GMO: du coup d’Etat au coup de pouce

GMO: du coup d’Etat au coup de pouce

Par Kamel Daoud, Le Quotidien d’Oran, 13 novembre 2005

Le GMO, le Grand Moyen-Orient selon les US, se réforme après avoir voulu réformer les Arabes, tous les Arabes: le 2ème Forum sur la démocratisation du monde arabo-musulman qui a lieu au Bahreïn, dans «le dos» des attentats de Amman et en marge du dernier discours de Bachar El-Assad, révise à la baisse la vision de la Maison-Bush. Il ne s’agit plus désormais de chasser des potentats et des dictateurs au nom de la démocratie et de les remplacer par des démocrates élus démocratiquement, mais de «travailler» les sociétés arabo-musulmanes de l’intérieur, comme le font les «Services» et les islamistes du monde arabo-musulman, justement. Réunissant un panel impressionnant de secrétaires d’Etat, chefs de gouvernement et vice-présidents des grandes puissances et leurs néo-colonies annexes, le «Forum de l’avenir» décide déjà, principalement, de créer un fonds et une fondation pour la promotion de la démocratie dans notre planète panarabe, dopé par 100 et 50 millions de dollars au démarrage. «Cette fondation devra aider la société civile à renforcer l’Etat de droit, protéger les libertés fondamentales» a déclaré la secrétaire d’Etat US Condo Rice lors d’une conférence de presse ce week-end. Le fonds, pour sa part aidera à financer les petites et moyennes entreprises locales, charpente première de l’économie de marché et son expression politique, la bonne démocratie de tous par tous. Projet plus humble, plus concret et moins vaseux que la recette du coup d’Etat international de l’ancienne version du GMO, le GMO-bis donne, à l’occasion de la rencontre de Manama, l’impression qu’il a compris l’essentiel: les Arabes ne sont pas réformables d’un seul coup, mais un par un et au fil du temps. Une élection démocratique à l’égyptienne ou à l’algérienne a fait comprendre deux ou trois petites choses : c’est par la «Démocratie» et la légitimé électorale que les dictatures sont reconduites chez nous, par nous. C’est par souci de barrer le chemin aux islamistes que les dictatures sont soutenues chez nous, par les autres. Et c’est par une habitude qui remonte à leur enfance comme nation, peuple et individus, que les Arabes votent pour le même, puisque l’alternative n’est ni visible, ni crédible ni même capable de dépasser le cercle de l’opposition urbaine et médiatique. Le monde arabo-musulman est si bien encadré par ses «Services», ses organisations de masse nées du Pouvoir, pour le Pouvoir et par le même Pouvoir, si bien habitué à conspuer le plus faible politiquement par logique de la meute, si incapable d’imaginer la responsabilité électorale dans le monde de la Fraude technique, si bien desservi par ses élites économiques affidées à la rente de l’Etat, impliquées dans la corruption de l’Etat, dépendantes et clientes de l’Etat, qu’il faut être idiot pour penser démocratiser les Arabo-Musulmans par la seule liberté de voter. Le GMO de Manama a compris qu’il faut peut-être, lentement, laisser se «multiplier» les démocrates encore rares, encourager les ONG, libérer les entreprises des tutelles maffieuses de l’Etat et travailler l’hypothèse d’une possible société civile à même de donner naissance à des syndicats, des forums et des associations indépendantes de la menace de l’Etat comme de sa subvention. C’est uniquement par ce long chemin de contournement que l’on peut espérer la métamorphose, selon les US ou selon Dieu. Autrement, il ne restera aux Arabes que ce qu’ils vivent déjà: remplacer les Moubarek par des Moubarek indéfiniment, accueillir Blix ou Mehlis dans sa propre chambre à coucher ou offrir ses services dans la lutte antiterroriste ou celle anti-clandestins jusqu’à servir de poupée gonflable pour tous les vents.