Les Américains veulent contrôler le Sahara et l’Afrique

Les Américains veulent contrôler le Sahara et l’Afrique

Le prétexte terroriste, les sous entendus hégémoniques

Les Débats, 1-7 mars 2006

L’hôtel Hilton d’Alger n’a jamais été une annexe du Pentagone. Pourtant sa salle de conférence Tassili semblait avoir pris, ce 20 février, les allures de bureau décentralisé du département de la Défense US, alors que les consignes de sécurité appliquées étaient apparemment tirées directement des derniers manuels opérationnels américains post 11 septembre 2001. Les raisons pour transformer l’hôtel en bunker impénétrable sont l’organisation d’un séminaire thématique sur la lutte contre le terrorisme dans la région sahélo-saharienne.

De toute évidence l’idée supposée qu les GI’s sont déjà dans la région sahélo-saharienne est fausse. Du moins dans les conditions qui sont celles des Américains aujourd’hui, il est difficilement concevable qu’ils y soient. La région n’est pas encore un théâtre d’opération avéré et il n’y a pas d’armes de destruction massive cachées. C’est à peine si on se souvient des essais nucléaires de l’armée française dans la région de Reggane. Dès lors, les Américains, se conformant au travel-warning du 15 février 2006, seraient bien mal inspirés de se rendre dans le coin sans escorte.

Que reste-t-il aux forces américaines pour occuper le terrain et montrer qu’ils sont déjà en territoire conquis ? L’organisation d’un séminaire regroupant des militaires et des experts en sécurité à parler de cette région et de ses particularités, et surtout des moyens que le Pentagone envisage de mettre en place, pour réduire toute tentative d’installation de groupes terroristes. Tout ce beau monde a en mémoire l’épisode malheureux des otages allemands entre les mains des hommes de Amari Saïfi, alias Abderrezak El Para, mais est-ce que cette seule raison est suffisante pour venir installer un «Dahran» du côté de Tin Zaouatine ?

Avec la quiétude d’une base arrière qui fait des millions de kilomètres carrés, les groupes armés n’auraient aucun mal à se redéployer. Le séminaire en question, organisé durant trois jours conjointement par le CESA (Centre d’études stratégiques de l’Afrique) dépendant du Pentagone, et le Caert (Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme) dépendant de l’Union africaine, n’était en rien un modèle de transparence ou du séminaire technique ou scientifique. Il aurait été plus simple de le tenir dans le secret d’une salle de réunion d’une caserne. Probablement, parce qu’ils ne disposent pas encore de la salle et encore moins de la caserne, il ne leur restait que les salles feutrées d’un hôtel réputé très sûr.

Tenu à huis clos, l’on insistera pour éloigner le plus loin possible des journalistes que l’on a pourtant invités. Mais plus que jamais, les questions abordées dans ce séminaire seront dans les colonnes des journaux et traitées dans les rédactions de la télévision et de la radio. Probablement, que sur la question, ceux qui ont le plus de choses à cacher, ne sont pas les Algériens chez qui se tenait le séminaire et encore moins les Africains.

Saïd Djinnit, commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine (UA), a accordé, à ce propos, un court entretien à l’APS. Il indique que les groupes terroristes boutés d’Europe et du Nord de l’Afrique «seraient évidemment tentés de se réfugier dans des contrées plus propices à leur activité». Il souligne que «les réseaux terroristes ont toujours tendance à utiliser les espaces vulnérables». Précisant que «nous avons à faire à des pays qui sont autour de la zone saharienne, région de prédilection pour les activités illégales et de criminalité, où les frontières sont très grandes et difficiles à contrôler».

Les termes de la confrontation

L’allocution d’ouverture de Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, avait souligné que le séminaire «constitue un geste fort qui s’inscrit dans la logique africaine de riposte concertée et généralisée à un mal très souvent fatal, qui n’a cessé de se répandre et atteindre des contrées, jusque-là considérées comme sûres et non concernées». Une manière on ne peut plus clair pour expliquer que les Africains ont conscience du danger qui les menace, avant d’alarmer l’Occident. Il exprime les paramètres qui prévalent à l’analyse des questions de sécurité internationale selon les standards, disons, mondiaux. Mais dans le même temps nous voyons bien le rejet de toute ingérence et voir la région sahelo-saharienne devenir un futur théâtre de manœuvres pour les Etats-Unis. Il s’agit certainement, dans le cadre des souverainetés bien comprises des ces Etats, de ne pas laisser la région devenir un terrain favorable à l’installation de groupes terroristes. Le séminaire sera l’occasion d’afficher les signes de cette bonne volonté. Messahel et Saïd Djennit soulignent devant l’assistance que non seulement les structures et les missions du Caert ont été clairement définies, mais son budget a été également alloué.

En fait, plus que jamais les termes de la «confrontation pacifique» sont établis. On aurait tendance à croire que les bonnes relations et la coopération avec les Etats-Unis passent forcément par l’ouverture du territoire national aux forces US. Mais lorsque Messahel a demandé, dans son discours, à ce que les débats du séminaire soient en cohésion «avec le plan d’action de l’UA» et «notamment ses dispositions relatives à la police et au contrôle des frontières» tout en précisant «les problématiques que constituent la circulation des armes légères, la circulation des personnes et des biens, la sécurité et la fiabilité des documents de voyage et des trafics en tous genres soient examinées et dûment prises en charge». Les populations nomades, les relations familiales interethniques, les us et coutumes, l’identité saharienne de ces femmes et des ces hommes qui font de leur libre-circulation un fondement de leur personnalité, interdisent totalement les approches draconiennes que l’on supposerait portées par les Américains.

Ce sont là des soucis bien africains dans une région où la frontière n’a qu’une existence légale ou juridique, mais difficilement physique ou ethnique. Faut-il que pour des scénarios tactiques américains on fasse du désert un no man’s land ou bien une forteresse virtuelle ?

Touches pas à mon désert

Cela n’a rien à voir mais on s’y tromperait. Le débat organisé par la Conseil de la nation sur la défense civile aura débordé sur la question du risque lié aux particularités de la région saharienne. Un débat organisé par la commission défense nationale du Sénat auquel universitaires, politiques, représentant de la société civile, représentants des corps de sécurité et bien entendu des militaires ont été conviés au sein même du Club national de l’Armée sans autres directives à appliquer que celles de la bienséance.

Pourtant, là aussi on a abordé la délicate question de la sécurité sous ses formes les plus complexes et les plus variées.

Dans une conférence intitulé «Défense civile et sécurité sociétale en Algréie : le glacis saharien face aux nouvelles menaces», Mohamed Saïd Mekki, universitaire de Biskra, a mis en exergue ces menaces qui viennent du Sud. Il a répertorié les menaces mais aussi les conditions dans lesquelles il faut y faire face, tout en préconisant plus que jamais une coopération africaine en la matière. Dès lors que l’on évoque la sécurité, il est peut-être aussi nécessaire d’en avoir les moyens. On en vient à voir des inquiétudes surgir. D’abord, celles d’un diplomate, Kamel Rezzag Bara, qui voit mal cette région, lien social et culturel des pays du Maghreb avec leur dimension africaine, coupée par des contingences sécuritaires. Rezzag Bara ne le dit pas mais ces contingences sont étrangères. Lorsqu’il évoque l’immigration clandestine, il souligne que c’est le mal-être et les difficultés sociales économiques qui envoient sur les pistes du désert les immigrés clandestins. La même inquiétude se lit dans les propos d’un général major à la retraite, Abdelhamid Djouadi, qui rappelle que cette région est riche de son potentiel économique et culturel. «J’ai servi longtemps dans cette région pour bine la connaître», explique-t-il. Il rappelle le sommet de Djanet de 1990, au moment où un vaste mouvement d’insurrection était observé chez les Touaregs du Mali. Une situation de crise maîtrisée par les Africains, alors que la seule coopération supposée de l’Occident consistait à attiser le feu et faire montre des volontés de certains de contrôler cette région au détriment des souverainetés des Etat décolonisés. Mais il est vrai aussi qu’à cette époque le terrorisme transnational n’était même pas une éventualité.

Amine Esseghir


 

Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme

Les desseins inavoués des Américains

Cette opération, lancée par les Etats-Unis en 2003, dotée d’un budget de 100 millions de dollars par an pendant cinq ans, et dont l’état-major se trouve à Dakar, ne serait-elle pas, en fait, l’une des faces cachées de l’opération « Package Deal » que Washington est en train de mener dans les pays du Maghreb, où elle compte se déployer pour compenser son échec au Mashrek ?

C’est, en tout cas, l’analyse vers laquelle penchent de nombreux observateurs internationaux, qui voient en ce subit rapprochement militaire entre Washington et des pays africains (l’Algérie, le Sénégal, le Tchad, la Tunisie, le Niger, le Nigeria, le Mali, la Mauritanie et le Maroc) sous prétexte que les zones frontalières de ces Etats sont infestées de terroristes, de bandits et de contrebandiers qui agissent entre eux en parfaite intelligence, n’est en réalité qu’une volonté inavouée pour se positionner en Afrique noire et se rapprocher le plus possible des pays pétroliers.

Un retour quelques années en arrière, quand le terrorisme a failli faire basculer l’Algérie dans le chaos, nous rappelle que les Américains n’avaient rien tenté pour lutter contre ce terrorisme qu’ils voient maintenant partout. C’est certainement ce qui a fait dire à Peter W. Rodman, l’un des officiels américains qui avaient prôné la rupture avec les mouvements islamistes extrémistes bien avant les attaques du 11 septembre 2001, que les Américains ont fait une mauvaise analyse et adopté une stratégie erronée en cherchant à concilier les deux extrêmes : le gouvernement algérien et l’opposition islamiste. Autrement dit, ménager le chou et la chèvre.

Comment dont expliquer ce revirement de situation de la part des Américains ? Peut-on justifier cette volte-face par les attaques du 11 septembre 2001 et la prise de conscience des Américains que le terrorisme ne touche pas seulement les autres et qu’il peut être une menace pour tous ? Il y a un peu de vrai dans cette justification, car nul n’ignore que les Américains ont violemment réagi après ces attaques en taxant toutes les formes d’islamisme de radicales et d’hostiles, alors qu’ils avaient envers eux une attitude plutôt bienveillante. Mais il faut reconnaître que ces attaques ne sont pas, à elles seules, responsables de ce revirement.

En 2002, le département d’Etat américain lance l’initiative Pan-Sahel pour lutter contre les cellules du réseau Al-Qaïda qui avaient fui l’Afghanistan et pouvaient, de ce fait, s’implanter dans le grand désert africain. Dotée d’un budget de 6,25 millions de dollars durant sa première année, cette opération était destinée à six compagnies d’infanterie légère du Mali, de Mauritanie, du Tchad et du Niger. Ce budget « ne représente qu’une goutte d’eau à la lumière des besoins », avait estimé Theresa Whelan, adjoint au secrétaire à la Défense chargée des affaires africaines.

La réussite de l’initiative Pan-Sahel, justifiée par les Américins par la neutralisation du terroriste algérien Abderrezak « El-Para » en territoire tchadien, les encourage à lancer une autre opération : l’initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme. Elle bénéficie d’un budget plus conséquent. Mais, il faut savoir que les Marines américains n’interviendront pas directement dans la lutte contre le terrorisme. L’aide américaine sera plutôt axée vers le renseignement, l’assistance technique et logistique aux armées africaines qui seront entraînées par des experts américains.

Mais, c’est surtout après le sommet de l’Otan qui s’est tenu à Istanbul, en juin 2004, dont les recommandations insistaient sur le développement de la coopération militaire avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, que la coopération militaire avec les Etats-Unis se développe de plus en plus. Au point que le président américain George W. Bush a qualifié l’Algérie de « partenaire stratégique » au Maghreb et au monde arabe. Un simple historique ne serait pas de trop pour illustrer ce rapprochement.

En effet, en novembre 2004, une délégation de gardes-côtes américains visite l’Algérie et se rend aux ports d’Alger, Oran et Skikda dans le cadre d’une mission d’observation et d’échanges sur la sécurité portuaire, le transport et la sécurité maritime. Le 21 mars 2005, des manœuvres tactiques sont organisées en haute mer, entre les forces maritimes algériennes et une unité de l’Otan composée de sept frégates et d’un bâtiment de soutien logistique, et ce, dans le cadre de l’opération d’interdiction maritime.

Début mai 2005, le général major Ahmed Sanhadji rend une visite officielle à Washington, accompagné d’une importante délégation de l’Armée populaire nationale. Lors de cette première visite d’une délégation militaire algérienne aux Etats-Unis, les discussions entre les deux parties étaient essentiellement axées sur les moyens d’intensifier le programme de formation des officiers algériens aux USA. D’autres sujets ont été abordés, à savoir la lutte antiterroriste, mais aussi la fourniture d’armes américaines à l’Algérie, car le Pentagone est prêt à fournir des équipements d’assistance électronique, de transmission et du matériel de vision nocturne.

Ce rapprochement de plus en plus visible et les déclarations flatteuses de George W. Bush à l’égard de l’Algérie – dont le rôle, estime-t-il, est de premier ordre au Maghreb et au Proche-Orient pour favoriser la consolidation des institutions démocratiques – sont-ils aussi désintéressés qu’il n’y paraît ? Cette relance des relations entre les deux pays s’accélère après l’adoption par le Parlement algérien d’une loi sur les hydrocarbures qui élargit plus encore les perspectives des grandes sociétés américaines, surtout celles dont le but est d’investir dans les activités d’exploitation et de commercialisation des hydrocarbures en Algérie.

Les tendances libérales du gouvernement algérien, qui manœuvre pour l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, ne sont pas pour déplaire aux Américains qui sont déjà engagés dans plusieurs chantiers économiques et surtout dans le secteur de l’énergie, mais sont toujours à la recherche de nouveaux débouchés.

Une question tout de même. Pourquoi mettre tant et tant de moyens pour lutter contre un ennemi qui a déjà perdu sa force de frappe depuis quelques temps ? Le Sahara, qu’on dit infesté de groupes armés islamistes (surtout du Groupe salafiste pour la prédication et le combat) et depuis l’enlèvement, en 2003, de 32 touristes européens, est-il toujours aussi dangereux ? Même après la mort de son chef Nabil Sahraoui et de quatre de ses adjoints, tués fin juin 2004 près de Béjaïa, et l’arrestation de Abderreza « El-Para » ?

Ce sont ces raisons qui font dire aux observateurs de la scène internationale que les Américains prennent prétexte de la lutte antiterroriste pour appliquer enfin ce qu’ils mijotent de longue date, à savoir installer des bases militaires pour ceinturer toute la région. Pour preuve, arguent ces observateurs, les forces militaires en Espagne seront transférées et implantées dans des pays touchés par le programme du Pentagone.

Khadidja Mohamed Bouziane

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«Lutte globale contre le terrorisme»

Quelles priorités pour l’Afrique ?

Au nom de la «lutte antiterroriste», l’Algérie est courtisée par plusieurs puissances occidentales. Les visites et les délégations officielles de hauts responsables sécuritaires américains et européens ne se comptent plus. A cela, il faut ajouter l’organisation à huis clos, récemment à Alger, d’un «séminaire international sur la lutte contre le terrorisme au Maghreb et la région sahélo-saharienne», avec la participation de neuf pays africains (Tunisie, Mali, Niger, Mauritanie, Nigeria, Tchad, Sénégal et Libye) dont l’Algérie, et des partenaires américains et européens (Danemark, France, Grande-Bretagne et Portugal), sous l’égide du Centre d’études stratégiques sur l’Afrique (CESA – du ministère de la Défense américain) et en «collaboration» avec le Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (CAERT).

C’est à croire que la valeur de l’Algérie et des pays africains ne se mesure qu’à leurs richesses naturelles (pétrole…) et au nombre de fichiers de «terroristes» qu’ils peuvent transmettre aux services de renseignement des pays engagés dans cette «lutte contre le terrorisme», dont la transparence, aussi bien dans les pays démocratiques, fait largement défaut.

Pour justifier d’une coopération militaire axée uniquement sur la «lutte antiterroriste» aux contours très flous (l’on parle de bases militaires US dans la région), l’Algérie s’engage dans une coopération militaire sans précédent avec les Etats-Unis et les pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). L’objectif étant de combattre un «ennemi fantôme», qui se cacherait dans la région subsaharienne et qui tenterait de détruire le monde développé. Et à ce jeu, l’Algérie n’est pas la seule à s’y laisser faire, il y a tous les pays maghrébins et plusieurs autres africains qui «participent» à cette mission, dont ils ne connaissent même pas les gains. Comme si le seul problème auquel est confronté l’Afrique c’est le terrorisme. Au moment où des programmes lancés en grande fanfare comme le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) traînent en longueur et ne donnent pas de résultats tangibles, les pays africains (dont ceux du Nord du continent) qui se lancent dans ce genre de «coopération» n’offrent pas de quoi espérer à leurs populations. La seule manière de se mettre en valeur c’est, pour eux, d’être des «partenaires» dans la lutte antiterroriste.

En plus de la région subsaharienne, l’Algérie se lance dans la chasse aux terroristes par voie maritime. Lors de la récente réunion des 26 ministres de la Défense des pays de l’OTAN avec six pays arabes et Israël, qui s’est déroulée à la mi-février en Sicile (Italie), l’Algérie a officiellement annoncé son intention de participer dans l’opération maritime antiterroriste «Active Endeavour», qui suscite, selon le SG de l’OTAN, «plus d’intérêt» auprès des pays comme l’Algérie, le Maroc et Israël. D’ailleurs, la sécurité de l’Etat hébreux reste la principale préoccupation des pays de l’OTAN, qui considèrent que «L’Etat d’Israël est un Etat qui pose problème à beaucoup de pays, mais la sécurité d’Israël est essentielle pour nous tous». Et, de manière générale, la sécurité des pays occidentaux prime dans la coopération qu’ils nous proposent, comme l’a souligné Donald Rumsfeld, le ministre américain de la Défense, lors de la réunion de l’OTAN en évoquant l’importance du renforcement de la sécurité atlantique «au-delà de nos frontières». Et cela peut aller jusqu’en Irak, en Afghanistan et dans la région subsaharienne !

La coopération de l’Algérie avec les USA serait, dit-on, motivée par les prétendus liens entre le GSPC et la nébuleuse Al-Qaïda, dont personne n’arrive à en dessiner les contours exacts, au point d’en faire un fantôme avec lequel on peut effrayer tout le monde. Alors, on suscite des coopérations militaires pour l’affronter. Qui peut oser s’opposer à une telle mission au risque de se faire taxer de «terroriste» ? Alors que la question n’est pas d’arrêter la lutte contre le GSPC et tout autre groupe terroriste en Algérie, mais de veiller à ne pas s’engouffrer dans une démarche «globale» dont on ne connaît pas le lendemain.

Des «spécialistes», algériens ou autres, vous expliqueront du haut de leurs certitudes, et vous êtes aimablement sommés de les croire sur parole, que «tout le monde, notamment les Américains, est conscient de la vulnérabilité de la région sahélo-saharienne. Après la chute du régime des talibans, les résidus d’Al Qaïda se sont mis à la recherche d’un autre sanctuaire. La région du Sahel se trouve être la plus indiquée parce qu’elle offre toutes les garanties de sécurité et d’évolution. C’est une région perméable, étendue, pauvre et non administrée. Elle est la plus proche du Moyen-Orient et de l’Europe et se trouve à équidistance entre les deux principaux producteurs de pétrole de l’Afrique, à savoir l’Algérie et le Nigeria». Y a-t-il une objection à cette «démonstration» ?

A ce jeu des «théories», le risque est gros de perdre le nord et de rater la véritable guerre contre le terrorisme. Rappelez-vous, à la suite de l’attaque du 3 juin 2005 contre une base militaire mauritanienne dans le nord-est du pays, les «analystes» comme les autorités mauritaniennes avaient attribué cet assaut au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Pourquoi pas ? Le GSPC, basé traditionnellement dans la région de Kabylie (Nord de l’Algérie) peut aussi bien avoir des «représentations» dans le Sahara, la région subsaharienne et même se balader dans des pays voisins comme la Mauritanie.

Ayant compris l’astuce, le précédent homme fort mauritanien, le général Mouaaouiya Ould Taya, n’avait pas hésité à masquer un problème interne en une attaque venant de l’extérieur du pays, et plus précisément de l’Algérie. En outre, et trouvant à son tour le jeu très amusant, une certaine presse marocaine va jusqu’à s’interroger sur de prétendus «liens» entre le GSPC et le Polisario.

La riposte est quand même venue d’Alger, lorsqu’un «spécialiste» des questions sécuritaires avait démontré (une fois n’est pas coutume) sur les colonnes d’un quotidien national que le scénario de l’ancien homme fort de Mauritanie ne tenait pas la route. «Un numéro de carte grise et un camion. Les preuves contre le GSPC, notamment l’émir Mokhtar Belmokhtar, brandies par l’armée mauritanienne pour expliquer l’attaque de la caserne de Lemghity, semblent bien minces. Nouakchott, qui accuse le mouvement salafiste algérien, a choisi une stratégie à hauts risques pour occulter ses problèmes politiques internes», écrit-il.

Il faut juste garder à l’esprit que cette prétendue attaque du GSPC en Mauritanie a donné lieu, un mois plus tard (juillet 2005) à Nouakchott, à une réunion très secrète des chefs d’état-major des armées de Mauritanie, du Mali, du Niger et d’Algérie avec une délégation américaine du commandement américain en Europe, une «réunion sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme», dans la région d’Afrique subsaharienne.

Quelques semaines plus tard, le régime de Mouaaouiya Ould Taya tombe dans un coup d’état militaire le 4 août 2005, alors qu’il se trouvait en visite officielle à l’étranger.

Mais, quel prestige tire-t-elle l’Afrique à être considérée «partie intégrante de la lutte internationale contre le terrorisme» et «un partenariat stratégique avec la communauté internationale» au moment où elle est confrontée à toutes sortes de problèmes à commencer par le grand banditisme, la corruption, le sous-développement, la famine, la pauvreté et les maladies en tous genres. Ne peut-elle pas envisager de lutter contre ces fléaux tout en luttant implacablement contre toute forme de terrorisme, y compris l’autoritarisme et l’absence de libertés ? N’a-t-on pas usé et abusé du «danger global du terrorisme» pour maintenir des situations tout aussi dangereuses à court terme que le terrorisme lui-même ?

Le danger est justement que de prétendus liens entre Al-Qaïda et des groupes terroristes comme le GSPC ne soient utilisés dans le contexte de la «guerre contre le terrorisme» que pour empêcher toute évolution des régimes de la région vers la démocratie et pour lutter contre des réseaux de contrebande et de grand banditisme aussi puissants dans certains cas que les Etats eux-mêmes.

A quoi bon croire que l’on peut prendre part à la «guerre globale contre le terrorisme», si chère au président américain, lorsqu’on n’a même pas été capable de résoudre le conflit du Darfour et de lutter contre la famine au Niger ?

Abdelkader Djalil