Arrestation de Mohamed Smain à Relizane
Algeria-Watch, 19 juin 2012
Mohamed Smain, 70 ans, défenseur des droits de l’homme de longue date à Relizane a été arrêté mardi 19 juin 2012 à 10 heures du matin au centre-ville par les éléments de la BMPJ (Brigades mobiles de la police judiciaire) de la wilaya de Relizane, alors qu’il ne faisait l’objet ni d’un mandat d’amener ni d’un mandat d’arrêt.
Il s’est avéré que cette arrestation était motivée par le fait que M. Smain n’aurait pas répondu à 2 convocations du parquet général de Relizane, pour se soumettre à une contre-expertise médicale auprès d’un médecin désigné par ce même parquet dans le cadre de sa demande de grâce. Or, il n’a jamais reçu ces convocations.
Il faut rappeler que M. Smain a été condamné le 5 janvier 2002 par le Tribunal de Relizane à deux mois de prison ferme suite à la publication d’un article dans lequel d’anciens miliciens qui durant des années ont terrorisé la population dans la wilaya de Relizane étaient mis en cause dans des enlèvements et exécutions. Après dix années de procédure, la Cour suprême d’Alger, par une décision du 27 octobre 2011, a condamné Mohamed Smaïn pour « dénonciation calomnieuse » et « dénonciation de crimes imaginaires » à deux mois de prison ferme.
Mohamed Smain qui avait entrepris dès 1995 des enquêtes sur les agissements de ces milices, a pu dresser une liste non exhaustive de plus de 200 personnes disparues, dont la majeure partie a été enlevée par des miliciens, souvent en compagnie de militaires, d’agents du DRS ou de gendarmes. Mais surtout, il a pu dès 1999, grâce au concours d’habitants de la région, localiser une douzaine de charniers à Rélizane et les environs où ont été enterrées des dizaines de personnes torturées et exécutées sommairement.
En 2004, il a publié en France un livre dans lequel il documente de très nombreux crimes commis par ces miliciens mais témoigne également de la cabale montée contre lui depuis près de quinze ans en raison de son engagement en faveur de la vérité et de la justice. Il mène depuis le début de ses investigations un combat contre de redoutables adversaires, puisque ces anciens miliciens étaient des fonctionnaires d’État qui continuent à ce jour de bénéficier de la protection et de l’État et de la justice.
Il faut également rappeler qu’une plainte pour actes de torture et de barbarie et crimes contre l’humanité avait été déposée en octobre 2003 à Nîmes en France par la FIDH et de la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH), soutenue par la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), section Rélizane, contre deux membres des milices de Rélizane, les frères Abdelkader et Hocine dit « Adda » Mohamed. M. Smaïn avait été appelé à se constituer partie civile dans cette affaire.
Suite à la condamnation prononcée par la Cour suprême, Mohamed Smaïn a introduit auprès du Ministère de la justice en mars 2012 une demande de grâce pour des raisons de santé. Il n’est pas concevable qu’il ne réponde pas à une convocation du parquet général pour se soumettre à un examen médical alors qu’il avait entrepris cette démarche. Il avait fourni un dossier médical attestant de la gravité de son état de santé qui nécessite une prise en charge à l’étranger.
Il est évident que cette arrestation a pour but de faire taire l’un des rares défenseurs des droits de l’homme qui dans la région de Relizane a osé affronter des criminels qui très vraisemblablement jouissent à ce jour de protections puisqu’ils n’ont jamais été poursuivis.
Pour rappel
A Rélizane, une seule famille et ses alliés ont dirigé les milices de la wilaya et ce dès 1994, alors que les « groupes d’auto-défense », comme elles étaient appelées officiellement, n’ont été officialisés par un décret qu’en janvier 1997. Parallèlement à ces fonctions paramilitaires, les membres de cette famille avaient été désignés comme délégués exécutifs communaux (DEC) en remplacement des maires élus qui avaient été destitués après le coup d’État en janvier 1992. Ces miliciens-maires régnaient en maîtres sur les mairies de Rélizane, Djédioua, Hmadna, Zemmoura, Oued Djemaâ, Bendaouad, Ouled Sidi Mihoub et Sidi M’Hamed Benaouda et terrorisaient la population.
Le 26 mai 2000 Mohamed Smain prend des photos d’un charnier à Sidi-M’hamed Benaouda, au lieudit Kharrar. Le 6 février 2001, le quotidien arabophone Er-Ray, contacté par des familles de disparus alarmées par des rumeurs faisant état du déplacement de ce charnier, prend contact avec M. Smaïn, mais les forces de sécurité, déjà informées, bouclent le périmètre et avec l’aide de membres de la milice locale, déplacent les restes d’une vingtaine de dépouilles vers le cimetière communal pour les enterrer dans des tombes anonymes. Quant à Mohammed Smaïn, il est convoqué et interrogé pendant des heures par les gendarmes.
Le journal fait sa Une du déplacement du charnier et d’autres organes de presse rapportent ces faits et également l’audition de M. Smaïn par la gendarmerie. Ils évoquent les actes commis par Mohammed Fergane et sa milice en les qualifiant de « crimes contre l’humanité ». Suite à ces révélations, M. Fergane porte plainte contre M. Smaïn, conjointement avec sept ex-membres de sa milice.
Le procès en diffamation qui se déroule le 29 décembre 2001 offre pour la première fois aux familles de disparus l’occasion d’accuser devant un tribunal Mohammed Fergane des crimes qu’il a commis avec sa milice, mais pour lesquels il n’a jamais été jugé. Pour la première fois, elles peuvent raconter les enlèvements de leurs proches, les exécutions sommaires, les massacres, leurs souffrances et leur espoir de voir jaillir la vérité. Ce procès dans lequel Mohammed Smaïn devait être jugé pour diffamation et dénonciation calomnieuse, est celui des miliciens et « des charniers ».
M. Smaïn est néanmoins condamné le 5 janvier 2002 par le Tribunal de Rélizane à deux mois de prison ferme. En appel, cette condamnation est confirmée et multipliée par six, soit une année de prison ferme. Le marathon judiciaire continue cependant jusqu’au 27 octobre 2011, date à laquelle la Cour suprême d’Alger condamne Mohamed Smaïn pour « dénonciation calomnieuse » et « dénonciation de crimes imaginaires » à deux mois de prison ferme, 50 000 dinars algériens d’amende (environ 510 €) et 10 000 dinars algériens (environ 100 €) de dédommagement en faveur de chacun des plaignants.
Il est manifeste que les miliciens qui ont sévi entre 1994 et 1997 dans la région de Rélizane, en particulier ceux enrôlés par l’État et qui portaient des responsabilités administratives bénéficient d’une impunité totale en Algérie. Depuis 1998, leurs crimes sont régulièrement révélés sans qu’ils n’aient à craindre d’être poursuivis.
À ce jour des dizaines de familles ne connaissent pas le sort réservé à leurs parents enlevés par ces miliciens et disparus depuis.
Algeria-Watch proteste vivement contre l’arrestation de Mohamed Smain et demande qu’il soit immédiatement libéré.