Guantanamo désavoué par la Cour suprême US: Boumedienne a vaincu Bush
par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 14 juin 2008
Après une longue attente, l’Algérien Lakhdar Boumedienne, arrêté en Bosnie en 2001 et emprisonné depuis 2002 au camp de concentration de Guantanamo, a gagné une importante bataille judiciaire contre le président des Etats-Unis, George W. Bush.
La procédure introduite par Lakhdar Boumedienne, sans résoudre tous les problèmes, est une victoire judiciaire, tardive mais importante, pour l’ensemble des détenus de Guantanamo. C’est par cinq voix contre quatre que les juges de la Cour suprême américaine ont autorisé, jeudi, les 270 détenus du Goulag de Guantanamo à saisir la justice civile, pour contester leur détention.
Les juges, à une courte majorité, ont estimé que la Constitution américaine s’appliquait au camp de Guantanamo. Même si l’on peut s’attendre à ce que l’administration engage une bataille de procédures, le jugement est un désaveu monumental pour George W. Bush. « C’est tout le fondement de l’existence de Guantanamo qui s’écroule », a estimé un avocat. Et il n’a pas tort.
Ce que la Cour suprême a édicté est un rappel essentiel, à savoir que la lutte antiterroriste ne justifie pas que les lois et la Constitution soient mises sous le boisseau. La Cour suprême américaine fait preuve de constance dans ce domaine, en dépit de la présence de juges conservateurs totalement acquis à Bush.
Par deux fois dans le passé, elle avait émis un jugement allant dans le même sens, mais le Congrès, dominé alors par les partisans de Bush, avait voté de nouveaux textes de lois pour permettre la préservation du Guantanamo et la mise en place de cours militaires spéciales pour juger les détenus qualifiés « d’ennemis combattants », un barbarisme juridique pour éviter la mise en oeuvre des conventions internationales. Ce sont ces textes de loi qui sont remis en cause par le jugement.
Un régime où le tribunal «ne peut plus dire la loi»
« Les lois et la Constitution sont destinées à être en vigueur, même dans des circonstances exceptionnelles », a décrété la Cour suprême sous la plume du juge Anthony M. Kennedy. C’est la lettre et l’esprit de la politique Bushienne qui est réduite en miettes par ce rappel élémentaire aux règles de l’Etat de droit. La victoire morale et juridique de Lakhdar Boumedienne contre George W. Bush va ouvrir le champ à une bataille de procédure juridique qui peut durer. Le Tribunal fédéral de Washington est saisi, depuis des années, de près de 200 procédures sur lesquels les juges n’avaient pas tranché, car la question de leur validité n’était pas tranchée.
Il reste, estiment les juristes, que l’impact pratique de la décision reste peu clair. Certains considèrent qu’il n’aura pas de grandes incidences sur les procès militaires déjà en cours à Guantanamo. Mais la Cour suprême a infligé une défaite juridique considérable à l’équipe de Bush, en estimant que laisser la possibilité à l’exécutif ou même au législatif la possibilité de « désactiver » (to switch) la Constitution conduirait à un régime où la justice ne serait plus en mesure de « dire ce qu’est la loi ». En clair, à un régime totalitaire. Les détenus ne pouvaient donc être privés de leur droit à contester leur captivité devant un juge civil.
De Rome, où il poursuit sa tournée européenne, le président américain a indiqué que son administration allait respecter l’opinion de la Cour même s’il se sent « en plein accord » avec les juges conservateurs qui ont voté contre la décision. Lakhdar Boumedienne, dont le nom est désormais associé à cette défaite judicaire de Bush, est l’un des six Algériens arrêtés en Bosnie en 2001 et livrés aux Américains, malgré une décision de la justice bosniaque qui les a blanchis de l’accusation d’avoir projeté un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis. La décision « retire sa raison d’être à Guantanamo, conçu comme une zone de non-droit » et « sonne le glas du camp », a ainsi assuré Kenneth Roth, directeur de l’Organisation de défense des Droits de l’Homme Human Rights Watch. La Cour suprême vient ainsi de mettre, à nouveau, un doigt accusateur sur un des aspects les plus terribles du bilan noir de l’administration Bush.
Le stalag et la loi du Pecos
par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 14 juin 2008
C’est de Rome que le président G.W. Bush a appris la décision de la Cour suprême des Etats-Unis reconnaissant aux détenus du bagne de Guantanamo le droit de se pourvoir devant des tribunaux civils pour contester le sort qui leur est fait dans la détention hors de tout fondement juridique dans une zone de non-droit.
Plus qu’un désaveu, il s’agit là pour le président Bush d’un camouflet d’une extrême sévérité. L’arrêt de la Cour suprême, le troisième du genre depuis 2004, confirme l’illégalité et le caractère exorbitant de droit des mesures édictées par l’administration néoconservatrice. La mise au secret sans charges notifiées et pour des durées indéterminées d’individus est un acte inacceptable au regard du droit et de la raison. L’emprisonnement sans procès juste ni possibilité de recours est une abjection. Il restera dans l’histoire qu’un grand pays fondé sur la sacralisation de la loi et se représentant comme le summum de la démocratie, a permis une régression extraordinaire en inventant la forme moderne des lettres de cachet et en installant les oubliettes de Guantanamo.
En opposant, dans la tradition totalitaire, la sécurité à la liberté, les fanatiques religieux au pouvoir avec George W. Bush ont très gravement porté atteinte à l’image et à la crédibilité des Etats-Unis. Tous ceux qui croient dans la lutte politique et la confrontation pacifique des idées ont vu dans ce mode de gestion l’expression de la brutalité et du culte de la force propre aux dictatures les plus primitives. En effet, la seule ligne de démarcation entre ceux qui prêchent la violence indiscriminée et ceux qui prônent une société civilisée au sens universel du terme, réside dans le respect du droit.
En recourant à de telles méthodes, l’administration américaine a démontré par les souffrances abominables infligées à des centaines de personnes privées de défense, que le retour à la loi de la jungle pouvait se justifier. En ce sens, ce n’est pas seulement la lettre mais l’esprit, dans son acception la plus stricte, de la Constitution des Etats-Unis qui a été violé. S’il ne peut s’opposer à la décision des juges, n’ayant plus la marge de manoeuvre pour changer les lois en s’appuyant sur une majorité républicaine aujourd’hui disparue, le président Bush conserve la capacité de bloquer la situation. Il ne faut donc pas s’attendre à la fermeture du stalag de Guantanamo avant le départ effectif, en janvier prochain, de l’actuel locataire de la Maison-Blanche.
Le chef de file des néoconservateurs montrera ainsi qu’il est le digne continuateur des partisans de la loi du Pecos, nom du système de sauvagerie légalisé et d’injustice qui prétendait autrefois incarner et maintenir l’ordre à l’ouest du Texas. De pauvres gens dont la culpabilité n’est pas établie continueront donc à payer inutilement le prix absurde de la bêtise et de l’aveuglement.
Le terrorisme ne se combat pas par l’arbitraire. La chasse résolue et le châtiment des criminels, quels qu’ils soient et quelle que soit la cause dont ils se réclament, ne sauraient être le prétexte à une barbarie institutionnalisée. Les juges l’ont sèchement rappelé à G.W. Bush. Mais le dommage causé à la réputation des Etats-Unis est incommensurable.