International Crisis Group et l’initiative américaine Pan-Sahel
International Crisis Group et l’initiative américaine Pan-Sahel
«Une coopération exclusivement militaire serait contre-productive»
Le Quotidien d’Oran, 2 avril 2005
Une approche uniquement sécuritaire pour lutter contre le terrorisme dans la région du Sahel risque, selon l’organisme de réflexion International crisis group (ICG), de provoquer ce que les Etats-Unis cherchent précisément à éviter : un développement et une montée significative de l’islamisme extrémiste.
Les Etats-Unis risquent d’attiser l’islamisme dans les pays du pourtour du Sahara s’ils ne font pas preuve de discernement et de prudence en matière de lutte contre le terrorisme dans cette région, estime l’ICG. Dans un rapport intitulé «Islamist terrorisme in the Sahel: Fact or Fiction ?», publié le 31 mars dernier, l’ICG ne remet pas en cause la menace terroriste dans la région subsaharienne incluant la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad. Cette menace est à l’origine de l’initiative américaine Pan-Sahel, lancée en décembre 2002.
Elle vise à assurer la protection des frontières, le suivi de la circulation des personnes, la lutte contre le terrorisme et la coopération régionale. La zone est considérée par les USA comme étant «le nouveau front dans la guerre globale contre le terrorisme».
L’organisme relève, cependant, les dangers d’une implication occidentale ou américaine uniquement basée sur le militaire et le sécuritaire. «Il existe suffisamment d’indicateurs, dont la présence de groupes cherchant à prendre l’avantage, qui justifient la prudence, et l’implication plus accrue de l’Occident dans le domaine de la sécurité», déclare Mike McGovern, directeur de projets de l’ICG pour l’Afrique de l’Ouest, dans un communiqué. Néanmoins, «cela doit être fait plus judicieusement qu’il ne l’a fait jusqu’à présent», précise ce responsable. La région ne constitue pas clairement, selon ICG, un foyer d’activités terroristes. Elle est, pourtant, «vulnérable». Les pays du Sahel comptent parmi les Etats les plus pauvres de la planète. De nombreux observateurs, dont les militaires américains, ont relevé le potentiel de violence islamiste existant dans la région.
Plusieurs facteurs contribuent, selon l’organisme, à une montée de l’extrémisme religieux. La population musulmane dans ces quatre pays, à l’instar des autres régions du monde, exprime une opposition grandissante à la politique occidentale au Moyen-Orient, principalement celle des Etats-Unis. Une activité de prosélytisme fondamentaliste est aussi en augmentation en parallèle. Elle serait menée par Jamaât El-Tabligh, des fondamentalistes pakistanais qui ont eu comme illustres adeptes le Britannique Richard Reid, dit «shoe bomber», et John Walker Lindh, taliban américain capturé en 2001 durant la guerre d’Afghanistan. L’organisme précise, toutefois, qu’il est difficile d’estimer l’impact de ces deux facteurs.
«L’Islam fondamentaliste existe depuis près de 60 ans dans la région sans pour autant qu’il soit lié à une violence anti-Occident».
Autre facteur aggravant et pas des moindres: l’armée US. La politique américaine au Sahara consiste principalement à lutter contre les réseaux de trafiquants et à empêcher le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC, d’étendre son influence hors de l’Algérie. Les forces des quatre pays du Sahel ont reçu des entraînements spécifiques de l’armée américaine. Grâce au programme Pan-Sahel, l’Algérie, le Tchad, le Mali, le Niger et la Mauritanie ont pu affaiblir considérablement les capacités de nuisance du GSPC et améliorer le contrôle au niveau de leurs frontières, selon Cofer Black, ex-coordinateur du bureau du contre-terrorisme au département d’Etat américain. La présence des forces spéciales américaines lors de manoeuvres militaires dans certaines villes du Sahel a provoqué, précise l’organisme, la suspicion des populations, notamment à Tombouctou et Agadès, voyant en elles une menace pour le fragile équilibre du pouvoir qui prévaut au Sahara depuis des générations. La nouvelle initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme qui inclut, en plus des quatre Etats du Sahel, l’Algérie, le Maroc, le Sénégal, le Nigeria et la Tunisie, échappe aux critiques de l’ICG.
Il comprend des volets politiques et sociaux à même de compléter la coopération militaire. Reste que le programme n’a pas été encore approuvé par l’US Congress, regrette l’organisme.
L’International Crisis Group estime, cependant, que le Sahel a besoin d’autres choses que d’armées étrangères pour l’aider à lutter contre l’extrémisme. Un soutien économique et social accru est nécessaire aux populations de la région. «Si la coopération militaire était la seule réponse, son résultat serait contre-productif. Surtout si cette assistance est uniquement une initiative américaine», précise l’ICG. Des efforts occidentaux renforcés, américains et européens, sont nécessaires pour s’attaquer aux problèmes sous-jacents de faible gouvernance et de pauvreté. Premières causes de l’exclusion et de l’extrémisme. «Leur but devrait être d’aider ces quatre pays à professionnaliser leurs armées et à étendre le contrôle de l’Etat sur la totalité de leur territoire». Aux Américains, l’organisme recommande une politique équitable entre la coopération militaire et les programmes civils, d’appuyer un développement des populations nomades de la région ainsi que de promouvoir une politique touristique dans les villes historiques Tombouctou et Agadès, à même d’offrir des opportunités de développement aux populations locales. Aux Européens, l’ICG préconise une implication concertée plus importante de l’UE avec les USA dans la région. A l’Alliance atlantique, il est recommandé l’élargissement du dialogue méditerranéen aux pays du Sahel, la Mauritanie, le Tchad, le Mali et le Niger.
Samar Smati