Stop au harcèlement des familles de victimes en quête de vérité et de justice

Stop au harcèlement des familles de victimes en quête de vérité et de justice

Algeria-Watch, 25 mars 2015

Des membres de trois familles de disparus et de victimes d’exécutions sommaires ont été convoqués ce mois de mars 2015 par le procureur de la République du tribunal de Taher dans la wilaya de Jijel. Elle avaient toutes sollicité l’organisation Alkarama pour déposer plainte devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU après avoir épuisé tous les recours judiciaires internes. Le Comité a dans les trois cas rendu publiques ses constatations au cours de l’année 2014. Il y exige des autorités algériennes qu’elles mènent des enquêtes approfondies sur les circonstances des décès ou des disparitions. Comme aucune mesure n’a été prise de la part de l’Etat algérien, les familles concernées ont adressé en janvier 2015 une lettre au ministre de la justice le priant de mettre en application les recommandations de l’organe onusien. Elles subissent aujourd’hui des intimidations.

Le 11 mars 2015, Mme Zohra Boudehane épouse Bourefis (épouse et mère de disparus) et sa belle-fille (épouse de disparu) ont reçu une convocation du procureur de la république auprès du tribunal de Taher pour le jour même.

Mme Zohra Boudehane s’est rendue au tribunal accompagnée de son petit-fils. Le greffier, après vérification de son identité a établi un procès verbal. Il a affirmé que « ceux qui ont kidnappé ton mari et ton fils sont inconnus ». Mme Boudehane lui a rétorqué que l’armée était responsable de l’enlèvement de son mari Tahar le 23 août 1996 du domicile familial et la gendarmerie de celui de son fils Bachir qui l’a convoqué le 22 décembre 1996 et ne l’a pas libéré. Elle a expliqué que sa plainte devant la justice algérienne avait été classée sans suite et qu’en conséquence elle n’avait pas eu d’autre recours que de s’adresser au Comité des droits de l’homme de l’ONU. L’employé lui a répondu que les Nations-Unies étaient contre l’Algérie. Il lui a présenté le PV mais elle a refusé de le signer.

Sa belle-fille s’est également présentée au tribunal ce même jour, accompagnée de son fils. Après vérification de son identité, le greffier a écrit quelques phrases et lui a demandé de signer le PV. Lorsque son fils a voulu lire le texte, l’employé a refusé de lui remettre le document. Les deux ont alors quitté le bureau sans avoir signé le PV.

Les intimidations n’ont toutefois pas cessé. Le 21 mars, le fils et petit-fils des deux femmes qui se trouvait à son étal de fruits et légumes à 200 m de chez lui a été appréhendé par des gendarmes de la brigade du village de Moussa. Descendus de leurs véhicules officiels, ils ont d’abord vérifié son identité, puis lui ont demandé s’il était le petit garçon qui avait accompagné son père au moment de son arrestation au siège de la brigade de gendarmerie nationale du village Emir Abdelkader en 1996 ? Ils ont voulu ensuite savoir s’il connaissait le visage de l’adjudant-chef Said Gueham que la famille accuse d’être responsable de l’arrestation de son père ? Il répondit par l’affirmative puisque effectivement il avait accompagné à l’époque ses 2 parents à la gendarmerie. Il a reçu des gendarmes une enveloppe vide sur laquelle figurait la convocation de sa mère à la gendarmerie pour le lendemain.

Le 22 mars sa mère s’est rendue au siège de la brigade de gendarmerie du village de Moussa. Il lui a été notifié verbalement qu’elle devait se rendre au tribunal de Taher pour signer un document du procureur de la République, celui-là même qu’elle avait refusé de signer 10 jours avant.

Il est à craindre, tant que le contenu de ce procès-verbal n’est pas connu, qu’il s’agisse d’une version contredisant les faits tels que rapportés par la famille afin de disculper M. Said Gueham et nier la responsabilité de l’Etat dans les disparitions de Tahar et Bachir Bourefis.

Monsieur Bousseloub, époux de Mme Nedjma Bouzaout qui a été tuée le 26 janvier 1996 à son domicile par des membres de la milice accompagnés par des militaires, s’est présenté lui aussi sur convocation le 22 mars au bureau du procureur de la République du tribunal de Taher. Le greffier l’a entendu et lui a fait signer un procès-verbal qu’il n’a pas pu lire. La famille Fedsi a elle aussi été convoquée et a signé un procès-verbal.

Il faut rappeler que les manœuvres des autorités pour pousser les familles à se rétracter et retirer leurs plaintes auprès des Comités de l’ONU ne sont pas nouvelles. Dans le cas de M. Djilali Hanafi, décédé sous la torture le 3 novembre 1998, son frère avait adressé une plainte au Comité contre la torture au mois d’avril 2008 qu’il a retiré après avoir subi des pressions et des menaces des autorités algériennes. C’est l’épouse de la victime qui a poursuivi la procédure auprès de l’organe onusien qui a publié sa décision en juin 2011.

Il est inadmissible que les familles de victimes de la violence de l’Etat qui continuent à chercher la vérité et demandent que les responsables des crimes soient enfin jugés fassent l’objet d’intimidations et de harcèlements voire de mesures de représailles.

Algeria-Watch condamne ces pratiques et exige des autorités algériennes qu’elles respectent les engagements prises en ratifiant les Conventions internationales telles que la Convention contre la torture et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).