La poussée américaine

La poussée américaine

Les Débats, 11-17 mai 2005

Au plan strictement politique, le projet d’amnistie générale – tout comme celui de réconciliation nationale – reste un élément décisif de la vision américaine dans le domaine du règlement des conflits. Sans préjudice du fait que la réhabilitation du FIS dissous reste inscrit dans la philosophie politique générale de la Maison-Blanche, qui a toujours milité pour la promotion de l’islamisme dans le monde arabe comme moyen idéal de fermer la porte au nez de la France tout en empêchant les élites modernistes d’accéder au pouvoir.

A étudier le profil du nouveau gouvernement remanié et celui du nouvel état-major de l’ANP, il est difficile de ne pas relever une poussée importante de l’arrivée de ministres et de généraux considérés comme favorables à une plus grande collaboration avec l’Amérique et à un recul proportionnel de tous ceux qui auraient plutôt tendance à privilégier la coopération avec la France. Et comment ne pas relever ce réajustement structurel au milieu d’une drôle de campagne médiatico-politique organisée autour d’une commémoration des massacres du 8 mai 45 qui n’a jamais connu une telle ampleur et qui n’avait en tout cas jamais autant mis les autorités françaises dans la gêne. Lorsque nous savons que c’est précisément cette année que devait être signé un traité d’amitié avec la France, il y a tout de même de quoi se poser quelques questions. Un traité dont la signature est reportée de semestre en semestre et dont il faut bien se demander s’il sera signé un jour tant la cordialité des relations algéro-françaises est en train de fondre à vue d’œil.

Cela ne veut peut-être rien dire par ailleurs, mais c’est aussi la première fois qu’une délégation militaire algérienne de haut rang est invitée aux Etats Unis avec un programme de projets de coopération à faire pâlir d’envie les généraux algériens qui étaient en charge de la lutte antiterroriste durant les années de feu et qui viennent, pour la plupart, d’être rendus à leurs foyers.

Il est vrai que ce dégel algéro-américain intervient au lendemain de l’adoption par le Parlement d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures qui ouvre de larges perspectives d’évolution aux grandes sociétés pétrolières américaines qui vont pouvoir investir dorénavant dans l’ensemble des activités liées à l’exploitation et à la commercialisation des hydrocarbures en Algérie. Sans compter le projet de réalisation d’un million de logements dont nous savons à présent que jamais il ne pourra être pris en charge par des entreprises algériennes en l’état actuel des choses et que seuls de très puissants ensembles économiques sont capable de mener à terme. Tout cela dans le cadre d’une adhésion à l’OMC qui n’apportera strictement rien à l’Algérie et qui la mettra définitivement à la merci des multinationales. Notons à ce propos que Nouredine Boukrouh, qui freinait autant que possible cet épineux projet, a été impitoyablement éjecté du circuit pour être remplacé par un ministre MSP dont les orientations ultra-libérales, si ce n’est néo-conservatrices, ne sont un secret pour

personne.

Au plan strictement politique, le projet d’amnistie générale – tout comme celui de réconciliation nationale – reste, il ne faut pas l’oublier, un élément décisif de la vision américaine dans le domaine du règlement des conflits. Sans préjudice du fait que la réhabilitation du FIS dissous reste inscrit dans la philosophie politique générale de la Maison-Blanche, qui a toujours milité pour la promotion de l’islamisme dans le monde arabe comme moyen idéal de fermer la porte au nez de la France tout en empêchant les élites modernistes d’accéder au pouvoir.

Comme nous le constatons et comme l’explique très bien Zbignew Brezinski, les Américains restent fidèles à leur démarche globalisante qui veut que dans chaque région du monde où ils s’installent, ils opèrent toujours un maillage total du pays cible sans y tolérer la moindre concurrence. Ils ne sont prêts à investir leurs milliards de dollars que lorsqu’ils contrôlent étroitement les côtés sécuritaire, légal, diplomatique et politique. Chose qu’ils sont en train de réaliser avec brio chez nous, au grand dam de la France et des autres pays européens qui se voient peu à peu poussés vers la sortie au profit de la puissante Amérique et de ses alliés stratégiques du Golfe, d’Asie et d’Amérique Latine. Cette profonde recomposition géostratégique s’accompagnant miraculeusement d’un étonnant réchauffement de nos relations avec le Maroc et la Libye, dont personne n’ignore les liens avec Washington, El-Gueddafi affichant même ostensiblement ses liens avec ses nouveaux protecteurs.

Cependant, la question qui se pose à présent est celle de savoir s’il est dans notre intérêt de nous insérer avec autant d’empressement dans l’orbite géostratégique américaine alors qu’il nous a fallu près de 40 ans pour nous libérer de la tutelle française. Une libération qui devrait plutôt nous inciter à veiller à sauvegarder une indépendance économique et politique chèrement acquise.

A. M.