La France, l’Égypte et le Maroc refusent de laisser mourir l’UPM

Elle vient de bénéficier de sa première grande levée de fonds

La France, l’Égypte et le Maroc refusent de laisser mourir l’UPM

Le report à novembre prochain du Sommet de l’Union pour la Méditerranée (UPM) en raison du conflit palestino-israélien ne signifie pas que l’avenir de l’initiative lancée, il y a près de deux années par le président Sarkozy, est hypothéqué.

Marseille (France), de notre envoyé spécial, El Watan, 29 mai 2010

La France, l’Italie, le Maroc, l’Egypte et la Jordanie continuent en tout cas d’y croire et se refusent à se laisser gagner par le défaitisme. Les responsables de ces pays – qui constituent actuellement le noyau dur du projet – se montrent persuadés que l’UPM résistera aux chocs et aux innombrables tensions politiques qui minent la Méditerranée. C’est l’essentiel du message que sont venus délivrer, jeudi au Palais de la Bourse à Marseille, Christine Lagarde, Anne-Marie Idrac et Henri Guaino, respectivement ministre française de l’Economie, secrétaire d’Etat française au Commerce extérieur et conseiller spécial du président Sarkozy, à l’ouverture du « for’UM », un événement organisé par la coprésidence franco-égyptienne de l’UPM destiné à présenter un bilan des réalisations de l’organisation et à mobiliser les milieux d’affaires autour de projets concrets.

Près de 600 porteurs de projets et financeurs ont participé à cette rencontre marquée par la présence, entre autres, du secrétaire général de l’UPM, le Jordanien Ahmed Massadeh, du ministre égyptien du Commerce et de l’Industrie, Rachid Mohamed Rachid, et du Commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage, Stefan Fule. Au cours de leur plaidoyer, les responsables français se sont même refusées à parler de panne. Selon eux, l’Union pour la Méditerranée « avance ». Mieux, elle commence à prendre des couleurs et dispose désormais de moyens financiers suffisants pour aller loin.

A deux semaines de la fin de la coprésidence franco-égyptienne de l’UPM, ils ont tenu à montrer, chiffres à l’appui, que les liens se resserrent entre les deux rives de la Méditerranée et que les problèmes politiques ne bloquent pas la construction de l’UPM tout comme ils n’empêchent pas l’activité économique. « On ne mobilise pas 400 millions d’euros et on ne lance pas 270 projets pour une initiative en panne ! Les difficultés politiques n’ont pas empêché l’activité économique d’avancer, même si on ne fait pas de grandes annonces médiatiques. L’UPM est une initiative extrêmement positive même si ici ou là il y a quelques ralentissements, aujourd’hui les financements sont là », a soutenu Mme Lagarde lors d’un bref point de presse animé en marge « for’UM ». Une manière sans doute de dire que les choses vont maintenant s’accélérer.

L’UPM reprend des couleurs

La ministre française de l’Economie faisait allusion, bien évidemment, à Inframed qui avait été lancé à Paris la veille du « for’UM ». Il s’agit d’un fonds d’investissement destiné à financer des projets de l’Union pour la Méditerranée. Doté dans un premier temps de 385 millions d’euros avec l’objectif d’atteindre un milliard d’ici fin 2011, Inframed est présenté comme « un levier important pour le financement et la mise en œuvre de projets concrets dans la zone méditerranéenne, dans des secteurs relevant des priorités définies par la Déclaration de Paris telles que les infrastructures en matière de transports et l’énergie ». Ce fonds, d’après Mme Lagarde, permettra également de lever des capitaux privés pour financer des projets dans l’ensemble des 43 Etats membres de l’UPM. Inframed a été mis sur pied conjointement par la Caisse des dépôts française (qui contribue à hauteur de 150 millions d’euros), la Cassa Depositi e Prestiti italienne (150 millions d’euros), la Caisse des dépôts et de gestion du Maroc (20 millions d’euros) et l’Egypte (EFG Hermes 15 millions d’euros), ainsi que la Banque européenne d’investissement (qui apportera 50 millions d’euros).

Toujours en matière de financements, la ministre française de l’Economie a rappelé que les pays de l’UPM peuvent aussi bénéficier du soutien de la Fisem (dotée de 250 millions d’euros) qui apporte un appui financier aux entreprises, de l’ARIS (75 millions d’euros), de l’AFD, de la BEI et du Faro. Pour la secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Anne-Marie Idrac, ce « for’UM » est aussi la preuve que « l’UPM n’est pas morte » et que « ça marche ! ». Une position sur laquelle elle fut rejointe par Henri Guaino, conseiller spécial du président Nicolas Sarkozy et chef de la mission interministérielle pour qui l’« Union s’installe effectivement dans la durée, avec le soutien non seulement des Etats mais des sociétés civiles ». En réponse aux critiques nombreuses dont fait encore l’objet son « bébé » (il est l’inspirateur du projet de l’UPM), M. Guaino s’est contenté de rappeler avec amusement que « même l’Union européenne ne s’est pas faite en un jour ».

Dans le même ordre d’idées, le ministre égyptien du Commerce et de l’Industrie, Rachid Mohamed Rachid, a prévenu du « danger qu’il y aurait à laisser le développement de la Méditerranée être pris en otage par la politique et a recommandé aux pays membres de l’UPM d’être davantage pragmatiques ».

Par Zine Cherfaoui


Ahmed Messadeh. Secrétaire général de l’UPM

« La coopération économique peut contribuer à asseoir la paix »

Pour sa première intervention en tant que secrétaire général de l’UPM, le docteur Ahmed Messadeh a reconnu que le projet rencontre des problèmes. Mais pour lui, ils ne sont pas insurmontables. Pour les dépasser, il recommande d’être pragmatique et de travailler avec les entreprises privées. Bref, M. Messadeh suggère de suivre l’exemple de la construction de l’Europe.

– De nombreux observateurs n’ont pas hésité à « enterrer » l’UPM après le report de son sommet. Etes-vous d’accord aussi pour dire que la réalisation de ce projet est compromise ?

Jamais ! Je n’adhère absolument pas à ce point de vue qui n’est pas du tout exact. Rappelez-vous, même le processus de Barcelone a buté sur de nombreux obstacles avant qu’il n’atteigne sa vitesse de croisière. Il est vrai que le contexte méditerranéen et les conditions politiques actuels nous obligent à avancer avec beaucoup de prudence. Mais il faut se rappeler que le but de l’Union pour la Méditerranée est de créer un espace de confiance et de lancer un ensemble de projets concrets capables d’ouvrir des perspectives nouvelles aux peuples de la région.

Ce but peut-être atteint grâce à la coopération. Nous pensons aussi qu’à travers la coopération, il est possible de trouver des solutions à certains problèmes politiques et d’atténuer les tensions. Je puis vous assurer que le report du sommet ne signe pas l’acte de décès de l’UPM. Le report de ce rendez-vous est fait pour donner davantage de temps aux Palestiniens et aux Israéliens pour avancer dans leurs négociations. Ce report peut être aussi bénéfique pour le reste des pays de la région. Il faut voir les choses du bon coté.

– Ne craignez-vous pas que l’Union pour la Méditerranée connaisse le même sort que le processus de Barcelone en raison justement de la complexité du conflit palestino-israélien ?

Je ne le pense pas. Actuellement, nous nous attelons au niveau du secrétariat de l’UPM à rassembler les financements nécessaires pour monter un certain nombre de projets. Il faut commencer à créer une coopération.C’est le plus important. Le climat politique est ce qu’il est. Il est possible que cela soit encore le cas à l’avenir. L’idée, justement, est de sortir de cette équation politique qui pesait lourdement sur le processus de Barcelone et de rapprocher les acteurs grâce au travail et à la coopération. En agissant ainsi, nous aidons aussi la région à trouver des solutions à ses problèmes. La démarche peut contribuer au succès des processus politiques et des processus de paix.

– Vous n’oubliez quand même pas le poids du politique. Tout le monde sait qu’il est déterminant en Méditerranée…

Nous refusons que l’UPM soit prise en otage. Comme la majorité des membres de l’UPM, nous n’accepterons pas que la politique soit un frein à notre coopération.

Par Zine Cherfaoui