Disparition de Hocine Ait Ahmed et anniversaire du putsch du 11 janvier 1992

Disparition de Hocine Ait Ahmed et anniversaire du putsch du 11 janvier 1992

par Omar Benderra, Algeria-Watch, 11 janvier 2016

Le triste anniversaire du coup d’État militaire du 11 janvier 1992 est marqué cette année par la disparition le 23 décembre 2015 du grand dirigeant et libérateur Hocine Aït-Ahmed. Architecte avec ses huit illustres compagnons du déclenchement, le 1er Novembre 1954, de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, Aït-Ahmed, dernier des « historiques », a consacré sa vie à la libération du peuple algérien.

De la lutte anticoloniale, dès les années 1940, au combat actuel pour la justice et les libertés, le leader disparu s’est dressé sa vie durant contre l’injustice et la domination. Pour Si Hocine, l’indépendance nationale n’était qu’une étape préliminaire, indispensable et fondatrice, d’un mouvement plus large : celui de l’émancipation du peuple et de l’instauration d’un État moderne, juste et efficace.

Un État aux antipodes de la dictature policière pleinement réinstallée par le putsch du 11 janvier 1992. Contre ce coup d’État, Hocine Aït-Ahmed, opposant de la première heure au régime d’oppression, s’est dressé de toute sa stature politique. Il appréhendait cette forfaiture en parfait connaisseur des arcanes de la vie politique algérienne, de ses acteurs publics ou tapis dans l’ombre.

Aït-Ahmed avait soutenu avec toute sa force de conviction l’orientation, introduite par la Constitution de 1989, vers le droit et les libertés. Il savait parfaitement que les forces de la régression, contraintes par les circonstances de l’accepter, n’avaient pas dit leur dernier mot. L’événement ne l’avait donc pas pris de cours : il avait compris d’emblée les soubassements déviants et les terribles conséquences pour le peuple algérien de ce 11 janvier 1992, aube première d’un règne épouvantable. L’océan de souffrances inouïes, jusqu’à la destruction morale de la société, qui en a découlé était inscrit dans la logique d’un acte perpétré par des conjurés, appuyés par des milieux antinationaux et antipopulaires en Algérie et à l’étranger.

Très naturellement et sans l’ombre d’une hésitation, Aït-Ahmed avait repoussé avec hauteur l’offre des conspirateurs qui souhaitaient lui confier – nominalement – les rênes du pays en tablant sur le fait que son indiscutable légitimité historique et son immense popularité conféreraient une apparence de respectabilité à leur pronunciamiento. C’était faire preuve d’inanité politique, de bien peu de sens psychologique et méconnaître grandement l’homme : Hocine Aït-Ahmed, en moudjahid authentique, n’était pas l’homme d’arrangements de coulisse ou de tractations d’arrière-cours. Tout son parcours en témoigne.

Car la dimension exceptionnelle d’Aït-Ahmed n’était pas seulement fondée sur la précocité de son engagement, sur la justesse de ses opinions et la fidélité à ses principes, mais aussi – surtout – sur son intégrité intransigeante et sa hauteur morale. Toutes caractéristiques radicalement étrangères, sinon incompréhensibles, aux acteurs de la dictature.

Cette différence irréconciliable de moralité, de culture et d’éducation est d’ailleurs illustrée par le comportement de certains de ces hommes qui assument au premier chef la responsabilité de la guerre contre les civils. Plutôt que de respecter une décente discrétion, l’un a osé se présenter nuitamment devant la dépouille du moudjahid et l’autre, cynique et sans vergogne, se répand en déclarations fallacieuses en démentant l’offre faite à l’opposant irréductible d’être le président d’une République dévoyée*…

Mais l’histoire a déjà jugé. Ces conduites coupables signent simplement le désarroi de ces hommes dont le seul triomphe est écrit avec le sang du peuple algérien.

Les vingt-quatre dernières années de l’existence de Hocine Ait Ahmed ont été entièrement vouées à la recherche d’une issue pacifique et juste à la crise générale ouverte par le coup d’Etat.

L’ère des putschistes a commencé par un bain de sang et des sommets absurdes de violence pour se perpétuer dans le vol et la corruption à grande échelle. Les conséquences de cette gestion criminelle sur la société algérienne et le pays sont d’une telle ampleur qu’il est vain de tenter de les dissimuler. Le constat est d’autant plus irréfutable que tous pressentent que ce qui risque de se produire pourrait être encore plus dévastateur que ce qui a déjà eu lieu. Comment admettre alors qu’un tel système puisse se prévaloir d’hommes illustres et de héros à la hauteur des luttes du peuple algérien ?

Aït-Ahmed n’a jamais voulu de funérailles officielles ni d’hommage pseudo-institutionnel. Son vœu a été respecté, il ne peut y avoir de captation d’héritage. Le peuple a accompagné son fils glorieux en empêchant toute tentative de récupération. Sa famille, ses camarades de parti, ses amis et les multitudes populaires ont conféré à ce retour ultime vers la terre natale une dimension de très grande intensité nationale, émouvante de sincérité, d’humanité et de simplicité. À mille lieues des cérémonials factices de la Kleptocratie.

Le peuple l’a manifesté avec éclat : Aït-Ahmed a rempli son engagement avec honneur. Plus encore, sa mort résonne comme un dernier discours pédagogique, une autre Algérie est possible, au service de ce peuple qu’il respectait tant. En effet, ce départ, à quelques jours du sinistre anniversaire du coup d’Etat, éclaire l’histoire d’un jour nouveau en remettant les populations et leurs expressions diverses au cœur de la longue lutte nationale pour la liberté et le droit.

Si les perspectives économiques et sociales n’incitent guère à la sérénité, la faillite morale et politique du régime du 11 janvier 1992 est clairement consommée. La vérité politique, si chère à Hocine Aït-Ahmed, s’impose à tous. En attendant que justice soit effectivement rendue et que la souveraineté soit enfin restituée au peuple algérien.

 

*Comment oublier cette réplique cinglante d’Aït-Ahmed au général Khaled Nezzar, en juillet 2002, lors du procès en diffamation intenté à Paris par ce dernier à l’auteur du livre La Sale Guerre : Général Khaled Nezzar.– M. Aït-Ahmed, je suis un peu dans votre logique d’une certaine manière, sauf qu’entre nous il y a un écart extraordinaire. C’est vrai, il y a un écart extraordinaire…
Hocine Aït-Ahmed.– Il y a un fleuve de sang !