Le facteur aux abonnés absents

La grève des postiers persiste

Le facteur aux abonnés absents

El Watan, 7 janvier 2013

Ils étaient plus d’une centaine de postiers, caissiers, receveurs et autres agents à avoir fait le déplacement, hier, pour participer à un sit-in devant la Grande-Poste. Et ils n’en démordent pas : ils iront jusqu’au bout de leur bras de fer avec l’administration. Ils demandent l’application de la convention collective, ainsi que de meilleures conditions de travail et de sécurité.

En grève ? Et je fais comment maintenant ? Il ne manquait plus que ça !», maugrée une dame en poussant la porte d’un bureau de poste à Alger. Fermé. Pratiquement l’ensemble des agences d’Algérie Poste de par le pays sont «hors service», cadenassées, voire leur l’entrée bloquée par des bancs métalliques. Depuis près d’une semaine que dure ce débrayage des travailleurs, les usagers n’en finissent pas d’être pénalisés. «Nous comprenons parfaitement qu’ils réclament leurs droits.»

Un service minimum n’aurait pas été un luxe ! Tout particulièrement pour tous ces vieux qui ne peuvent pas retirer leur pension de retraite», souffle une jeune femme en esquissant un regard vers une dame âgée debout devant le bureau de poste clos. Et lorsque la porte d’une agence est ouverte, un calme inhabituel y règne. Les salles sont vides et les guichets déserts. Pourtant, le personnel est présent.
Derrière les comptoirs, on discute, on commente le déroulement et les avancées de ce mouvement de protestation et on prend surtout le temps d’expliquer aux citoyens pourquoi ils doivent faire demi-tour. «Nous sommes désolés, mais le seul service qui fonctionne est le retrait électronique. De même, il y a deux ou trois postes à Alger qui assurent un service minimum», affirme un guichetier.

Ce dernier constate qu’une compréhension, voire même une solidarité, est manifestée par les usagers, même déçus. «Quand nous leur expliquons que nous sommes les premiers à pâtir de cette situation, ils se radoucissent. Imaginez donc rester de 8h jusqu’à 18h, assis à votre bureau sans rien faire», poursuit-il. «Bon courage pour la suite et je souhaite vraiment que vos revendications aboutissent !», lance d’ailleurs, en sortant de ce bureau, un jeune homme au poing levé. «Ils comprennent que nos revendications ne feront qu’améliorer le service», commente Saïd, inspecteur dans cette même agence. A 55 ans, il justifie de «près de 40 ans» de bons et loyaux services au sein d’Algérie Poste. «Et pour quoi ? Pour pas grand-chose, que ce soit matériellement ou moralement !», s’indigne-t-il, avant de poursuivre en haussant le ton : «Aujourd’hui, nous voulons faire en sorte que les choses s’améliorent et nous sommes traités comme des voyous.» En avisant une pile de boîtiers et casiers pleins de fiches jaunies, il lance : «Ils parlent de modernisation. Ils installent des machines qui coûtent des millions de dinars mais sans les activer !»

«Nous passerons la nuit s’il le faut !»

Si ce bureau est l’un des rares à être ouvert, il ne tardera pas à fermer. «Tous nos collègues du pays sont à la Grande-Poste et vous, vous êtes là à discuter !», ironise un agent qui invite énergiquement les autres travailleurs à prendre part à cette manifestation. Ils étaient plus d’une centaine de postiers, caissiers, receveurs et autres agents à avoir fait le déplacement, hier, pour assister à ce sit-in algérois. Venus de nombreuses wilayas de l’Intérieur du pays ou de la banlieue proche, ils n’en démordent pas : ils iront au bout de leur bras de fer avec l’administration. «Quitte à passer la nuit devant la centrale, à revenir demain, après-demain et jusqu’à totale satisfaction de nos revendications», claironne Tahar Ouarzki, caissier à Ben Aknoun, qui s’improvise coordinateur et porte-parole de ce mouvement.

Cette grève «spontanée», aucun préavis de grève n’ayant été déposé, a été déclarée illégale par la direction. «Il n’y a pas eu de préavis parce que nous ne sommes plus représentés par aucun syndicat», expliquent les manifestants. «Tout le monde ne parle que de cette prime de 30 000 DA en faisant notre seule revendication. Ce qui est totalement faux !», s’indigne un postier. «Ce que nous exigeons, c’est l’application de la convention collective telle que signée avec Algérie Poste», ajoute un autre gréviste. «Il y a, évidemment, des demandes salariales. Mais nous voulons aussi une révision des grades et des carrières, de meilleurs moyens et conditions d’exercice ainsi que la sécurité sur nos lieux de travail», énumère quant à lui un caissier.
Les manifestants affirment ainsi que cette grève tout comme leur sit-in à la Grande-Poste sont illimités et ne prendront fin qu’une fois toutes leurs revendications satisfaites.
Ce qui ne semble pas près d’arriver. La direction d’Algérie Poste a appelé ses employés, dans un communiqué, «à faire preuve de vigilance et de sagesse et à se rallier autour de leur entreprise en vue d’améliorer les prestations postales et relever le défi de manière à préserver l’image de la poste».
Ghania Lassal


Les bureaux paralysés à l’Ouest

A Tlemcen, tous les bureaux de poste étaient paralysés hier. Aucune prestation de service n’était assurée, même si des grévistes affirmaient que «le strict minimum était garanti».

Même chose pour les distributeurs automatiques de billets (DAB) qui étaient à l’arrêt. «Nous travaillons pour des salaires minables, dans des conditions lamentables, souvent dans l’insécurité et avec en prime le mépris de nos hauts responsables. C’en est trop», affirment les grévistes. Hier, le facteur n’est pas passé dans les quartiers. A Sidi Bel Abbès, un arrêt de travail «spontané» a été observé, hier, dans la plupart des bureaux de poste, à l’exception de la Grande Poste (recette principale). La grève des postiers déclenchée depuis quelques jours s’est sensiblement répercutée sur les usagers de la poste, même si un service minimum (paiement par distributeur automatique) est assuré dans la majorité des structures postales. Par contre, un gel total des activités, notamment des guichets, a été observé au niveau des bureaux de poste de Mostefa Ben Brahim, Sfisef, Ben Badis et de la plupart des bureaux du chef-lieu de wilaya.

A Tiaret, selon un responsable d’Algérie Poste, joint hier par téléphone, le taux de suivi de la grève des postiers est estimé à 35%. Selon cette source, 26 des 76 bureaux de poste étaient, hier, en grève. Certaines autres sources évoquent, en revanche, un taux plus élevé que celui annoncé par l’administration de la poste.
A Aïn Témouchent, au chef-lieu de wilaya, la poste de la cité Akid Abbès et le bureau de poste de la nouvelle ville Akid Othmane ont mis fin, hier, à la grève. Une grève toujours maintenue, toutefois, en son bastion le plus résolu qu’est la poste centrale. A la recette principale, on ne décolère pas, revendications collectives et spécifiques mêlées : «Nos collègues ont repris sous la pression, les menaces et notre lâchage par le syndicat. Ici, nous avons cotisé pour remettre en marche le chauffage central, partiellement d’ailleurs. Le réparateur sachant que c’était notre argent a refusé de le prendre. Quant aux climatiseurs installés flambant neufs, ils n’ont jamais fonctionné, nous obligeant à subir la canicule de l’été. Quant à la sécurité, elle est nulle. Nous subissons dans l’indifférence les insultes, les menaces et les agressions de toutes sortes.

Ni policier ni agent de sécurité pour nous protéger. En un mot, les conditions de travail sont déplorables. Et pour justifier la stagnation de nos revenus, on nous parle de déficit ! Existe-t-il réellement et s’il y en a, est-ce de notre faute ?» A Adrar, les postiers sont entrés, hier, en grève illimitée. Le service minimum n’est pas assuré. Les usagers n’ont pu effectuer aucune opération postière, notamment celle liée aux retraits et aux virements d’argent. A Mecheria, la grève des postiers a été largement suivie, tandis qu’à Aïn Sefra et Naâma, le débrayage a débuté, dans l’après-midi, suite à une réunion des représentants du syndicat. Enfin, à Saïda, les bureaux de poste sont sérieusement perturbés, depuis mercredi dernier, par un arrêt de travail des salariés d’Algérie Poste.

Les correspondants


Mila et Skikda : débrayage suivi à 80%

Dans la cour de la recette principale de Mila, nous avons rencontré une dizaine de fonctionnaires qui faisaient le pied de grue.

A l’intérieur du bâtiment, la plupart des guichets sont déserts. Quatre à cinq agents contractuels (CTA), selon nos informateurs, s’affairaient à l’exécution de quelques prestations dites de service minimum. Se basant sur des contacts établis, nos interlocuteurs affirment que «le débrayage est massivement suivi dans l’ensemble des grands centres urbains, atteignant le taux de 80%». Selon les explications avancées, «la grève déclenchée ce jour (hier) à partir de 9h30, est une initiative qui découle de la seule volonté des salariés désireux d’en finir avec les passe-droits et l’exclusion. Au niveau central (allusion à Alger), l’UGTA ne nous représente pas. Nous nous démarquons dudit syndicat qui ne défend que ses propres intérêts».

Craignant d’éventuelles représailles, deux travailleurs ont, sous le couvert de l’anonymat, donné libre court à leurs frustrations. «Nous cumulons respectivement 26 et 30 années en tant que facteurs sans bénéficier de la moindre promotion», tonnent-ils. Et de poursuivre : «Les avantages et l’évolution dans la carrière sont consentis aux pistonnés.» Dans le même veine, un guichetier ayant passé 32 ans à ce poste jure par tous les saints n’avoir bénéficié d’aucune avancée dans le grade. «Nous exigeons l’application stricte de la convention collective comportant 14 points et qui traîne depuis 2003», martèlent-ils.

A Skikda, la grève des travailleurs d’Algérie Poste a touché hier l’ensemble des bureaux de poste de la wilaya et la poste centrale ; les agents ont tous suivi le mot d’ordre de débrayage. «Ce sont les travailleurs qui ont décidé, spontanément et unanimement, d’appuyer leurs collègues à travers le territoire national. Nous ne pouvions rester en marge d’une telle action qui, pour une fois, place l’intérêt légitime des travailleurs en pole position», a déclaré une employée rencontrée à la poste centrale de Skikda. «Notre action n’obéit à aucune connotation ou mot d’ordre syndical. C’est un acte de solidarité», a-t-elle rajouté.

Khider Ouahab, Mahmoud Boumelih


TouaÏbia Houari, postier

«Après 21 ans de carrière, je ne touche que 38 000 DA !»

Touaibia Houari, 43 ans, travaille à Algérie Poste d’Oran depuis 1992. Après 21 ans de service, il touche, aujourd’hui, un salaire de 38 000DA.

Ouvrier professionnel de 3e catégorie, il a été, pour Algérie Poste, un «touche-à-tout» qui a fait le tour de tous les services. Il fait partie de ceux ayant décidé de «braver» à la fois la direction et la section syndicale d’Oran (UGTA) et de mener une grève illimitée jusqu’à obtenir gain de cause. Ses revendications, comme celles de ses camarades, se résument en 17 points. Parmi lesquels on trouve le rappel rétroactif depuis 2008, l’avancement du grade et le repositionnement. «Alors qu’Algérie Poste génère un argent monstre, la direction dit qu’elle est déficitaire !», ironise-t-il. Et d’ajouter : «L’avancement de grades est seulement pour les membres du syndicat.»

«A Oran, nous a-t-il affirmé, la direction et le syndicat sont complices. Où est la raison, quand le directeur est à la fois syndicaliste ?» Exemple patent : «Si le chef de centre te fait un PV, tu vas te plaindre au syndicat. Or, au syndicat, tu trouveras ce même chef de centre !» Il nous assure également qu’«il existe, au niveau national, 600 directeurs au service d’Algérie Poste. «Comment se fait-il que tous ces directeurs aient bénéficié de tous les avantages, ont été augmentés, ont touché leur rappel ? Dès lors qu’il s’agit de nous, travailleurs, on nous dit qu’il n’y a pas d’argent !» Il nous parle aussi de sa collègue, 54 ans, qui doit bientôt partir en retraite après avoir «mariné» dans ce métier depuis 1979 sans pour autant bénéficier d’un quelconque avancement de grade.

Akram El Kébir