Le double jeu de Washington

Le double jeu de Washington

El Watan, 7 août 2014

Présenté comme une «nouvelle ère» dans les relations entre les Etats-Unis et l’Afrique, le sommet de Washington a juste confirmé le caractère stratégique que représente l’Afrique avec ses ressources naturelles importantes pour les grandes puissances.

Ces dernières se livrent bataille pour ce bout de la planète qui n’a pas fini, grâce à ses dirigeants corrompus et antidémocrates, de s’offrir en butin. Même l’exigence de respecter les principes démocratiques exprimée lors de ce sommet par le vice-président et le secrétaire d’Etat, respectivement Joe Biden et John Kerry, aux dirigeants africains n’est qu’une carte de pression jouée par la plus grande puissance du monde pour avoir le maximum de marchés sur le continent.

On ne peut cautionner les mandats successifs des dirigeants africains et qualifier les usurpations des voix du peuple d’élections libres puis venir rassembler les dirigeants africains à Washington leur donner des leçons de démocratie. L’on se souvient des paroles élogieuses de John Kerry à l’adresse du président Bouteflika, en mai dernier, alors candidat à un quatrième mandat. Le deal entre les dirigeants africains et les puissances occidentales est tout trouvé : «Vous avez vos marchés et à nous le pouvoir.»

La petite leçon de démocratie donnée à Washington n’aura qu’à peine titillé l’ego des dirigeants africains, qui, dans la minute qui suivait, ont applaudi de toute leur énergie leur hôte. Le jeu du chaud et froid quasi simultané n’est pas une première dans les relations américaines avec les Etats d’Afrique. Il est même interprété avec brio lors de ce sommet, dans le même espace et à quelques minutes d’intervalle. Les remarques de MM. Biden et Kerry sont vite suivies de l’annonce par le président Obama d’un investissement de 33 milliards de dollars sur le continent africain. Avec qui ces investissements seront-ils conclus ? Bien entendu, avec ces mêmes dirigeants accusés de trop aimer le pouvoir.

Maintenant que les formes sont respectées et que la grande puissance a joué son rôle de «moralisateur», les affaires peuvent commencer et le ventre de l’Afrique peut bien s’ouvrir aux multinationales. Tout le monde garde en mémoire le fameux du discours du Caire de Barack Obama, invitant les dirigeants arabes à plus de transparence et à adopter la démocratie comme mode de gouvernance. La démocratie est indéniablement un projet salvateur pour les pays africains, mais l’histoire a montré que, comme pour les décolonisations, l’Occident n’en sera pas le promoteur.

Les exemples de «démocratisation» de l’Irak ou de l’Afghanistan ne sont pas pour rassurer les Africains. Aujourd’hui, le continent africain est face au défi de sortir seul du cercle dangereux de la dépendance. Qu’ils soient chinois, américains ou européens, les prétendants à la soumission de l’Afrique ne manquent pas et sont motivés par les mêmes visées, prendre ce qu’il y à prendre de cette mère des continents qui a pour malheur de ne pas savoir exploiter seule ses richesses, car prisonnière des archaïsmes et des dictatures.
Nadjia Bouaricha