L’Union pour la Méditerranée sombre au port de Marseille

L’Union pour la Méditerranée sombre au port de Marseille

El Watan, 26 janvier 2009

Lors de la tenue à Paris de la réunion au sommet de l’UPM, les 13 et 14 juillet 2008, il ne fallait pas évoquer les sujets qui fâchent. II ne fallait pas minimiser les efforts déployés par la France, d’une part, et son Président d’autre part ! II était donc nécessaire de remettre à une date ultérieure (réunion des ministres des Affaires étrangères, les 4 et 5 novembre à Marseille) la définition du contenu de cette Union et la gestion des dossiers qu’elle induit (organisation, siège, projets, nominations, budget, représentation…).

Fallait-il attendre de cette réunion une quelconque décision significative qui aurait concouru à la construction de l’UPM ? Certainement pas ! Comme nous l’avions écrit il y a plus de cinq mois, le pharaon égyptien a été intronisé (par décision israélienne) pour coprésider l’Union comme représentant des pays du Sud, Barcelone abrite l’organisation et la Tunisie le secrétariat général (le roi du Maroc a refusé d’assister faute d’avoir obtenu un quelconque organisme). Pouvait-il en être autrement, compte tenu des arrière-pensées affichées et des tractations de coulisses ? L’UPM était attendue sur le contenu de l’Union, son programme de travail et les moyens humains et financiers qui lui seront consacrés. A cet endroit, plus que jamais l’UPM a programmé son inefficacité et sa non-crédibilité. En effet, l’UPM ne tiendra pas ses promesses puisqu’elle ne disposera que des ressources prévues par l’UE (1 milliard d’euros pour tous les pays du Sud), soit quasiment rien du tout pour réaliser ses ambitions, sauf à ajouter de vagues promesses de mobilisation de financements privés (des pays du Golfe) qui ne seront certainement pas tenues. La crise économique mondiale sera tenue pour responsable de ce fiasco, elle viendra sauver une chimère et ensevelir pour un long moment les songes que certains auraient voulu rendre réalité par un tour de prestidigitation, avec moult parades et effets médiatiques.

Comme ce n’est pas par le spectacle et le virtuel que de pareilles ambitions peuvent voir le jour, il est clair que le projet va suivre la même trajectoire que le processus de Barcelone, la durée de passage d’une étoile filante et de sa traînée évanescente. De même, il est pour le moins évident qu’une entreprise de cette envergure ne pouvait pas fonctionner, au départ, avec une telle taille (27 + 5 pays). La réunion de Marseille achève de compliquer cette problématique en y introduisant la Ligue arabe, ce qui a permis à Israël d’imposer sa présence au secrétariat général ! Ainsi, l’UPM va s’étendre de l’Atlantique à l’ouest à l’océan Indien à l’est, du fleuve Sénégal au sud, à la mer Baltique au nord… Pourquoi pas l’OCI(1) ? Nous nous retrouverions dans une UPM qui s’étend de l’Atlantique à l’océan Pacifique ! C’est ce que l’on appelle de la géopolitique à géométrie variable, certes, mais à trop vouloir intégrer des espaces politiques, économiques et socioculturels et culturels contrastés, sans ancrages objectifs mobilisateurs des Etats et des peuples, nous aboutissons à une organisation « danaïdienne », productrice de chimères, de vœux pieux et de faux espoirs. Le résultat, c’est la perte de l’espoir d’une prospérité partagée dans la région (concept que l’on nous sert à toutes les sauces, dans toutes les réunions internationales).

Ses conséquences sont la paupérisation plus prononcée des populations, l’augmentation et le non-contrôle des flux migratoires, la déstabilisation des Etats et le règne de tous les trafics. Le cycle infernal de l’expansion de la pauvreté, du développement de la misère et du pillage des ressources du tiers-monde est à nouveau enclenché. Alfred Sauvy(2) disait, à juste titre, que si « la richesse n’allait pas vers l’homme, c’est l’homme qui ira vers elle ». Cette sentence d’un humaniste ne semble pas arriver aux oreilles des décideurs de la région, alors que les embarcations précaires des émigrés clandestins du Sud ne cessent d’augmenter avec leur lot de cadavres aux portes des pays du nord méditerranéen. La chute du sommet de Paris était prévisible et seuls quelques naïfs aux analyses alambiquées (y compris en Algérie) pouvaient encore croire et accroire à cette entreprise. Si on voulait tuer dans l’œuf l’UPM, on n’aurait pas agi autrement. Pourtant, certaines voix averties avaient tenté d’attirer l’attention des décideurs du moment sur le fait que l’idée d’UPM n’était porteuse que dans le cadre restreint du « 5+5 », dans une étape fondatrice et initiale. Le paradigme de la transversalité devait être le conduit stratégique par lequel cette construction aurait dû se réaliser dès le départ afin de mettre en œuvre tous les instruments organisationnels et opérationnels devant fonder cette Union. L’intégration des autres pays méditerranéens se serait réalisée au fur et à mesure du règlement des problèmes inhérents à sa partie orientale et au rythme de l’acceptation par les différents prétendants aux règles d’adhésion, préalablement édictés par cette organisation. A l’instar du Conseil économique des pays du Golfe, qui tente avec un certain succès l’intégration économique des pays de la région, l’UPM se devait d’être une architecture à plusieurs modules, intégrant au fur et à mesure les problèmes spécifiques et complexes de son élargissement. Cette démarche nous aurait évité de sombrer dans une problématique qui, à vouloir prendre en charge tous les problèmes de la région méditerranéenne à la fois, nous met automatiquement dans une situation d’incapacité paralysante. En outre, cette démarche globalisante introduit obligatoirement dans l’espace méditerranéen, des pays non riverains de cette mer convoitée et notamment les deux super-puissances que sont la Russie et les USA.

Car, il est pour le moins singulier de croire que ces dernières ne vont pas réagir à cette construction qui les exclut par définition. Leurs intérêts dans la région leur recommandent soit de faire imploser cette organisation soit de la contrôler directement ou indirectement. Certains ont cru naïvement que l’élargissement aux pays du Golfe de l’UPM, via la Ligue arabe, allait remplacer les euros, refusés par l’Europe anglo-saxonne (en particulier la rfa), par les pétrodollars des pétromonarchies ! C’est une autre erreur stratégique qu’il fallait à tout prix éviter. En effet, les pays à excédents de capitaux du Golfe ont leur propre stratégie de placements de leurs réserves et ne consentiront jamais de mutualiser leurs décisions de souveraineté dans une organisation de type UPM. L’approche par projets à financer trouverait un écho plus favorable, surtout après les pertes subies du fait de la crise financière. Pourtant, il était évident qu’une telle entreprise ne pouvait se construire que par un noyau dur de départ (l’espace 5 + 5 eut été idéal) qui lui aurait donné sa consistance, son organisation et sa vision dynamique à moyen et long termes. Cette stratégie serait dotée d’une politique d’élargissement graduée aux autres pays qui en feraient le souhait, adhésion qui les obligerait à se conformer préalablement aux règles établies et en usage dans cet espace. Les exemples de construction d’institutions régionales ou internationales multilatérales sont légion et nous indiquent tout clairement le chemin à suivre si on veut réussir et celui à prendre pour aller droit à l’échec (UE, OMC, ONU, UA…). En outre, ces organisations se sont dotées de programmes et d’étapes ayant toutes les chances d’aboutir, ce qui nécessite une contraction des ambitions à la hauteur de moyens sûrs et disponibles. L’UMA est le bon exemple d’une construction régionale ratée, car construite par le haut sur des considérations subjectives et une vision idéalisée.

Si l’UMA avait été fondée sur un socle d’intérêts objectifs concrets, créant des dépendances relatives entre signataires, le problème de la décolonisation du Sahara-occidental aurait trouvé une issue à l’intérieur du Maghreb et n’aurait certainement pas bloqué le processus de construction depuis si longtemps. En créant préalablement des superstructures maghrébines politiques, juridiques, exécutives et parlementaires (Parlement, cour de justice…) avant même les bases économiques et sociales, les Etats de l’UMA ont jeté les bases de la construction d’une organisation des leaders du moment et l’inscrivaient dès lors dans une problématique où les subjectivités et les calculs d’épiciers se retrouvaient aux premières loges. Cette vision à court terme est en décalage avec l’œuvre à entreprendre et qui nécessite un travail de très longue haleine. Non seulement l’UMA n’a pas survécu à ses géniteurs mais elle laisse aux autres générations un contentieux lourd de conséquences et des frustrations populaires qui peuvent être orientées vers la destruction des pays du Maghreb. La configuration de l’UPM intégrant les pays de l’UE et ceux de la Ligue arabe d’une part et l’inscription de projets gigantesques sans ressources d’autre part réunissent les deux conditions qui mènent ce projet vers un échec programmé. A qui profite le crime ? La question mérite un détour. En effet, une Méditerranée occidentale stable et prospère intégrant les autres pays de la Méditerranée orientale, au fur et à mesure du règlement des problèmes (et notamment le conflit du Moyen-Orient) peut conduire à une émancipation des peuples et des régimes du sud de la Méditerranée, ce qui, à n’en pas douter, ne convient pas à ceux qui jouissent de la rente au nord comme au sud de la Méditerranée. Notes de renvoi

*Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale

(1) L’Organisation de la Conférence islamique.

(2)Démographe et économiste français.

Par Dr Mourad Goumiri