Deal judiciaire entre Alger et Washington
Extradition D’un Algérien
Deal judiciaire entre Alger et Washington
Le Quotidien d’Oran, 2 janvier 2005
Les Etats-Unis ont procédé à la première extradition d’un ressortissant algérien soupçonné de terrorisme vers l’Algérie malgré l’absence d’une convention judiciaire.
Un signal fort qui peut présager d’autres extraditions, probablement dans les deux sens.
Samir Abdoun, 38 ans, était détenu depuis le 22 septembre 2001, soit onze jours après les attentats du 11 septembre contre le WTC de New-York et le Pentagone à Washington, dans le secret le plus total. Il a été arrêté à San Diego, une des banlieues de Los Angeles, pour avoir rencontré deux des 19 kamikazes du 11 septembre avec lesquels il a toujours nié avoir entretenu des contacts.
La justice américaine l’avait reconnu coupable, principalement d’infraction à la législation sur l’immigration et de fraude à la sécurité sociale. Il était entré sur le territoire américain en août 1998 grâce à un faux passeport français. N’ayant pas de rapports directs avec les attentats du 11 septembre puisque la justice américaine ne l’a pas arrêté comme «témoin matériel», Samir Abdoun a admis avoir rencontré à plusieurs reprises deux des 19 kamikazes, Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar, que ce soit dans des cafés ou dans une mosquée de San Diego.
Au-delà des faits reprochés à cet Algérien, c’est son extradition vers l’Algérie qui s’apparente à un cadeau américain de fin d’année aux autorités algériennes. C’est la première fois que les Etats-Unis extradent un ressortissant algérien – en dehors des expulsions pour motifs d’immigration clandestine – lié à une affaire terroriste. Selon Lauren Mack, porte-parole du Homeland Security (ministère de la Sécurité intérieure), Samir Abdoun est arrivé à Alger ce vendredi et est placé en garde à vue.
Cette extradition, qui n’aurait jamais été possible il y a quelques semaines, intervient après l’abolition de la peine de mort introduite dans les textes juridiques algériens, codes pénal et de procédure pénale, publiée au Journal officiel en novembre 2004. Américains et Européens, qui étaient très frileux en matière d’extradition vers l’Algérie sous prétexte que la peine de mort pouvait être exécutoire, sous la pression d’ONG des droits de l’homme qui avaient classé l’Algérie comme un pays appliquant la peine de mort (même si elle est suspendue depuis 1994), semblent réviser leurs jugements.
L’absence de convention juridique entre l’Algérie et les Etats-Unis n’a pas empêché l’enclenchement de cette procédure.
Pourquoi maintenant ? Un début de réponse a été esquissé par l’ambassadeur d’Algérie à Washington, Driss Djazaïri, qui avait indiqué récemment «qu’un accord de coopération judiciaire pourra être mis sur pied, notamment en matière d’extradition. Les Etats-Unis ont dit qu’ils donnaient la priorité dans le domaine de l’extradition aux pays qui acceptent d’extrader leurs propres ressortissants». Ce qui suppose une contrepartie algérienne dans ce domaine.
Sur ce plan, les Américains n’ont jamais dissimulé leur intérêt pour Abdelmadjid Dahoumène, lié aux réseaux d’Abou Doha, incarcéré à Londres, et d’Ahmed Ressam, aux Etats-Unis, qui sont accusés d’avoir fomenté un attentat (avorté) à l’aéroport de Los Angeles en janvier 2000. Ressam s’est mis à table et a coopéré avec le FBI en contrepartie d’une peine qui dépasse les… 200 ans. Abou Doha, alias «le docteur», une des têtes de pont d’Al-Qaïda en Grande-Bretagne, n’est pas jugé extradable par les Anglais. Reste Dahoumène, arrêté en Kabylie en 2001, qui a été interrogé à Alger par une commission rogatoire américaine comprenant le FBI et des magistrats du département américain de la Justice.
Son extradition, maintes fois demandée par les Américains, a toujours été refusée parce que la justice algérienne n’a pas pour tradition de livrer ses propres ressortissants. Même l’ambassadeur algérien admet qu’il n’est pas suffisamment informé en la matière, «pour savoir si nous acceptons d’extrader nos propres ressortissants à la demande d’un pays étranger».
Si l’Algérie a signé une convention avec le Pakistan pour l’extradition de 50 afghans algériens détenus au pays de Musharaf, avec une clause indiquant que l’Algérie pouvait se dessaisir du dossier si ce ressortissant est demandé par des pays tiers pour implication dans un acte terroriste, on semble s’acheminer vers une convention algéro-américaine du même type. Le seul bémol est que la tête de Dahoumène a été mise à prix à 5 millions de dollars et que les Algériens qui l’ont appréhendé n’ont pas reçu un cent.
En tout état de cause, l’extradition de Abdoun, qui n’est a priori pas un «gros poisson», est tout de même un signal fort en direction des Etats européens, notamment la Grande-Bretagne qui tarde à signer une convention d’extradition avec Alger. Mais au regard du pragmatisme américain, un deal n’est jamais loin.
Les autorités algériennes, qui étalonnent leur coopération judiciaire sur le volet extradition, seraient tentées de relancer le dossier d’Anwar Haddam, chef de la délégation extérieure du FIS-dissous, qui a été réclamé par Alger depuis 1995. Mais cette fois-ci, les Américains seraient certainement inspirés de demander une contrepartie qui restera évidemment secrète, surtout que les Etats-Unis s’étonnent encore de l’agressivité efficace des services de sécurité algériens dans le domaine de la traque terroriste internationale.
Mounir B.