de l’appartement.

Depuis son arrestation, et malgré des efforts constants, les proches du disparu n’ont pas réussi à connaître son sort. Un ancien codétenu a signalé l’avoir vu à la prison militaire de Blida deux mois après l’enlèvement; un militaire aurait confirmé cette information à la famille.

Les membres de la famille Mezine se sont adressés à toutes les institutions compétentes pour retrouver Bouzid Mezine et le placer sous la protection de la loi. Ainsi, la période légale de garde à vue écoulée, ils ont tenté, sans succès, de s’enquérir de sa situation auprès des différentes casernes, commissariats et parquets de la région. Le père du disparu a saisi du cas de son fils le procureur du tribunal de Hussein Dey et d’Alger, ainsi que le procureur militaire de Blida. Ce dernier aurait ouvert une enquête officielle, mais n’a jamais, de fait, mené à bien aucune enquête sérieuse sur la disparition de Bouzid Mezine.

D’autre part, la famille a écrit aux diverses autorités gouvernementales, dont le Médiateur de la République, le Président de l’Observatoire national des droits de l’homme, le Président de la République et le Ministre de la justice. Aucune d’entre elles n’a fourni des informations sur le sort de la victime.

Enfin, le cas de Bouzid Mezine a également été transmis au Groupe de Travail sur les Disparitions forcés et involontaires. Cette procédure spéciale n’a pas davantage permis d’éclaircir ce qui a pu arriver au disparu, l’Etat ayant omis de répondre aux requêtes qui lui ont été adressées.

De surcroît, les proches du disparu se trouvent confrontés, depuis la promulgation de l’Ordonnance n°6/01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en février 2006, à l’interdiction légale de recourir à toute instance judiciaire, au risque d’encourir une peine de prison. Par ailleurs, toute juridiction algérienne est tenue de se dessaisir face à un tel cas.

L’auteur de la communication demande au Comité des droits de l’homme de reconnaître que Bouzid Mezine a été victime d’une disparition forcée, un crime qui porte atteinte aux droits les plus fondamentaux, tels que garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Il sollicite que soient reconnues des violations des articles 2 § 3, 6 § 1, 7, 9 §§ 1, 2, 3 et 4, 10 § 1, 16 et 17 § 1 du PIDCP sur la personne de Bouzid Mezine, et que soit reconnue une violation envers elle-même des articles 2 § 3 et 7 du PIDCP, pour les souffrances psychologiques endurées par tant d’années d’incertitude sur le sort de son fils.

La procédure est actuellement en cours devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies.

Le contexte général

7’000 à 20’000 personnes, selon les différentes sources ont été arrêtées ou enlevées par les services de sécurité algériens, tout corps confondus, ainsi que par les milices armées par le gouvernement entre 1992 et 1998 et sont portées disparues.

A ce jour, aucune familles des victimes de disparitions forcées n’a reçu d’information sur le sort de leurs proches, aucune enquête n’a jamais été ouverte à la suite des plaintes et démarches qu’elles ont effectuées, et, bien que les auteurs et les commanditaires de ces crimes soient connus, aucun d’eux n’a jamais été poursuivi ou inquiété.