Enquête ouverte à Sarajevo : Deux ministres derrière le transfert d’Algériens à Guantanamo

Enquête ouverte à Sarajevo : Deux ministres derrière le transfert d’Algériens à Guantanamo

par B. Mokhtaria, Le Quotidien d’Oran, 28 juin 2008

Un ancien Premier ministre et un ancien ministre de l’Intérieur bosniaques sont accusés d’avoir expédié illégalement quatre détenus bosniaques d’origine algérienne vers la prison américaine de Guantanamo en janvier 2002, malgré leur acquittement par la Cour suprême bosniaque. sara.JPG Une enquête sur le rôle de ces deux ex-membres du gouvernement dans cette affaire a été ouverte, selon un communiqué du bureau du parquet bosniaque, cité par l’AFP. Il s’agit de l’ancien Premier ministre Zlatko Lagumdzija, à la tête du gouvernement entre 2001 et 2002 et dirigeant du Parti social-démocrate bosniaque, et de l’ancien ministre de l’Intérieur Tomislav Limov qui font l’objet d’une enquête pour «privation illégale de liberté» et de droits de ces quatre personnes, toujours détenues dans la prison de Guantanamo. Soupçonnés, avec deux autres personnes, d’origine algérienne aussi, d’avoir projeté une attaque contre les ambassades de Grande-Bretagne et des Etats-Unis à Sarajevo, les quatre détenus ont été remis aux Américains sur autorisation des deux ministres bosniaques et transférés à Guantanamo malgré l’absence de preuves.

Le parquet a estimé que la décision de les livrer aux Américains avait été fondée sur «l’origine éthique de ces citoyens bosniaques». «Ces citoyens bosniaques ont été exposés à des procédures humiliantes, remis à un Etat qui peut les condamner à mort et sont détenus dans des conditions dépourvues de toute dignité et sans espoir de recevoir une assistance», a-t-il ajouté. La Chambre des droits de l’homme de la Bosnie-Herzégovine a également estimé que le gouvernement bosniaque avait violé sa propre loi, ainsi que la loi européenne, en permettant aux Etats-Unis d’emprisonner ces hommes à Guantanamo.

Les quatre détenus font partie du groupe des six Algériens, Mustafa Aït Idir, Hadj Boudella, Mohammed Nechla, Lakhdar Boumediène, Belkacem Bensayeh et Saber Lahmar, arrêtés en octobre 2001, car soupçonnés de vouloir commettre des attentats à la bombe contre les ambassades américaine et britannique à Sarajevo. Ils sont arrivés la première fois en Bosnie entre 1992 et 1995. Cinq de ces six hommes ont par la suite obtenu la citoyenneté bosnienne, tandis que le sixième, Saber Lahmar, jouit du statut de résident permanent.

Cependant, après une enquête de trois mois menée par Interpol, ainsi que par les autorités bosniennes et américaines, la Cour suprême de la Fédération de Bosnie-Herzégovine n’a trouvé aucune preuve appuyant les accusations de terrorisme. Elle a donc ordonné leur libération le 17 janvier 2002. Malgré cette décision de la cour, les deux ministres ont autorisé la remise des détenus aux Américains. Boumediène Lakhdar est le seul à avoir contesté sa détention en menant une importante bataille judiciaire qu’il a d’ailleurs gagnée. Les juges de la Cour suprême américaine ont autorisé le détenu de Guantanamo de saisir la justice civile pour contester sa détention. Cette victoire de Boumediène contre George Bush ouvre le champ à 270 détenus de mener cette procédure juridique.

La cause des six hommes a également été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Le jugement est attendu à la fin de 2008. Strasbourg pourrait ordonner au gouvernement de la Bosnie de payer plus de 5,8 millions d’euros de dommages et intérêts aux familles des six hommes. Les familles des prisonniers espèrent que si la Cour suprême des Etats-Unis déclare que le gouvernement américain doit faire la preuve de la nécessité de la détention des prisonniers de Guantanamo, les six hommes retrouveront la liberté tôt ou tard.

Les avocats des six hommes attendent aussi le résultat de la plainte qu’ils ont déposée devant la Cour des droits de l’homme contre le gouvernement bosnien. Ils accusent celui-ci de ne pas avoir assuré le respect des droits des six hommes, incluant le droit de ne pas être torturé ou traité de façon inhumaine. Or ces droits sont garantis par la Constitution de la Bosnie.

Pour rappel, les autorités américaines ont affirmé, dernièrement, que les responsables algériens ont refusé le rapatriement des détenus algériens à Guantanamo vers l’Algérie.

Le président de la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’homme (CNCPPDH), Maître Farouk Ksentini, a expliqué sur ce point que «le refus algérien est fondé sur une question importante, celle de la souveraineté du pays». Il indique que les Américains ont voulu livrer les détenus de Guantanamo sous conditions, à savoir le retrait des passeports à ces détenus dès leur arrivée en Algérie, leur mise sous contrôle judiciaire et l’ouverture de procès pour leur inculpation. Sur la question de souveraineté, le président de la CNCPPDH souligne que «l’Algérie est intransigeante».