La politique étrangère américaine à l’égard du Maghreb : La nécessité d’un nouveau départ

Nouveaux acteurs dans les politiques méditerranéennes

La politique étrangère américaine à l’égard du Maghreb : La nécessité d’un nouveau départ

Stuart E. Eizenstat, El Watan, 24 février 2011

Les tentatives d’intégration au Maghreb ont été légion, tant en interne qu’avec l’UE et les Etats-Unis. L’Union du Maghreb arabe (UMA), la Grande zone arabe de libre-échange (GAFTA) et l’accord d’Agadir, entre autres, unissent au moins certains pays de la région. Malheureusement, la plupart de ces institutions doivent encore réaliser pleinement leurs objectifs, ce qui souligne que les Etats-Unis doivent encourager une intégration régionale. La situation actuelle de l’économie maghrébine, l’incapacité des initiatives précédentes à faire aboutir l’intégration régionale ainsi que les différentes expériences en Asie du Sud-Est et en Amérique centrale témoignent de la nécessité de mesures concrètes.

Le 4 juin 2009, le président Barack Obama plaidait pour un «nouveau départ» dans les relations entre les Etats-Unis et le monde musulman. Des décennies durant, la région maghrébine d’Afrique du Nord — qui regroupe l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie — semble avoir été négligée par la politique étrangère américaine. Le Maghreb n’a été porté à l’ordre du jour d’aucune audience de la commission sénatoriale des affaires étrangères pendant au moins six ans, chose étonnante compte tenu de l’importance stratégique de la région. Faisant partie du Moyen-Orient élargi, il a été supplanté par l’Irak, l’Iran et le processus de paix. S’agissant de son pan africain, ce sont le conflit pressant et les problèmes de développement dans le sud du Sahara qui expliquent qu’il soit passé au second plan. L’adoption et la mise en œuvre d’une politique globale pour le Maghreb s’attaquant aux problèmes interdépendants de la sécurité, de l’économie et de la politique dans la région constitueraient un véritable «nouveau départ» pour la politique étrangère des Etats-Unis dans cette région importante. Cela fait longtemps que je m’investis personnellement dans le développement économique du Maghreb. Sous-secrétaire d’Etat américain en charge des affaires économiques de l’administration Clinton, j’ai lancé le partenariat économique entre les Etats-Unis et le nord de l’Afrique, visant à créer les conditions d’un resserrement des liens entre les Etats-Unis et les pays du Maghreb et à développer le commerce, les investissements et la création d’emplois.

Toutefois, compte tenu de la situation diplomatique de l’époque, ni la Libye ni la Mauritanie n’ont été prises en compte. Sous l’administration Bush, le partenariat a été modulé en fonction d’une initiative plus vaste de partenariat au Moyen-Orient et le Maghreb a perdu son statut de région importante unique. Je suis resté impliqué dans la région et m’y suis rendu en 2009 pour discuter de ces questions avec les secteurs public et privé. La région doit faire face entre autres à l’émergence d’Al-Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), un réseau terroriste qui s’efforce de déstabiliser la région et a orchestré des attaques en Algérie, en Mauritanie, au Maroc et en Tunisie. Le flux d’immigrants illégaux et la contrebande partant de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe en passant par le Maghreb sont source d’autant d’autres préoccupations en matière de sécurité. Ces problèmes prennent corps et sont aggravés par le manque d’opportunités économiques pour la population de la région, en particulier l’«explosion démographique» des jeunes gens au chômage dans les villes.

Il a été difficile pour les pays du Maghreb d’apporter une réponse entièrement coordonnée à ces défis économiques et sécuritaires compte tenu de divergences politiques entre l’Algérie et le Maroc quant au statut non résolu du Sahara occidental. Dans son allocution du Caire, le président Obama a traité de la nécessité de favoriser l’essor économique des pays musulmans, un essor qui résultera du développement du secteur éducatif et des opportunités offertes et non de la richesse pétrolière. Soulignant que la région avait besoin d’un renforcement de l’éducation et des investissements, il a plaidé pour des stratégies visant à nouer des relations commerciales et scientifiques entre les Etats-Unis et les pays musulmans. L’essor économique permettrait en retour de progresser sur un grand nombre d’objectifs évoqués dans le discours, tels que le renforcement des institutions démocratiques et la lutte contre l’extrémisme.

A travers son discours, le président s’adressait à l’ensemble du monde musulman, composé de régions et de pays aux problèmes et caractéristiques divers. Bien que le président Obama ait mis en exergue de vastes objectifs de partenariat économique avec le Moyen-Orient, leur mise en œuvre ne peut — et, en effet, ne doit pas — reposer sur une approche «unique». La politique américaine doit en particulier traiter les pays du Maghreb comme une entité économique aux défis et potentiel uniques qui peuvent être desservis au mieux en renforçant l’intégration économique régionale et en encourageant des liens entre le Maghreb et le reste de l’économie mondiale. Avec leurs alliés européens, les Etats-Unis peuvent aider le Maghreb à relever les défis auxquels il est confronté en favorisant une intégration économique entre les pays de la région ainsi qu’entre cette dernière et l’économie mondiale au sens large.

L’économie politique du Maghreb

Le Maghreb est confronté à plusieurs défis politiques et économiques. La région a enregistré une croissance annuelle moyenne du PIB de seulement 2,5% entre 2001 et 2005, ce qui est décevant par rapport aux résultats engrangés par d’autres régions en développement telles que l’Asie du Sud et de l’Est. En effet, ce pourcentage est inférieur à la croissance de bon nombre d’économies matures. Si l’on ne tient pas compte de la récente crise économique mondiale, le Maghreb devrait enregistrer des taux de croissance du PIB dignes d’une économie en développement dynamique. Par ailleurs, le commerce et les investissements transfrontaliers sont limités dans la région. En 2007, les échanges intrarégionaux de marchandises des pays du Maghreb n’ont représenté que 1,3% du commerce total de marchandises. Ce taux régional est l’un des plus faibles au monde. Bien que bon nombre de droits aient été réduits, les nombreux obstacles réglementaires et non tarifaires avec lesquels ces pays doivent encore composer entravent le commerce et les flux d’investissement.

Le chômage fait rage, et un nombre croissant de jeunes, hommes et femmes, dans les villes jouit de peu d’opportunités économiques. L’âge moyen en Tunisie, par exemple, est de 29 ans et plus de 20% de la population a entre 15 et 24 ans. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estime le chômage régional à 16%, et celui affectant la jeunesse urbaine à 30%. La pénurie d’emplois de qualité est source de pressions migratoires, dont d’autres pays de la Méditerranée ressentent le plus durement les conséquences. Le chômage élevé crée en outre un vide pouvant pousser de nombreux jeunes au radicalisme, à l’extrémisme ou à la criminalité. Cette situation explosive ne peut perdurer. Le terrorisme, l’extrémisme, les narcotiques ainsi que la traite des êtres humains, autant de phénomènes de plus en plus répandus dans la région, risquent, s’ils ne sont pas surveillés, de nuire à la stabilité des régimes relativement modérés de la région et d’entamer la capacité de cette dernière à attirer des investissements et le tourisme étrangers.

Ainsi, en avril 2007, des attentats suicides à la bombe à Casablanca (Maroc) et à Alger (Algérie) s’en sont pris à plusieurs cibles gouvernementales et internationales, tuant des dizaines de personnes. En décembre 2007, des attentats simultanés à la voiture piégée ont été perpétrés à Alger, endommageant le siège des Nations unies ainsi que la Cour constitutionnelle du pays. Ces attentats ont une fois encore fait des dizaines de victimes. En février 2008, l’AQMI a visé la Mauritanie, où elle a orchestré une attaque contre l’ambassade israélienne. Plus récemment, l’AQMI a kidnappé des Occidentaux contre une rançon. Au moment de la rédaction du présent article, un otage français était détenu par l’organisation au Mali et un couple italien a été kidnappé en Mauritanie. Selon l’analyse du Centre national du contre-terrorisme et du Lawson Terrorism Information Center, les attaques terroristes au Maghreb et au Mali ont explosé de plus de 2000% depuis 2001, alors que seuls quatre incidents ont été dénombrés en 2001 et 110 en 2007. Aux fins de la lutte contre la menace terroriste, les pays du Maghreb ont renforcé les restrictions sur la circulation des personnes et des marchandises aux frontières, ce qui, contre toute attente, a ralenti davantage le commerce transfrontalier dans la région ainsi que l’activité économique.

Les Etats-Unis et l’UE ont incité les pays du Maghreb à prendre des mesures de lutte contre le terrorisme, et, par voie de conséquence, le développement économique et l’intégration sont passés au second plan. Ces pays adoptent des mesures visant à renforcer leur coopération sur les questions de sécurité, mais ces initiatives doivent être assorties d’une coopération sur les questions économiques afin que la région puisse jouir d’une stabilité à long terme. Il convient enfin de noter que les pays de la région ne se tournent pas nécessairement en premier lieu vers leurs voisins maghrébins pour tisser des relations économiques étroites, essentiellement parce que chaque pays dispose de ses propres liens historiques avec le reste du monde arabe, le reste du continent africain et l’Europe. Dans certains pays, les économies bien diversifiées font défaut. Ainsi, la Libye et l’Algérie sont fortement tributaires du pétrole et du gaz, et l’agriculture garde une importance relative, en particulier au Maroc et en Tunisie. Une plus forte intégration limiterait la dépendance à ces secteurs dominants.

Les précédentes initiatives d’intégration régionale

Les tentatives d’intégration au Maghreb ont été légion, tant en interne qu’avec l’UE et les Etats-Unis. L’Union du Maghreb arabe (UMA), la Grande zone arabe de libre-échange (GAFTA) et l’accord d’Agadir, entre autres, unissent au moins certains pays de la région. Malheureusement, la plupart de ces institutions doivent encore réaliser pleinement leurs objectifs, ce qui souligne que les Etats-Unis doivent encourager une intégration régionale. La nécessité d’une stabilité politique régionale est un facteur décisif qui a favorisé la création de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) ainsi que les efforts d’intégration régionale en Amérique centrale, qui ont commencé par le marché commun de l’Amérique centrale (MCAC) pour déboucher sur le traité de libre-échange entre les Etats-Unis et les pays d’Amérique centrale (CAFTA). La comparaison avec l’ANASE et le CAFTA atteste clairement des avantages économiques procurés par l’intégration économique. Le commerce de marchandises intrarégional du Maghreb équivaut à 1,3% du commerce de marchandises total contre 6,3% pour le CAFTA-DR (traité de libre échange entre les Etats-Unis, les pays d’Amérique centrale et la République dominicaine) et 19,2% pour l’ANASE. Il y a par ailleurs des gains politiques à la clé.

Alors que le Maghreb est confronté à de sérieux défis politiques, les pays d’Amérique centrale et d’Asie du Sud-Est ont été en proie à des problèmes politiques tout aussi importants lorsqu’ils ont lancé leurs initiatives d’intégration économique. En fin de compte, ces pays ont été en mesure d’exploiter l’intégration économique pour faire avancer la cause de la réconciliation politique. L’UMA, la seule initiative incluant les cinq pays du Maghreb, a été fondée en 1989 pour concrétiser l’intégration économique ; elle ambitionnait d’instaurer une union douanière en 1995 ainsi qu’un marché commun en 2000. Aucun de ces deux objectifs n’a été concrétisé. En effet, les décisions doivent être prises à l’unanimité, et les tensions politiques ont provoqué l’arrêt des réunions en 1994. Ces derniers temps, certains signes témoignent toutefois d’une coopération accrue entre les membres de l’UMA.

Depuis 2005, plusieurs réunions ministérielles ont été mises sur pied par les cinq pays du Maghreb. Fin 2009, les ministres des Affaires étrangères de l’UMA ont annoncé que cette dernière adopterait des mesures visant à créer la Banque maghrébine d’investissement et du commerce extérieur dès que possible. La mise sur pied de cette dernière a été annoncée dans un premier temps pour 2007, la banque ayant été présentée comme une institution de promotion des investissements, du commerce et de la coopération économique transfrontalière. L’UE a des liens solides avec la région en plus d’accords d’association euro-méditerranéens avec l’Algérie, le Maroc, la Tunisie. La Libye jouit, quant à elle, du statut d’observateur. La Mauritanie prend part aux réunions des ministres des Affaires étrangères euroméditerranéens en qualité d’«invité spécial». L’UE a par ailleurs initié 1’«Union pour la Méditerranée» en 2008, susceptible de relancer le Processus de Barcelone.

Le Maroc et la Tunisie ont également noué des accords de libre-échange avec l’Association européenne de libre-échange (AELE) qui se sont réellement avérés bénéfiques pour le commerce de ces pays avec les Etats européens. Entre 2006 et 2008, les exportations de marchandises vers l’UE ont augmenté de près de 37% pour le Maroc, de plus de 50% pour l’Algérie et de 15% pour la Tunisie. Ces gains sont significatifs et l’UE a apporté une assistance technique aux pays du Maghreb ; d’autres initiatives peuvent toutefois être engagées pour encourager une intégration économique intrarégionale et rendre les pays moins tributaires du commerce européen pour leurs marchandises. La GAFTA a vu le jour en 1997, à l’initiative de 17 des 22 membres de la Ligue arabe, dont la Libye, le Maroc et la Tunisie. Il s’agissait de créer une zone de libre-échange pour 2007, un objectif dont l’organisation s’est bien rapproché : les marchandises industrielles et agricoles traversent la région en franchise de droits depuis 2005. Les services et les investissements sont néanmoins exclus, de même que les mesures sanitaires et phytosanitaires et les obstacles techniques au commerce. Des règles d’origine strictes et le processus d’approbation des certificats d’origine dans les ambassades se sont avérés être des obstacles majeurs.

Conclu en 2004 entre la Tunisie,le Maroc, l’Egypte et la Jordanie, l’accord d’Agadir s’inspire d’autres accords tels que la GAFTA et les accords d’association euro-méditerranéens. Il est ouvert à des pays qui disposent d’accords euro-méditerranéens et sont membres de la GAFTA. Les pays se conforment aux règles d’origine paneuropéennes — qui sont néanmoins susceptibles d’entrer en conflit avec les règles de la GAFTA — et reçoivent une assistance technique de l’UE. Les Etats-Unis ont signé divers accords bilatéraux avec les pays de la région, qui devraient leur permettre de disposer de mécanismes capables d’encourager une intégration plus large. Ils ont en outre des traités d’investissement bilatéraux avec le Maroc et la Tunisie, en plus d’accords-cadres sur le commerce et l’investissement (ACCI) avec l’Algérie et la Tunisie ainsi qu’un accord de libre-échange (ALE) avec le Maroc.

Les Etats-Unis et la Libye étudient la possibilité d’un ACCI et ont signé auparavant un accord sur les sciences et la technologie. Bien que les Etats-Unis, qui ont récemment ouvert un bureau commercial en Libye, aient instauré des relations économiques formelles avec les pays du Maghreb, à l’exception de l’ALE avec le Maroc, ces liens économiques ne contribuent pas significativement à une intégration régionale ou à l’économie mondiale. Les Etats-Unis doivent consentir davantage d’efforts pour promouvoir la coopération économique dans la région.Les pays de la région ont montré qu’ils souhaitaient renforcer leurs liens mutuels ainsi que ceux qui les unissent au reste du monde. Les Etats-Unis et l’UE doivent tirer parti de leurs rélations avec les pays du Maghreb pour faciliter la concrétisation de cet objectif.

Recommandations

La situation actuelle de l’économie maghrébine, l’incapacité des initiatives précédentes à faire aboutir l’intégration régionale ainsi que les différentes expériences en Asie du Sud-Est et en Amérique centrale témoignent de la nécessité de mesures concrètes. S’il appartient aux Etats-Unis d’examiner la structure de ses accords formels avec les pays du Maghreb, il est tout aussi important de promouvoir la coopération entre les acteurs privés de la région que d’instituer des accords économiques formels. La coopération transfrontalière des acteurs du secteur privé peut produire plus rapidement des résultats positifs dont plusieurs secteurs tireront parti. De plus, dans le climat économique et politique actuel, tout nouvel accord de libre-échange américain dans la région n’est qu’une lointaine perspective. Les ambitions affichées par le Président Obama dans son allocution intitulée «Un nouveau départ» pourront être poursuivies à court terme en s’efforçant de muer les secteurs privés régionaux dynamiques en catalyseurs de l’innovation et de la croissance.

Œuvrer pour la conclusion d’un ALE régional

Institut européen pour la Méditerranée (IEMed) et l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) ont pris part à une étude réalisée par le Peterson Institute for International Economics visant à établir les avantages d’une intégration économique plus étroite entre les pays du Maghreb ainsi que les bénéfices additionels d’un rapprochement économique entre la région et l’économie mondiale, plus particulièrement les Etats-Unis et l’UE. Etant donné qu’une intégration entre les seuls pays de la région n’apporterait que de modestes bénéfices, il importe que l’ensemble de la région améliore ses liens avec l’économie du reste du monde. L’analyse du modèle de gravité indique vraisemblablement, du moins dans son scénario le plus ambitieux tablant sur des ALE régionaux entre les Etats-Unis et l’UE, d’une part, et le Maghreb de l’autre, une augmentation du commerce maghrébin de près de 9 milliards de dollars (à savoir près de 8%) et une hausse du total des stocks d’investissements directs étrangers (IDE) de l’étranger au Maghreb de 5,8 milliards de dollars (75%).

Selon ce même scénario, le modèle informatisé d’équilibre général prévoit de la même manière des changements spectaculaires. L’impact positif du PIB dépasse les taux de croissance actuels de 10% en Libye, de près de 8% en Tunisie, de 6% en Algérie et d’environ 4% au Maroc et en Mauritanie. Bien qu’une zone de libre-échange aussi expansive puisse ne pas être réalisable à court terme, d’un point de vue pratique ou politique, d’autres méthodes existent pour promouvoir l’intégration régionale, en tirant parti de l’ALE des Etats-Unis avec le Maroc. Ces politiques peuvent également servir de point de départ pour renforcer l’intégration entre les Etats-Unis, l’UE et les pays du Maghreb.

Tout d’abord, les Etats-Unis pourraient fournir un cumul régional de l’origine dans le cadre de l’ALE avec le Maroc, ce qui permettrait de considérer des facteurs de production d’autres pays de la région tels que la Tunisie comme un contenu «marocain» aux fins des règles d’origine de l’ALE, pour autant que le produit final soit fabriqué au Maroc. Avec une telle option, expressément envisagée dans le texte de l’ALE, on disposerait d’un mécanisme permettant aux autres pays du Maghreb de tirer parti de certains des avantages d’un ALE régional sans devoir recourir à des négociations et une ratification longues ou controversées. La seconde option consisterait à créer des «zones d’intégration économiques» (ZIE), à l’instar des zones industrielles qualifiées (QIZ) en Jordanie et en Egypte ainsi que des zones d’opportunité de reconstruction (ROZ) envisagées par les Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan. Les ZIE correspondraient à des zones géographiques spécifiques dans la région du Maghreb autorisées par les Etats-Unis à bénéficier de taux de droits préférentiels pour les exportations vers celles-ci.

Les intrants seraient fournis par plusieurs pays du Maghreb pour une production dans ces zones. Les produits finis fabriqués dans les ZIE favoriseraient une plus grande intégration entre les pays du Maghreb et rendraient l’ensemble des pays participants potentiellement plus attrayants pour les investisseurs. L’expérience des QIZ en Jordanie le montre : les ZIE peuvent être instaurées pour favoriser l’émergence de secteurs complémentaires au sein des pays participants et servir de précurseurs à une plus grande intégration avec les Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, il convient de planifier et négocier soigneusement les ZIE entre les pays participants afin que toutes les parties en tirent un maximum d’avantages. Les ZIE forment un objectif ambitieux qui exigerait probablement une nouvelle législation aux Etats-Unis et au sein de chaque pays participant du Maghreb. Dès lors, les Etats-Unis doivent poursuivre activement la mise en œuvre de programmes supplémentaires visant à renforcer l’intégration économique dans la région, comme souligné ci-dessous.

Renforcer les relations et les institutions

La promotion de l’intégration économique doit reposer sur une approche consistant à favoriser les liens au sein du secteur privé et à créer des institutions publiques et privées solides, deux domaines dans lesquels les Etats-Unis peuvent désormais prêter main forte. Alors que la question du Sahara occidental constitue un obstacle potentiel à des accords formels d’intégration économique entre les gouvernements de la région, les initiatives visant à encourager une intégration économique maghrébine entre les acteurs du secteur privé peuvent aller de l’avant et même contribuer à apaiser certaines tensions politiques dans la région. Dans son allocution intitulée «Un nouveau départ», le président Obama a annoncé l’organisation d’un sommet sur l’entreprenariat afin de resserrer les liens entre les chefs d’entreprise, les fondations et les entrepreneurs sociaux aux EtatsUnis et dans les communautés musulmanes. Ce sommet se déroulera au printemps à Washington en présence de participants de plus de 40 pays.

Un point de départ naturel serait de veiller à une initiative plus ciblée impliquant les pays du Maghreb, les secteurs privés aux Etats-Unis et dans la région étant encouragés à faire office de chef de file. Les initiatives visant à mettre en relation les secteurs privés des Etats-Unis et du Maghreb viendraient s’ajouter aux mesures destinées à instaurer un réseau entre les secteurs privés de la région et de programmes favorisant les investissements transfrontaliers et les opportunités éducatives au sein du Maghreb. Le développement d’un secteur privé robuste et axé sur la région inciterait les gouvernements régionaux à œuvrer pour l’intégration et faciliterait l’identification de domaines de coopération et d’intérêt mutuel. Les Etats-Unis doivent faciliter la mise sur pied de ces types d’initiative afin de compléter les initiatives gouvernementales plus formelles.

S’agissant des institutions, les Etats-Unis et l’UE peuvent également améliorer l’environnement commercial au Maghreb en favorisant une accélération des réformes, notamment en incitant à harmoniser les régimes d’investissement et réglementaires de la région conformément aux normes les plus rigoureuses stipulées dans des accords commerciaux bilatéraux. Les expéditions intrarégionales pourraient elles aussi être améliorées par des procédures respectant la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers (la Convention de Kyoto), laquelle entend simplifier les procédures douanières pour faciliter et encourager le commerce international. Les Etats-Unis et l’UE peuvent également fournir aux pays du Maghreb des équipements et la technologie qui leur font défaut afin de veiller à ce que les expéditions transfrontalières ne contiennent pas d’armes, de drogues, de produits chimiques dangereux ou d’explosifs.

Une coopération sectorielle

L’étude réalisée par le Peterson Institute, l’IEMed et l’IFPRI indique qu’une promotion de l’intégration économique maghrébine par les Etats-Unis et le Maroc ne peut suffire et qu’il convient également de favoriser une coopération intra-maghrébine. Le cadre d’intégration et de coopération a déjà été mis en place au sein de la région — à travers l’UMA, l’accord d’Agadir et d’autres institutions intra-régionales. Toutefois, la seule existence de ce genre d’institutions ne peut suffire pour encourager une coopération transfrontalière. L’étude identifie des projets spécifiques qui sont mûrs pour un renforcement du volet régional et qui peuvent servir de tremplin pour une plus grande intégration.

Transports – une interconnexion du transport ferroviaire, routier et aérien entre les trois pays (à savoir le Maroc, l’Algérie et la Tunisie) est primordiale pour établir un lien entre leurs économies. La difficulté de se rendre à Tunis à partir de Casabianca, deux des centres commerciaux de la région, en est un exemple concret qui saute aux yeux des voyageurs de la région. Les pays du Maghreb doivent travailler de concert pour surmonter ces types d’obstacles qui entravent les échanges commerciaux et les investissements dans la région et avec le reste du monde.

– Energie – Une collaboration régionale en matière de politique énergétique, axée entre autres sur l’interconnectivité électrique et le développement durable de l’approvisionnement énergétique, améliorerait la fourniture d’énergie au sein de la région et vers des pays importateurs d’énergie situés en dehors de la région.
– Industrie agroalimentaire – Les similitudes entre les pays d’Afrique du Nord en matière de production alimentaire offrent des perspectives de coopération régionale par le biais d’économies d’échelle, notamment dans le secteur en baisse de l’industrie alimentaire, et d’une plus grande spécialisation des pays en fonction de leurs avantages comparatifs.
– Opérations bancaires – Une collaboration sur la réforme du secteur bancaire peut inciter à privilégier une perspective et une orientation plus régionales pour mobiliser des capitaux aux fins du développement économique,
– Alimentation en eau – La capacité à garantir un approvisionnement en eau durable à l’avenir est un problème critique commun aux pays de la région, et la réponse la plus efficace serait une solution conjointe. Une coopération entre ces secteurs non seulement mettrait en commun les ressources des pays aux fins des problèmes et opportunités communs, mais permettrait également de développer des réseaux et des connexions susceptibles de déboucher sur une intégration et un développement dans d’autres secteurs.

Conclusion :

Il est probable que la grande promesse d’un accroissement du commerce et des investissements entre les pays du Maghreb ainsi qu’entre le Maghreb et l’économie mondiale générale soit réalisée en privilégiant une approche globale en matière de réforme économique. Les pays de la région doivent collaborer pour abaisser les obstacles tarifaires, réduire les obstacles non tarifaires et harmoniser les régimes réglementaires de manière à améliorer le climat d’investissement régional.
La communauté internationale — en ce compris la Banque mondiale, le FMI, l’UE et les Etats-Unis — doit travailler de manière coordonnée pour encourager et épauler les pays du Maghreb dans le cadre de leurs initiatives de renforcement de l’intégration économique régionale et aider ces pays à solidifier leurs liens avec l’économie mondiale générale.

Un leadership international fait cruellement défaut dans la région sur ce point. Les pays de la région, ainsi que la communauté internationale, bénéficieront d’une collaboration afin d’améliorer les opportunités économiques dans la région. Le développement des opportunités économiques devrait procurer davantage de stabilité et de sécurité en plus de limiter l’attrait du terrorisme et de la criminalité. Le développement économique du Maghreb n’est pas seulement une préoccupation à traiter par l’Europe ou la région méditerranéenne. Le Maghreb est prêt, pour plusieurs raisons, à entamer un «Nouveau départ» similaire à celui décrit dans l’allocution du président Obama au Caire et qui pourrait servir de modèle pour d’autres initiatives au sein du monde musulman, à adapter aux besoins spécifiques de chaque pays ou région musulmane. Aux côtés de l’Europe et du reste de la communauté internationale, les Etats-Unis doivent agir dès à présent pour saisir le potentiel de la région et tourner la page de la politique étrangère américaine.

E. E. : Ancien ambassadeur américain auprès de l’Union européenne Covington & Burling LLP, Washington
(Article paru dans l’Annuaire IE Med de la Méditerranée Med. 2010)

Stuart E. Eizenstat