L’affaire de l’enlèvement d’Achour Berkaoui en face de la présidence d’El Mouradia, devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU
Alkarama, 10 juin 2015
En février 2015, la famille d’Achour Berkaoui, disparu depuis son enlèvement par des agents des services de sécurité algériens en plein centre d’Alger en novembre 1994, a mandaté Alkarama pour présenter une plainte au Comité des Droits de l’Homme (CDH) des Nations Unies concernant la disparition de leur proche dans le but de faire reconnaître officiellement l’implication directe des autorités algériennes ainsi que d’obtenir réparation comme le prévoit le droit international.
Contexte
L’arrestation de ce militant du Front Islamique du Salut (FIS) a eu lieu dans le contexte de la guerre civile qui a suivi l’annulation du second tour des élections législatives – les premières élections libres et pluralistes organisées par le gouvernement – que le FIS était en passe de remporter avec deux tiers des sièges, mettant fin au règne du parti unique du Front de Libération Nationale de près de 30 ans. Suite au coup d’état militaire de janvier 1992, des agents de l’État algérien – agents du Département Renseignement et Sécurité (DRS), de la police, de l’armée et milices gouvernementales – se sont rendus responsables d’une longue série de graves violations des droits de l’homme, en particulier d’exécutions sommaires, d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées.
Entre 1992 et 1998, la guerre civile aura fait plus de 150 000 morts et entre 8 000 et 20 000 disparus imputables directement aux agents de l’État, au sens de l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (CED), qui entend par « disparition forcée » « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État […], suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ».
Les faits
Le 20 novembre 1994, Achour Berkaoui, un père de 33 ans et agent des impôts dans la commune d’El Mouradia dans la Wilaya d’Alger, a été enlevé à 7h30 du matin par des agents en uniforme et en civil, à la station de bus en face du palais présidentiel d’Alger. Arrivés sur les lieux à bord de deux voitures de police de marque Nissan ainsi que d’une voiture banalisée de marque Peugeot, les agents, dont certains cagoulés, ont immédiatement arrêté et menotté Achour, avant de le forcer à rentrer dans le coffre arrière de l’un de leurs véhicules l’emmenant vers une destination inconnue.
Informée une semaine plus tard qu’il se trouvait au commissariat de police d’Al Madania où il avait été sévèrement torturé, son épouse s’y est rendue mais les policiers présents ont nié le détenir. C’est de la bouche de ces mêmes policiers qu’elle apprendra pourtant officieusement, quelques semaines plus tard que son époux avait été transféré à Châteauneuf, l’école de police de Ben Aknoun, un des centres de torture et de détention au secret le plus important d’Alger.
N’ayant jamais obtenu de confirmation officielle de sa détention ni été autorisé à lui rendre visite, sa famille a alors entrepris de nombreuses démarches afin de savoir où il se trouvait, saisissant notamment le Procureur de la République ainsi que l’Observatoire National des Droit de l’Homme, remplacé en octobre 2001 par la Commission Nationale Consultative de Protection et de Promotion des Droits de l’Homme (CNCPPDH), la première Institution nationale des droits de l’homme (INDH) algérienne. Ni le Procureur, ni l’ONDH, ni aucune instance gouvernementale n’ont cependant donné suite aux demandes incessantes de la famille Berkaoui. Cela fait maintenant 21 ans qu’Achour est disparu.
Plainte au Comité des droits de l’homme (CDH) onusien
Devant la mauvaise foi évidente des autorités algériennes à faire la lumière sur le sort d’Achour Berkaoui, et suite à son incapacité d’obtenir justice et réparation dans son pays, sa famille a donc fait appel à Alkarama afin de les représenter devant le CDH dans le but d’obtenir la reconnaissance officielle de la responsabilité des autorités algériennes dans la disparition de leur proche, ou qu’à tout le moins une véritable enquête soit ouverte sur son cas.
Dans les six derniers mois, le CDH a rendu quatre décisions condamnant l’Algérie à la suite de plaintes soumises par Alkarama, reconnaissant ainsi les multiples violations à l’égard des victimes et les années de souffrance de leurs proches comme dans les cas de la famille Bourefis, des frères Fedsi, de Lakhdar Bouzenia et de Nedjma Bouzaout.
Par ailleurs, suite à une décision du CDH condamnant un État pour de graves violations du Pacte international aux droits civils et politiques (PIDCP) – ratifié par l’Algérie en septembre 1989 – l’État dispose de six mois pour informer le CDH des mesures prises pour mettre en œuvre la-dite décision qui sera publiée dans le rapport du CDH à l’Assemblée générale des Nations Unies (UNGA) à New-York lors de sa prochaine session.
Il semble cependant particulièrement inquiétant qu’à la suite de ces décisions, les services de sécurité algériens aient convoqué les familles des plaignants pour les interroger au sujet de ces plaintes dans une opération qui s’apparente plus à des mesures d’intimidation et de représailles qu’à une réelle volonté de mettre en œuvre les décisions onusiennes et de mettre un terme aux souffrances des familles concernées. Alkarama n’a pas manqué de dénoncer ces pratiques et d’en informer les experts du Comité des droits de l’homme en date du 26 mars 2015.
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