Les exigences américaines

Sommet arabe

Les exigences américaines

Le Quotidien d’Oran, 21 février 2005

La secrétaire d’Etat américaine aux Affaires étrangères, Condoleezza Rice, demande aux chefs d’Etat arabes d’adopter lors de leur sommet d’Alger une résolution exigeant le retrait de la Syrie du Liban.

L’Amérique de Bush a trouvé l’astuce pour mettre les Arabes, tous les Arabes, au pied du mur. Saisissant l’occasion du terrible assassinat de l’ex-Premier ministre libanais, Rafic Hariri, George W. Bush a chargé la secrétaire de son département d’Etat de faire savoir aux dirigeants arabes qu’ils doivent adopter une résolution obligeant la Syrie à retirer ses troupes du Liban. Le sommet que la Ligue arabe a prévu de tenir à Alger les 22 et 23 mars prochain apparaît aujourd’hui aux yeux des Américains comme une opportunité à ne pas rater pour exiger des Arabes le plus de concessions possibles. Ils veulent leur faire admettre ainsi le fait qu’ils travaillent en faveur d’une issue à l’effrayante situation au Moyen-orient que l’assassinat de Hariri est venu compliquer davantage. Assassinat que seuls des stratèges connaissant parfaitement les rouages des pouvoirs libanais et syriens et maîtrisant de surcroît le conflit israélo-arabe, sont en mesure de fomenter.

Des stratèges qui savent frapper fort, dur et au moment opportun. Car les pressions américaines sur la Syrie se faisaient alors de plus en plus fortes après qu’ils eurent réussi à faire adopter la résolution 1559 imposant le retrait syrien du Liban. Le moment est donc tout à fait choisi pour pousser à plus de fermeté et arracher de la Syrie ce qu’Israël visait depuis longtemps, à savoir le retrait de ses troupes du Liban.

L’une des pièces du puzzle que les Etats-Unis et Israël sont en train de monter ensemble semble être aujourd’hui entre les mains des Arabes. La demande exprimée par Rice est-elle une exigence de Bush aux Arabes ? Cela importe peu si c’en est une ou non mais le pas est franchi. Bush veut leur démontrer qu’ils ont eux aussi leur responsabilité dans le dénouement de la crise entre le Liban et la Syrie. Sauf qu’il ne leur donne pas trop de choix. Il leur demande juste de s’aligner sur ce qu’il vise de faire au profit de Sharon. Première réaction arabe à ce jeu macabre, le report par le président égyptien de la rencontre devant se tenir le 3 mars prochain au Caire entre les ministres arabes des Affaires étrangères et ceux des pays membres du G8. Ce rendez-vous devait permettre aux deux parties d’évaluer la mise en oeuvre des recommandations de ce qui a été appelé «le forum de l’avenir» que Rabat avait organisé en décembre dernier. Les deux événements étaient, en fait, programmés pour peser la faisabilité de l’initiative américaine Le Grand Moyen-Orient. Hosni Moubarak a choisi ainsi de se rétracter en optant pour le report de la rencontre pour probablement voir plus clair dans la nouvelle demande de la Maison Blanche.

Il est nécessaire de noter que le président algérien s’est exprimé récemment sur l’utilité du GMO. «Nous n’avons besoin ni d’un Grand Moyen-Orient ni d’un Petit Moyen-Orient, nous voulons d’un Moyen-Orient uni», avait-il lancé la semaine dernière lors de l’ouverture de la 35e session de l’Organisation arabe du travail non sans préciser qu’au-delà des réformes, le monde arabe refuse de s’inscrire dans des stratégies qui lui échappent parce qu’il a ses propres problèmes. Une telle déclaration n’est ni anodine ni fortuite. D’autant qu’elle a été suivie d’une autre plus précise, celle par laquelle Bouteflika a déclaré que les pays tiers-mondistes avaient le droit d’utiliser le nucléaire à des fins pacifiques. Celle-là, le chef de l’Etat l’a tenue 24 heures après son appréciation du GMO, c’était à son inauguration du 2e Congrès de l’association des pays africains producteurs de pétrole.

Ces propos pourraient constituer les premiers ingrédients d’une vision par laquelle Bouteflika voudrait d’ores et déjà imprégner le sommet d’Alger. «Il est fou !», se sont exclamés des observateurs de la scène politique nationale dès qu’ils ont entendu le président les tenir. Parce qu’il est devenu presque normal de voir les chefs d’Etat arabes courber l’échine à chaque fois que la Maison Blanche éternue qu’une telle réaction est devenue systématique. Bouteflika est donc sorti quelque peu des règles disciplinaires que Bush a décidé d’imposer aux dirigeants arabes. Pourtant, il est bien le président du pays hôte qui abritera le sommet de la Ligue arabe. Un sommet que le monde arabe attend avec un grand intérêt. «Sommet décisif», «sommet historique», tous le veulent comme tel. A condition bien sûr d’avoir le courage qu’il faut pour pouvoir prendre les décisions qu’il faut.

Il est clair qu’en demandant aux Arabes d’obliger la Syrie à retirer ses troupes du Liban, Bush joue sur du velours. Sa demande est conforme à la légalité internationale, la Syrie étant considérée comme un pays qui «occupe» un autre. C’est d’ailleurs ce qui donne du crédit à la revendication du même genre de l’opposition libanaise même si la réaction de l’Etat libanais à la résolution 1559 est restée très nuancée.

Ceci étant dit, étant elle-même très respectueuse de la légalité internationale, l’Algérie est en droit de demander aux pays arabes lors du sommet qu’elle abritera de revendiquer à leur tour le respect des résolutions de l’ONU. A demande légale, réponse légale. Les Arabes, tous les Arabes sont en droit d’exiger de Bush et de Sharon de se retirer du Golan et de mettre un terme à la destruction du Liban par le lancement des missiles israéliens. A moins que les Arabes veulent en rester à l’esprit du sommet de Tunis. Celui lors duquel ils s’étaient tus sur le massacre de Falloudja l’irakienne mais ils avaient adopté une résolution condamnant l’assassinat des civils… israéliens.

Ghania Oukazi