Attentats du 11 décembre 2007: «Embarrassé, Bouteflika ne savait pas quoi faire»

WIKILEAKS ÉVENTE L’ATMOSPHÈRE D’APRÈS LES ATTENTATS DU 11 DÉCEMBRE 2007

«Embarrassé, Bouteflika ne savait pas quoi faire»

Le Soir d’Algérie, 8 décembre 2010

Les deux attentats kamikazes ayant ciblé, le 11 décembre 2007, les sièges du Conseil constitutionnel et du Haut-Commissariat aux réfugiés à Alger ont laissé sans voix le président Bouteflika. Un câble confidentiel de l’ancien ambassadeur américain à Alger, Robert S. Ford, publié par Wikileaks, évoque, citant l’appréciation de l’ambassadeur du Portugal, un Bouteflika affligé, mais surtout ne sachant quoi faire.
Sofiane Aït-Iflis – Alger (Le Soir)- L’ambassadeur américain à Alger, Robert S. Ford, a rédigé un long mémo relatif aux deux attentats kamikazes. Il note d’abord que le président Bouteflika s’est abstenu de faire des déclarations après ce double attentat. Ayant assurément cherché à percer ce silence mais aussi et surtout à se renseigner sur ces attentats qui ont ciblé deux grandes institutions au cœur de la capitale, le diplomate américain a butiné là où il était possible de le faire. Il recueille, ce faisant, les commentaires de l’ambassadeur du Portugal à Alger qui, le 16 décembre 2007, soit cinq jours après les attentats, accompagnait son Premier ministre à une rencontre avec Bouteflika. Ford rencontre ou s’entretient avec le diplomate portugais le 18 décembre. Ce dernier, note Ford dans son mémo, lui avait affirmé que Bouteflika était apparu affligé et ne sachant pas quoi faire. A son hôte portugais, le Premier ministre Socrates, Bouteflika, note encore Ford, citant toujours l’ambassadeur portugais, a demandé d’intercéder auprès des Etats européens afin de les convaincre d’aider les services de sécurité algériens. Bouteflika aurait demandé des conseils sur la manière de sécuriser les sites pouvant être ciblés par des attentats. Rachid Aïssat, un conseiller de Bouteflika, a, rapporte Ford, en date du 16 décembre, demandé l’aide de l’ambassadeur pour lutter contre les voitures piégées. Aïssat a, selon Ford, concédé que les pouvoirs publics algériens ne savaient pas trop comment y faire face. Dans son habituel commentaire de fin de chapitre (structure des mémos divulgués par Wikileaks), le diplomate américain écrit que «beaucoup de nos contacts ont interprété le silence de Bouteflika depuis le 11 décembre par l’embarras qu’il éprouvait du fait que les deux kamikazes étaient déjà connus des services de sécurité et avaient bénéficié des dispositions du programme de réconciliation nationale». Rapportant, par ailleurs, les confidences d’un éditeur de presse, cité comme ayant des contacts au sein des services de sécurité, l’ambassadeur Ford informe le département d’Etat américain de ce que nombreux parmi les responsables des services de sécurité algériens voulaient enclencher une vaste opération d’arrestations parmi les bénéficiaires des dispositions de la réconciliation nationale. L’éditeur aurait laissé échapper, rapporte Ford, que quelque 250 terroristes amnistiés de fraîche date avaient repris le chemin des maquis. L’éditeur aurait confié, en sus, que leur nombre serait plus important, selon certains membres des services de sécurité. Ceci étant, le diplomate américain est allé aussi recueillir le commentaire du ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, dont il précise que des cercles restreints le donnent comme probable prochain chef du gouvernement. Selon Ford, Sellal aurait, en date du 16 décembre, soutenu que le gouvernement algérien devrait réagir avec force contre le terrorisme — il s’est déclaré lui-même favorable à la poigne de fer — mais la conjoncture politique ne le lui permet pas. Ford rappelle que le chef du gouvernement de l’époque, Abdelaziz Belkhadem, a réitéré, au lendemain du double attentat, que la politique de réconciliation nationale allait se poursuivre.
Les attentats expliqués par Djaballah
Le diplomate américain n’est pas resté sans solliciter le point de vue des islamistes. Il a jeté son dévolu sur Abdallah Djaballah, ancien président d’El Islah qu’il présente comme un éminent chef politique islamiste conservateur. Le 17 décembre, Djaballah confiait à Ford, consigne le mémo, que les attentats-suicides démontrent l’influence des djihadistes irakiens, dont la propagande trouve des adeptes fin prêts en Algérie. Djaballah a dit aussi, rapporte Ford, que les terroristes amnistiés dans le cadre de la réconciliation nationale sont frustrés du fait qu’ils soient livrés à la précarité professionnelle. Pour Djaballah, c’est ce qui fait d’eux des recrues faciles. Djaballah a expliqué en outre que le choix d’Aqmi de diffuser, la semaine d’avant, une vidéo d’Aymen Zawahiri relative à la Palestine est susceptible de continuer à stimuler le recrutement, précisant que de nombreux jeunes Algériens réagissent fortement à toute suggestion de ce que les forces étrangères mènent la guerre à l’islam et que l’Irak et la Palestine constituent la parfaite illustration de cette propagande. Le politologue Lyes Boukria a confié, pour sa part, que les groupes terroristes ont plus de potentiel que les recrues dont ils ont besoin.
Les appréciations de Ford
Son tour d’horizon fait, l’ambassadeur américain consigne, en bas de chapitre, ses remarques et appréciations. Il note que l’Aqmi est loin d’être en mesure de faire tomber le gouvernement algérien, mais qu’elle peut certainement le faire paraître faible et stupide. Ford confesse ou informe ses supérieurs que «des contacts militaires» lui avaient demandé, depuis des mois, une aide «technologique» pour faire face à la menace d’attentats à la voiture piégée. Ford note aussi que ses interlocuteurs algériens, ceux sollicitant l’aide, ne semblent pas apprécier pleinement qu’ils font maintenant face à Al-Qaïda et non seulement au GSPC des terroristes de la fin des années 1990. Ford ajoute que l’AQMI souscrit aux objectifs djihadistes internationaux et l’attaque du gouvernement algérien en fait partie. Ford prévient aussi que la situation sécuritaire en Algérie allait demeurer telle quelle à l’avenir, sinon se détériorer. «On ne s’attend pas à une amélioration », écrit-il, soulignant qu’aucun de ses contacts ne pense que les services de sécurité algériens seront en mesure de prévenir contre d’autres attaques terroristes. «Ils ne savent pas quand et où ces attaques se produiront ni sous quelles formes.» Ford s’est plaint de la lenteur du gouvernement algérien et du fait qu’il ne partage pas les informations avec l’ambassade.
S. A. I.