Algérien, déserteur de la Sécurité militaire, coincé en Thaïlande

Algérien, déserteur de la Sécurité militaire, coincé en Thaïlande

BANGKOK, 2 août 2001 (AFP) –

« Je veux la protection de l’ONU. Sinon je rentre mourir au pays devant ma femme et mes deux enfants. »
Abdelkader Tigha, 32 ans, se présente comme un cadre de la Sécurité militaire algérienne, déser-teur, coincé depuis cinq mois dans un centre de détention de l’immigration à Bangkok.
Le Haut Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés (HCR) à Bangkok lui a refusé le statut de ré-fugié au motif qu’il suspecte Tigha d’avoir commis des crimes contre l’humanité en Algérie, une « clause d’exclusion ».
A tort, jure l’ancien chef de brigade du service de recherche du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS).
Il assure que sa mission consistait seulement à conduire des « investigations et des identifica-tions » de militants ou sympathisants islamistes, notamment dans la région de Blida (près d’Alger) en 1993, et qu’il n’a donc pas participé à des tortures ou des crimes.
Mais il dit avoir connaissance de l’implication du pouvoir algérien dans des exécutions sommai-res de civils, « en particulier l’implication directe de mon service (DRS) dans des actions anti-humanitaires ». Et être au courant de massacres attribués aux Islamistes mais en fait commis par un groupe contre-terroriste formé par le DRS, l’OJAL (Organisation des Jeunes Algériens Libres).
Tigha reconnaît n’avoir rien fait pour les empêcher. « Tu peux pas t’opposer, ce serait un suicide. Tu peux pas dire non, tu serais taxé d’islamiste et tué une nuit, exécuté suivant un scénario », expli-que-t-il à l’AFP.
« J’ai personnellement connu des gens qui ont été exécutés parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des sympathisants du GIA (Groupe Islamique Armé). Fissa Nourdine, un commissaire de police de Bougara, et le lieutenant Amine de Tlemcen ».
Il raconte qu’il a dû quitter « secrètement » l’Algérie après avoir enquêté sur la disparition de deux professeurs affiliés au GIA, Boularas Mohamed et Rosli Mohamed, selon lui « exploités » (torturés) et exécutés par le Service de la Police Judiciaire (SPJ) en 1994.
Le rapport d’enquête qu’il a soumis en 1997 à ses supérieurs n’a pas plu et il a été transféré à Alger où on lui demandé de rendre son arme de service. Il a décidé de fuir.
Il a fini par se rendre en Thaïlande parce que « le visa est facile à obtenir ».
Mais aujourd’hui, son visa touriste périmé, en situation de séjour illégale, Tigha croupit dans un dortoir de 75 détenus, dont d’autres Algériens à qui il ne peut parler.
« Je ne sais rien de ma famille maintenant, seulement que ma femme est chez ses parents. Je suis démuni de tout contact extérieur », dit-il.
Il veut changer de nom, de nationalité, abandonner les renseignements.
Sa grande crainte est d’être refoulé en Algérie « où je vais subir plusieurs sortes de torture et être exécuté sûrement par la suite ».
Comme la Thaïlande n’a pas signé la convention internationale de 1951 sur les réfugiés, ni celle de 1984 contre la torture, il n’a aucun moyen de quitter la prison sauf à retourner en Algérie.
Son cas – qui n’est pas unique – pose un dilemme moral et juridique.
« Il y a un vide juridique. Quoi faire ? Il mérite la protection internationale mais qui va le proté-ger », plaide son avocate. Le dossier de l’agent défecteur algérien est maintenant en appel au HCR à Genève.
Interrogé, le HCR de Bangkok s’est abstenu, comme le veut la règle, de commenter ce cas parti-culier. Toutefois, un de ses responsables a reconnu que le HCR se posait actuellement des questions sur les clauses d’exclusion en droit des réfugiés. « Le HCR doit être prudent en prononçant la clause d’exclusion afin de ne pas aboutir à un renvoi dans le pays d’origine qui pourrait mener à des persé-cutions », a affirmé le haut fonctionnaire onusien.
agr/lmt eaf