Nourredine Belmouhoub: Les ex-internés des camps de concentration attendent toujours une reconnaissance officielle

Les ex-internés des camps de concentration attendent toujours une reconnaissance officielle

Nourredine Belmouhoub, porte parole du Comité de défense des ex-internés des camps de sûreté (CDICS) a bien voulu répondre par écrit aux questions d’Algeria-Watch.

Algeria-Watch, 25 juillet 2010

Quand exactement ont commencé les internements (après le putsch)? Etait ce après la promulgation du décret sur l’état d’urgence le 9 février 1992 ou déjà avant?

En vérité, les internements ont débuté bien avant l’arrêt du processus électoral du 11 Janvier 1992 et de la promulgation de l’état d’urgence le 9 février, cependant le Comité de défense des internés des camps du Sud est axé sur les internements dans des camps de concentration en zones irradiées qui ont été ordonnés après l’arrêt du processus démocratique. Des citoyens algériens ont été arrêtés sans mandat et brutalement, pour être transférés de caserne en caserne, et finir par être séquestrés dans des camps implantés dans une zone ayant servie aux essais nucléaires, bactériologiques et chimiques, formant le triangle de la mort, située ente Reggane, Oued Namous et In M’guel.

Quelle sont les bases légales ayant justifié ces internements? Les concernés ont ils reçu une notification? Avaient ils la possibilité de s’opposer par un recours? Etaient ils informés de cette possibilité?
Combien même le concept de justice se fonde sur le respect des droits de chaque individu, comme le proclame la Déclaration Universelle de Droits de l’Homme : « La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde »

Tout individu a droit à la liberté, donc juridiquement, nul ne peut ni ne doit être privé de sa liberté que pour des motifs, et conformément à des procédures, prévus par la loi. Notamment, seules sont autorisées les mesures d’arrestation ou de détention, conformes à la loi, celles-ci ne devant pas être arbitraires et ne pouvant être appliquées que par des personnes habilitées à cet effet. Ce sage raisonnement fut délibérément bafoué en Algérie après l’arrêt du processus électoral, quand des milliers de citoyens algériens ont fait l’objet d’arrestations hors de tout cadre juridique légal, pour être internés dans des camps de concentration qui défient la raison et la loi.

Ordonnées par un pouvoir exécutif issu d’un détournement du choix et de la volonté populaire, avec le consentement d’un pouvoir législatif non élu, exécutées par des groupes paramilitaires non habilités, avec l’appui et l’aval des forces de sécurité, sous couvert d’une autorité collégiale non représentative, ces arrestations absolument arbitraires constituent un défi et une violation :
– Au droit à la liberté en violation de l’art. 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (D.U.D.H), de l’art. 9-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (P.I.D.C.P ) et de l’art. 6 de la Charte africaine des droits de l’Hhomme et des peuples.
– Au Principe 2 relatif à la détention, stipulant que : « Les mesures d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement ne sont appliquées qu’en stricte conformité avec les dispositions de la loi et par les autorités compétentes, habilitées à cet effet ».

Toute personne arrêtée ou mise en détention doit, en vertu de l’art. 9-2 du P.I.D.C.P, être immédiatement informée des raisons de son arrestation ou de sa détention et de ses droits. Elle doit être informée rapidement des charges retenues contre elle. Cette information étant indispensable pour lui permettre de contester la légalité de son arrestation ou de sa détention. Les raisons invoquées doivent donc être précises, elles doivent fournir une explication claire du fondement légal et des faits matériels à l’origine de l’arrestation ou de la détention. Regrettablement aucun de ces principes n’a été respecté dans le cas des personnes internées dans les camps de la mort, combien même le droit de toute personne privée de sa liberté d’être traitée avec humanité est garanti par de nombreuses normes internationales.

Le choix « calculé » des lieux de détention à forte teneur de radioactivité, bien que toute personne privée de liberté a le droit de n’être retenue, que dans un lieu officiellement reconnu,en vertu d’une ordonnance de mise en détention dans les formes prescrites par la loi, est une preuve suffisante du mauvais traitement des personnes arbitrairement internées, qui témoigne d’un mépris pour la dignité humaine d’une intensité cruelle, et qui fait fi des engagements auxquels l’Algérie à souscrit.

Arrêtées sans raison, sans nulle preuve, ni mandat, les personnes injustement internées dans les camps du Sud, ont été remises en « semi-liberté » sans inculpation et sans procès, alors que la norme applicable est clairement énoncée par l’art.10 de la D.U.D.H : « Toute personne a droit en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial qui décidera soit de ses droits et obligation, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Combien même le droit d’être jugé par un tribunal conforme aux normes décrites par l’art. 10 de la D.U.D.H est tellement fondamental, et bien qu’il fut déclaré par le Comité des droits de l’homme comme un droit absolu qui ne peut souffrir d’aucune exception, dans le cas ici présenté ce droit a été bafoué, prouvant l’abus de pouvoir, les arrestations et la détention arbitraire de milliers de personnes.

Quelles sont les catégories de personnes touchées par ces mesures répressives?
Il y avait évidemment des élus du Front Islamique du Salut, mais la folie janviériste a servi à des règlements de compte personnels. Le tribalisme et le régionalisme ont tenu un rôle, mais beaucoup de personnes ont fait l’objet d’une arrestation selon l’humeur et le sens de méchanceté gratuite des uns. Ce qui est troublant,c’est le nombre de moudjahidines, de fils de ces derniers et particulièrement celui des enfants de chouhada arrêtés. Pourquoi? la question reste posée…

Comment se sont déroulées les déportations? quel a été le traitement infligé aux hommes arrêtés?
Les arrestations comme la déportation de milliers de citoyens dont le seul crime est d’avoir accompli un devoir électoral, se sont déroulées d’une manière où le mot « humain » ne tient aucune place. La provocation par un langage roturier, frisant l’hystérie, les traitements brutaux et inhumains, étaient quotidiens.

Quelles étaient les infrastructures d’internement dans le sud (quels endroits et capacité de chaque camp)?
Les lieux ayant servi à l’internement de milliers de citoyens (plus de 24 000) ont été sélectionnés particulièrement en raison de leur nocivité radioactive. La capacité des camps variait entre 1 500 et 3 500 personnes. Les personnes y ont subi des températures de -05° la nuit à +55° le jour, sous des tentes . L’eau, bien que disponible, était servie au compte goutte (quelques litres pour plusieurs internés).

Quelles étaient les conditions de détention? Traitement par les geôliers (militaires?)? Visite de familles et avocats, examens médicaux, etc.
En plus du rationnement « calculé » de l’eau, la nourriture était digne de ceux qui l’ont choisie pour nous. Quant aux traitements, des militaires sont allés jusqu’à user de leurs armes de guerre et il y a eu mort d’homme à In M’guel et à Reggane. Le fait marquant est qu’à Reggane, un détenu, ancien combattant de la guerre d’Algérie, ayant perdu une jambe au cours d’un accrochage avec des troupes coloniales, a été froidement assassiné par un militaire, il s’agit de Hadj HADRI de Sidi Bel Abbes. Voilà un peu l’image des camps de la honte.

Officiellement il est dit que le dernier camp a été fermé en novembre 1995. Pouvez vous confirmer?
Oui officiellement, les dernier internés ont été libérés fin 1995. Quant à la fermeture des camps, celui de Reggane qui existe depuis la nuit coloniale, a survécu après l’indépendance, des Algériens y ont été séquestrés, alors dire que les camps sont fermés définitivement, je n’oserais pas le dire, car tant que la démocratie est au stade de slogan creux chez nous, « Koulichi moumken » (tout est possible).

Puisque personne n’était jugé, sur quelle base s’effectuait la libération ?
Une dictature ne s’embarrasse jamais de la légalité. Les libérations se sont succédées selon le bon vouloir et les caprices des décideurs et de leurs conseillers.

Quels problèmes ont rencontrés les personnes détenues après leur sortie?
Les personnes arbitrairement internées dans les camps de la honte ont été assignées à résidence, avec obligation d’émarger deux fois par jour soit dans une brigade de la gendarmerie, ou alors dans un commissariat de la République du million de martyrs. Bien entendu, avec les brimades de la part de certains « représentants des dictateurs ». Personnellement, j’ai été victime d’une tentative de meurtre, le 10 mai 1996, commise par un membre des Groupes dits de légitime défense (milices), mon épouse a été assassinée par des militaires (balles perdues). J’ai été arrêté en mai 1997, torturé, emprisonné à la prison de Serkadji pour avoir dénoncé des disparitions forcées, et j’ai été jugé par la Cour criminelle d’Alger en février 1998, puis en juin 2000 pour atteinte à la sécurité de l’Etat. A chaque fois j’ai obtenu la relaxe.

Les problèmes rencontrés par les personnes détenues après leur sortie sont multiples et multidimensionnels :
– Assignation à résidence.
– Isolement dans de nombreux cas de la part des proches et des amis, peut-être par peur, mais pour les concernés, c’est une expérience douloureuse.
– Perte de l’emploi ou du commerce, ce qui a plongé un grand nombre dans un état de précarité sans précédent.
– Restriction du droit à la libre circulation (refus de délivrance de passeport).
– Manque de soins et de couverture médicale appropriée aux séquelles dues aux effets de la radioactivité.
– Décès suite à des radios pathologies induites, cancers divers, leucémie, baisse de la vue, défection de la dentition, des divorces, déscolarisation des enfants de personnes internées, et d’orphelins de ceux décédés, par manque de moyens.
– Troubles psychologiques et mentaux, etc.…

Combien de personnes ont déposé plainte et quelles ont été les suites?
J’ai déposé plainte contre le général major et ministre de la défense nationale Khaled NEZZAR le 28 août 2001 auprès du Parquet d’Alger. Je ne m’attendais pas à ce que la justice assume ses responsabilités, ma plainte est en hibernation à ce jour. Trois autres internés ont vu leurs plaintes rejetées (en 2010).

Parlez nous des sites contaminés où ont été placés ces camps et des répercussions sur les détenus.
REGGANE a servi de base expérimentale aux bombes « Gerboises » et de ce fait la radioactivité pollue la région de Reggane.

IN M’GUEL : situé non loin de ma montagne Taourirt Tan Affela dans la Région du Hoggar. 13 essais ont eut lieu avant et après l’indépendance, dont quatre n’ont pas été maîtrisés, particulièrement Béryl qui a fait que la région de In M’guel est contaminée à outrance.

OUED NAMOUS dans la région de Béchar a servi aux essais chimiques et bactériologiques, et les internés ont été détenus dans les hangars ayant servis a cet effet.

Les accords d’Evian contenaient des clauses annexes dites « secrètes » autorisant la présence française cinq années de plus (après la date de l’indépendance). Ce délai était nécessaire à la France pour achever le programme de Force de frappe mené par de Gaulle et par son prédécesseur à la suite du changement d’équilibre géostratégique survenu au cours de la crise de Suez. La présence militaire et scientifique française dans le Sahara permettait d’assurer le développement et l’expérimentation d’un nouveau type d’armement. Fusées, bombes atomiques, armes chimiques et bactériologiques de la base secrète B2-Namous ont été testées jusqu’en 1967 avec le plein accord des autorités algériennes. Le Centre Saharien d’Expérimentations Militaires (CSEM), une base de vie, où travaillaient 10.000 personnes, civiles et militaires était située à 15 km de Reggane. Une relativement importante population sédentaire notable se trouvait au Nord de Reggane et dans la vallée du Touat. C’est là qu’ont eu lieu les quatre premiers tirs atmosphériques du 13 février 1960 au 25 avril 1961.

En raison des conséquences des essais atmosphériques dans un rayon de 3000km, ils ont été abandonnés pour procéder à des essais souterrains en galerie. Le choix s’est porté sur la montagne de granit Taourirt Tan Afella à proximité d’In Ekker, à 150 kms au nord de Tamanrasset, où a été établi le Centre d’expérimentations militaires des oasis (CEMO) composé de 2000 personnes. Selon l’estimation de l’époque, la population sédentaire vivant dans un rayon de 100 kms autour d’In Ekker ne dépassait pas les 2000 habitants, les nomades n’étant pas pris en compte. Le massif a un pourtour de 40 kms environ et se situe entre 1500m et 2000 m d’altitude, le plateau environnant étant à 1000 m d’altitude. Les tirs avaient lieu au fond de galeries creusées horizontalement dans la montagne. Entre le 3 novembre 1961 et le 16 février 1966, il a ainsi été procédé à 13 tirs . Selon la version officielle, reprise par le rapport du sénat français, 4 essais souterrains sur 13 n’ont pas été totalement contenus ou confinés : Béryl, Améthyste, Rubis et Jade.

En remettant les sites du CSEM et du CEMO aux autorités algériennes dans le courant de l’année 1967, conformément aux accords d’Evian, les autorités françaises ont prétendu qu’il avait été procédé au démontage de l’ensemble des installations techniques, au nettoyage et à l’obturation des galeries, ce qui est absolument faux.

En 2005, sur la base de l’ensemble des données, le rapport établi par l’AIEA a conclu, compte tenu du niveau de la radioactivité résiduelle des sites de Gerboise blanche, Gerboise bleue, (Reggane) Béryl et Améthyste (In M’guel), qu’il était nécessaire de procéder à un assainissement des sites, d’élaborer une cartographie plus précise de la contamination en vue de réaliser une estimation des doses susceptibles d’être reçues.
Les conclusions de ce rapport recommandent aux autorités algériennes d’interdire l’accès aux zones des quatre essais précités et de les assainir si les activités économiques de la région venaient à évoluer. C’est à cet endroits qu’a été installé le camp de concentration d’In M’ guel –Tamanrasset – ou des milliers de citoyens seront arbitrairement internés en février 1992.

Vous vous êtes adressés à l’institution présidée par Me Ksentini. Que dit ce dernier au sujet de ce problème et est il intervenu auprès des autorités?
Farouk KSENTINI n’a même pas daigné répondre négativement aux demandes d’audience que le CDICS lui a adressées, Il se contente de faire des déclarations de complaisance, propres à sa mission consultative, sans plus. Nous n’attendons absolument rien de la CNCPPDH.

Comment menez vous votre combat concrètement sur le terrain?
Sincèrement les choses ne sont pas faciles, sur un terrain où les gens ont encore peur, où la société civile budgétivore continue à nous taxer de terroristes pour plaire, où la presse semble être moulée avec des matériaux de faussaires, donnant plus l’impression d’une info imposture, que d’une corporation soucieuse de sa perfectibilité, de l’Ethique et de la Déontologie, d’une profession sensée être une Mission; un Art et un Devoir.

Le Comité ne baissera pas les bras même si nous n’avons aucun moyen, rien ne nous arrêtera, ma volonté est plus forte. Nous aimerions être hébergé par un Site électronique qui se respecte, Ancien collaborateur de Maitre Mahmoud KHELILI, je pense qu’Algeria-Watch, pourrait…….nous tendre la main. 

Vous demandez un statut spécifique dans le cadre de la politique de réconciliation nationale, quelles sont vos revendications? Ne craignez vous pas, en vous référant à ce cadre, devoir en accepter les termes qui sont ceux d’offre d’indemnisations à condition d’abandonner la vérité et la justice? Quelle est la réaction des pouvoirs publics à ce jour?
Le CDICS, qui a été créé le 18 mars 2009, exige une reconnaissance Morale d’abord et inconditionnelle, Nous demandons à être intégrés dans la Charte pour la paix et la réconciliation nationale pour répondre à l’exclusion dont nous faisons l’objet, une exclusion, dont le but serait de dissimuler deux choses :
– La première, le crime contre l’humanité dont nous fumes victimes
– La seconde détourner l’attention sur le fait que les accords dits d’Evian, ont permis à la France coloniale de continuer à polluer un pays pour lequel se sont sacrifiés des centaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens.

L’état d’abandon sans précédent dans lequel sont plongés des orphelins et les veuves de nos co-internés qui ont rendu l’âme suite à des radios pathologies induites dues aux irradiations, ne peuvent ni ne doivent laisser indifférent le CDICS qui ira le plus loin possible quel qu’en soit le prix pour que la vérité soit connue et justice rendue, ce à la mémoire des martyrs des camps de la honte.