Alger – Washington : de grandes surprises à venir

L’AMBASSADEUR DES ETATS-UNIS EN ALGERIE AU QUOTIDIEN D’ORAN

Alger – Washington : de grandes surprises à venir

Entretien Réalisé Par M. Abdou BENABBOU Et Kamel DAOUD, Le Quotidien d’Oran, 11 mai 2004

Le Grand Moyen-Orient ne «concerne» pas l’Algérie. La coopération antiterroriste est «exceptionnelle». La vente d’armes, un détail.

La concurrence avec les Français autour des puits algériens, un signe de bonne santé.

Et les Algériens de Guantanamo, un tabou.

Si M. Richard Erdman, l’ambassadeur US en Algérie ne répond pas à toutes les questions, les demi-mots sont parfois suffisants pour comprendre l’essentiel des relations entre les Etats-Unis et l’Algérie, à l’occasion d’une visite de «relations publiques», pas très éloignée du souci de corriger les images de l’actualité internationale sur les opinions arabes et leurs médias.

Le Quotidien d’Oran: Pour aller plus loin que ce qui a été déjà dit et écrit sur la question, qu’y a-t-il, votre Excellence, de neuf dans les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis depuis ces derniers mois?

M. Richard Erdman: C’est que nous avons, pour la première fois, depuis votre existence en tant qu’Etat indépendant, une large et une base d’intérêts partagés. Maintenant vous avez un modèle politique et économique que nous partageons complètement et que nous encourageons également. C’est-à-dire un modèle de démocratie, de modernisation économique et une vision claire du libre marché. C’est une vision que nous voudrions soutenir et ce pour plusieurs raisons. Nous considérons, d’abord, que nos «aspirations» demandent un Maghreb engagé dans la démocratie, la prospérité et la stabilité. C’est-à-dire une région qui ne produit pas et qui n’exporte pas le fléau du terrorisme en Afrique ou vers l’Europe. Et nous sommes convaincus que cette vision de démocratie et de modernisation économique, c’est-à-dire la libre entreprise, offre la capacité de faire avancer cette vision d’un Maghreb stable, prospère et démocratique, etc… Nous avons aussi beaucoup d’intérêts en commun dans le domaine commercial. L’Algérie a besoin d’investissements, de nouvelles technologies et d’une gestion moderne et, bien sûr, nous avons des businessman qui cherchent, toujours, de nouvelles possibilités et de nouvelles régions pour réaliser des investissements. Les intérêts sont communs parce que l’Algérie a besoin de ces investissements, surtout hors hydrocarbures, pour participer à créer de l’emploi et lutter contre ce terrible problème du chômage, mais aussi pour développer d’autres nouveaux secteurs. Par ailleurs, on voit une autre convergence importante d’intérêts dans d’autres domaines avec l’Algérie en tant que pays du Maghreb, dans la région du Sahel, en Afrique, par exemple dans la lutte contre le sida, en tant que pays porteur du NEPAD, en tant que pays médiateur dans le règlement du conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée, pour lequel l’Algérie a joué un rôle, ou pour son rôle dans le dossier du Soudan, en gardant des contacts avec chaque côté, poussant les parties dans un sens positif. Il faut que je mentionne aussi quelque chose de plus important dans cette coopération, c’est-à-dire notre coopération dans la lutte contre le terrorisme. L’Algérie est l’un des premiers pays du monde qui a exprimé sa solidarité avec les Etats-Unis, juste après les attentats du 11 septembre et nous n’avons pas oublié ce geste important. Dans le sillage de ces évènements, nous avons acquis une meilleure compréhension à l’égard des problèmes auxquels l’Algérie faisait face pendant les années 90. Nous comprenons, maintenant, que ce n’était pas un problème de terreur et de violence locales, mais que le phénomène n’était qu’une partie d’un grand problème international. Un fléau global. La coopération de l’Algérie en matière de lutte antiterroriste est exceptionnelle et mutuellement bénéfique.

Le Q.O.: Alors Excellence, en partant de ce que vous venez de dire, comment expliquez-vous, dans le cadre de ce combat commun contre le terrorisme, cette réticence américaine à faire disposer l’Algérie, le gouvernement algérien, des armes nécessaires pour lutter contre le terrorisme, sachant pertinemment que l’Algérie ne peut être une partie dans un conflit régional et que ces armes n’iront pas ailleurs?

M. R.E.: Je ne suis pas dans une position qui puisse me permettre de détailler ce dossier important. Je précise cependant qu’il y a beaucoup de formes de coopération: renseignements, formation, équipements, appareils, etc… Mais il est vrai que jusqu’à maintenant nous n’avons pas fourni des armes légales à l’Algérie. Il faut aussi préciser que beaucoup de choses changent et peuvent changer rapidement. Mais jusqu’à maintenant, non, nous n’avons pas encore fourni des armes à l’Algérie. Reste que la coopération qui existe est mutuellement bénéfique.

Le Q.O.: Mais est-ce que vous avez une explication à cette situation?

M. R.E.: C’est difficile d’entrer dans les détails. Je m’excuse. Par ailleurs et à propos de cette histoire de bases américaines dans le Sahara occidental, je précise que nous n’en avons pas et que nous ne cherchons pas à établir de base dans le Sahara. Ce que nous privilégions, c’est l’établissement d’une relation à long terme, durable, par le biais de la formation militaire, par exemple ou par d’autres biais. Des rencontres dans ce sens avaient déjà regroupé, depuis peu, tous les ministres de la Défense de la région du Maghreb et de la zone du Sahel afin d’encourager la fondation de réseaux de relations, faciliter la communication dans cette région. Cela est utile car nous voyons déjà avec le phénomène du GSPC de Abderazak «El-Para», ce constat de mobilité à travers les frontières, Mali, Tchad, Algérie, Niger… Ce qui nous a amenés à penser à encourager le dialogue et la coopération entre les responsables de la région comme forme de participation dans la stratégie de lutte contre le terrorisme. Ce que je veux dire c’est qu’il existe beaucoup de moyens autres que celui de la question des marchés d’armement.

Le Q.O.: Mais est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que rien n’empêche les Etats-Unis de développer une aide en armement en direction de l’Algérie?

M. R.E. : je dirais que nous sommes en train de transformer une relation qui, historiquement était à un niveau très, très modeste. Cette transformation est en train de se faire et beaucoup de choses deviennent possibles dans ce contexte. C’est-à-dire dans le contexte d’une relation en évolution. Il faut aussi que l’Algérie s’accoutume à notre manière de faire du bisness, dans le cadre de ce marché d’armement. Il faut que Washington comprenne correctement les réalités en Algérie. Et le fait que l’Algérie est en train de coopérer d’une manière efficace et exceptionnelle, aide ce processus. Parce que l’Algérie se trouve, aujourd’hui, sous un éclairage très positif.

Le Q.O.: Dans ce même cadre, est-ce que ce dossier a un lien avec ce que l’on peut désigner comme une volonté des Etats-Unis d’encourager la «démocratisation» du Monde arabe?

M. R.E.: Nous voulons d’abord encourager le développement d’une vraie démocratie en Algérie. Nous sommes convaincus que nous pouvons aider l’Algérie de manières différentes. L’Algérie a besoin d’entamer un processus de modernisation. Mais par rapport à d’autres pays en voie de développement, l’Algérie a beaucoup de ressources. Donc, vous n’avez pas besoin de l’aide classique, d’argent, mais vous avez besoin de l’aide technique, de gestion moderne, de savoir-faire. Et dans ce domaine, nous sommes capables de vous aider et nous vous aidons. Par exemple dans l’aide technique que nous vous apportons, dans le cadre du processus d’adhésion à l’OMC. Nous fournissons de l’assistance dans le cadre des réformes judiciaires, financières, fiscales afin de moderniser vos structures et votre administration. Nous fournissons aussi notamment des formateurs pour faciliter et encourager l’enseignement de l’anglais. Nous sommes convaincus que la capacité de parler anglais est une chose très importante pour la jeunesse algérienne. Afin de faciliter l’accès à la connaissance par Internet, afin de faciliter l’intégration dans une économie mondiale où l’on parle anglais, afin de rendre l’Algérie plus attirante comme foyer d’investissements étrangers. Un investisseur typique américain préfère toujours avoir quelqu’un avec qui il peut parler. Autre précision: ce n’est pas une concurrence avec la France. Vous avez une relation historique avec la France et c’est une relation très, très importante. C’est juste un processus pour promouvoir vos capacités.

Le Q.O.: On doit donc comprendre que vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que l’Algérie développe, un peu plus ou beaucoup, ses relations avec la France, en matière de coopération énergétique? Est-ce que cela ne gêne pas les Américains?

M. R.E.: Ecoutez, notre système est basé sur le système du marché libre. Le marché libre est une conception qui demande la concurrence mais ne nous cherchons que la concurrence libre et transparente. Et tout le monde gagne dans un tel système: les consommateurs et les pays producteurs eux-mêmes. On maximise l’efficacité, les investissements et on favorise la concurrence.

Le Q.O: Donc cette histoire de «course» entre Américains et Français pour le pétrole algérien est une…

M. R.E.: … C’est une réalité que les Algériens comprennent. Mais, pour nous, nous sommes très pragmatiques.

Le Q.O.: Le Grand Moyen-Orient: on en parle, on en débat et on y polémique, sans le support de grands détails publics sur ce projet. Qu’en est-il au juste? Et quelles sont les réactions que vous en avez, en Algérie par exemple?

M. R.E.: Tout d’abord, je voudrais dire que c’est un effort pour aider les éléments «réformistes» qui existent déjà dans la région du Moyen-Orient. Il ne s’agit pas d’imposer quelque chose. Pas du tout. Il s’agit de répondre aux attentes de la région et d’encourager les voix démocratiques. Par exemple, il y a eu plusieurs conférences régionales, dans cette région, où des appels ont été lancés en faveur des réformes économiques et politiques et le but de ce projet est de joindre les efforts des Etats-Unis à ceux de nos autres partenaires du G8, afin de maximiser l’aide en faveur de cette tendance réformiste qui existe dans cette région. Au début, l’initiative a provoqué une impression, plus ou moins négative, parce qu’il y avait eu des fuites médiatiques, à une période prématurée pour cette initiative. En réalité, nous avions discuté de quelques idées avec nos partenaires du G8, mais nous ne l’avions pas encore fait, à l’époque, avec nos partenaires arabes parce qu’il était prématuré de le faire. Parce qu’il fallait aussi «raffiner» ces idées, et nos amis arabes ont mal réagi, estimant qu’il fallait les consulter. Ces idées sont à développer et nous sommes toujours en consultation avec nos partenaires et maintenant, une fois nos amis arabes convaincus de nos intentions et de nos idées, la réaction est devenue plus positive.

Le Q.O.: Mais Excellence vous y gagnez quoi? Que gagnent les Etats-Unis avec cette initiative?

M R.E.: C’est une bonne question. Notre analyse après les évènements du 11 septembre, et après examen de la situation nous a menés à faire des conclusions. Nous nous sommes demandé «pourquoi avons-nous été ciblés? Pourquoi est-ce arrivé et pour quelles raisons?» Et après analyse profonde, nous sommes parvenus à la conclusion que les pays qui ont «produit» le phénomène du terrorisme étaient exactement les pays qui n’avaient pas de système démocratique et qui ne respectaient pas les droits de l’Homme. Il y a un discours du Président Bush, en novembre, où il affirme que les principes de démocratie et de droits de l’Homme ne sont que des idées et des principes mais aussi des éléments cruciaux pour garantir notre sécurité nationale. Le processus de démocratisation du Moyen-Orient, participe de la solution des problèmes de terrorisme et d’instabilité dans cette région.

Le Q.O.: Mais est-ce qu’il s’agit de réformer le Monde arabe ou bien la politique des Etats-Unis envers le Monde arabe?

M. R.E.: Mais cette initiative est une réponse aux demandes de cette région. Par exemple, l’Algérie n’a pas de problème avec cette initiative parce que vous avez déjà commencé votre processus de démocratisation avec beaucoup d’avance. Vous n’avez pas un complexe par rapport à cette question. En Algérie c’est un processus interne.

Le Q.O.: Excellence, pour vous poser la question plus directement: au centre de la politique américaine du Moyen-Orient, il y a la question palestinienne. Comment maintenir l’équilibre dans ce discours qui veut la démocratie pour le Monde arabe et pas au profit des Palestiniens?

M. R.E.: Nous n’avons pas engagé ce processus comme une arrière-pensée. Nous pensons que cette question est l’un des principaux problèmes de la région. Nous avons besoin de trouver une solution par le biais de négociations directes et d’accords mutuellement bénéfiques. Le deuxième point est la «feuille de route» et là, nous sommes convaincus que c’est la seule voie et la voie la plus efficace pour réaliser ce projet de deux Etats, palestinien et israélien. «La feuille de route» n’est pas seulement un projet américain mais est aussi parrainée par l’ONU, l’Europe et la Russie. Troisièmement, il ne s’agit pas d’imposer quelque chose de définitive et la solution est à trouver par le biais de négociations qui garantissent une réponse à toutes les questions du statut final. En dernier, nous pensons que l’initiative israélienne de se retirer de Gaza et de démanteler quelques colonies en Cisjordanie, présente une rare opportunité concrète pour faire avancer la création d’un Etat palestinien. On a eu beaucoup de projets de paix qui sont restés toujours abstraits, mais cette fois-ci nous avons quelque chose de concret.

Dans sa déclaration, le Président Bush a dit que le futur Etat palestinien doit être viable économiquement et aussi un Etat contigu. Cela veut dire pas de Bantoustans.

Le Q.O.: Le scandale des Irakiens torturés dans la prison d’Abou Ghraib fait la grosse actualité internationale. Cela nous amène à vous poser une question qui y est liée indirectement: est-ce que vous avez été saisi, officiellement, par les autorités algériennes pour évoquer par exemple le cas des prisonniers algériens à Guantanamo?

M. R.E.: Le Président Bush, tous les responsables et tout le peuple américain sont choqués par ce comportement outrageux, abominable. On condamne de la manière la plus forte ce comportement qui va à l’encontre de toutes les valeurs américaines. Et comme l’a dit le Président Bush, ce comportement constitue une tache sur notre honneur national et c’est vrai. J’ajouterai aussi que nous sommes un pays démocratique et en tant que démocratie nous allons traiter ce problème comme nous faisons face à tous nos problèmes. C’est-à-dire d’une manière tout à fait transparente et tout à fait efficace. Avez-vous vu la transmission en direct des séances TV, de nos militaires, du secrétaire d’Etat Rumsfeld, questionnés vigoureusement par les sénateurs? C’est notre système. Nous allons découvrir les racines de ce comportement et y répondre. Nous avons l’habitude de faire face à des crises, qu’elles soient celle du Watergate ou celle qui a surgi, lors du mandat Clinton ou d’autres encore. C’est notre philosophie de croire que l’homme a la capacité de la bonne gouvernance, de la créativité, mais aussi celle de faire le mal. Dans le comportement qui a été celui de certains en Irak, nous voyons le mal et nous allons y répondre de façon démocratique et transparente. En Irak, il s’agit d’un petit nombre de soldats mais ces soldats répondront à la justice.

Le Q.O.: Toujours est-il que vous n’avez pas répondu totalement à la question, à propos des Algériens à Guantanamo.

M.R.E.: On a discuté de ce problème et de la situation à Guantanamo, mais je ne suis pas en position de détailler ce dossier.

Le Q.O.: Excellence, pour quelles raisons a-t-on toujours mis à part les discours volontaristes de vos prédécesseurs et les visions positives que l’on développe sur l’Algérie et mis à part le secteur des hydrocarbures, l’impression qu’en matière de coopération, les Etats-Unis font beaucoup plus d’effort pour le commerce, l’économie et le libre échange avec des pays voisins qu’avec l’Algérie?

M. R.E.: Je dirais que vous allez voir des changements importants dans un proche avenir… Il faut dire aussi que cela ne fait que deux ou trois ans que le fléau du terrorisme a cessé de faire peser une menace stratégique sur l’Algérie. Donc l’Algérie ne présentait pas un environnement propice pour l’investissement étranger sauf pour les hydrocarbures, situés dans le Sahara. Pour les investissements hors hydrocarbures, il faut un climat de stabilité et de transparence. Et à cet égard l’Algérie, depuis deux ou trois ans a fait beaucoup de progrès et le scrutin du 08 avril est important parce qu’il signale au reste du monde que l’Algérie entre dans une voie de stabilité après une guerre civile. Vous avez réussi à restaurer, dans une grande mesure, un consensus politique solide. L’image de la situation ici commence à changer. Le deuxième pas est que les businessman commencent à voir autrement les possibilités d’investir en Algérie. La troisième phase est celle de la prise de décision et les hommes d’affaires américains se trouvent dans ce cas-là, précisément: l’étape de la prise de décision. Et dans le proche avenir, vous allez voir des choses… hors du secteur des hydrocarbures.

Le Q.O.: Dernièrement le ministre des Affaires étrangères algérien a déclaré que l’Algérie était contre un sommet entre l’Espagne, le Maroc, l’Algérie et la France, pour régler le problème du Sahara Occidental. Quelle est exactement la vision américaine sur ce dossier?

M. R.E.: La position américaine est de soutenir le plan Baker et encourager les parties à dégager la possibilité d’une solution. Nous encourageons le Maroc et l’Algérie à travailler ensemble à créer un climat régional propice pour la résolution de cette question. Il ne s’agit pas de négociations entre l’Algérie et le Maroc mais seulement de créer un climat favorable.

Le Q.O.: Excellence, vous avez parlé avec beaucoup d’optimisme de l’Algérie, de l’avenir de l’Algérie et de la coopération entre l’Algérie et les Etats-Unis. L’on est alors tenté de vous poser la question: qu’est ce qui, selon votre avis, ne «marche» pas en Algérie? Qu’est-ce qui ne démarre pas? Qu’est-ce qui «bloque», en d’autres termes?

M. R.E.: (rires et une très longue hésitation): Je vais encore parler de l’Algérie avec optimisme et dire que ce que l’on espère, c’est que le processus de réformes puisse être accéléré.