Feu l’UPM ?
par Akram Belkaïd, Paris, Le Quotidien d’Oran, 26 mars 2009
L’Union pour la Méditerranée, plus connue encore sous le sigle UpM serait-elle en train de dépérir pour ne pas dire qu’elle aurait exhalé son dernier souffle depuis longtemps ? Nombreux sont les experts qui en sont convaincus. Selon eux, le processus est d’ores et déjà enterré, victime de la guerre de Gaza et du comportement pusillanime des Européens, mais aussi de l’indifférence des régimes arabes face aux souffrances des Palestiniens. Pour les opinions publiques du Sud de la Méditerranée, furieuses contre leurs pouvoirs, il est en effet impensable de soutenir un processus où Israéliens et Arabes s’assoiraient à la même table comme si de rien n’était. Et de cela, les gouvernements de cette zone en sont conscients même si au fond d’eux-mêmes ils n’aspirent qu’à une tranquille, d’autres diraient honteuse, normalisation avec l’État hébreu.
Avant d’aller plus loin, il faut d’abord rappeler que l’affaire avait déjà bien mal débuté. On se souvient que Nicolas Sarkozy entendait, en premier lieu, restreindre cette Union aux pays riverains de la Méditerranée. Une volonté qui a «hérissé» les Allemands et provoqué une vive tension entre Paris et Berlin. Le président français a ensuite mis de l’eau dans son vin, acceptant que l’UpM soit un processus qui associe tous les pays de l’Union méditerranéenne à ceux du bassin sud et est de la Méditerranée. On se souvient aussi que cette initiative avait été mal vue par plusieurs pays arabes, les uns voyant en elle une tentative déguisée de créer les conditions d’une normalisation forcée avec Israël, tandis que les autres craignaient qu’elle n’empêche le renforcement de leurs propres relations institutionnelles et économiques avec l’UE dans le cadre de la politique de voisinage. Cela sans compter la Turquie qui a suspecté que ce projet n’ait été qu’un moyen diplomatique d’empêcher son adhésion à l’Union européenne.
Moins d’un an après la naissance officielle de l’UpM à Paris, c’était le 13 juillet dernier, la réalité géopolitique a repris ses droits et l’on réalise sa part d’utopie voire d’amateurisme. Comment croire en effet qu’un mouvement multilatéral d’importance puisse exister dans la Méditerranée sans règlement de la question palestinienne ? Il y a quatorze ans, le processus de Barcelone, né de la première Guerre du Golfe et de l’euphorie qui a suivi les accords d’Oslo, promettait la même chose ou presque que l’UpM, à savoir faire de la Méditerranée un espace de paix et de prospérité grâce, notamment, à l’économie.
Certains pays comme le Maroc et, à un degré moindre la Tunisie, ont su profiter du processus de l’Euromed. Mais de manière générale, « Barcelone » n’a pas tenu ses promesses en raison de son caractère unilatéral, l’Europe dictant ses conditions et le Sud n’ayant qu’une faible manoeuvre pour négocier. Mais la véritable raison de la stagnation de l’Euromed est liée à l’enlisement du dossier palestinien. Plusieurs guerres, dont celle du Liban en 2006, l’intifada et la poursuite de la colonisation en Cisjordanie, ont constitué d’importants facteurs de blocage qui persistent à ce jour.
Et c’est là le noeud du problème. A ce jour, les dirigeants européens restent persuadés que l’on peut faire progresser les relations et les échanges avec la zone sud de la Méditerranée sans qu’il n’y ait de changement majeur dans la situation des Palestiniens. Ouvertement ou pas, ils estiment que les régimes arabes sont capables de modifier leur position et de passer outre l’hostilité de leurs opinions publiques. Cela fait vingt ans que les Européens font ce pari, et cela fait vingt ans qu’il ne se réalise pas !
La manière avec laquelle l’Union européenne traîne des pieds pour soutenir pleinement l’initiative de paix arabe au Proche-Orient – voilà déjà sept ans qu’elle a été lancée-est à ce titre édifiante. Voilà une démarche sérieuse, basée sur le principe simple de « la terre contre la paix », qui, si elle aboutit, serait un formidable catalyseur pour le rapprochement de l’Europe avec sa rive sud de la Méditerranée. Le problème, c’est que cela ne fait pas partie des solutions possibles que l’UE accepte de prendre en compte. Et c’est cette position attentiste des Européens par rapport à tout ce qui touche la Palestine qui décrédibilise, pour une bonne part, tous leurs projets qui visent à donner une autre dimension aux relations euro-méditerranéennes. Faut-il pour autant se réjouir de la stagnation de l’UpM ? On pourrait le faire par simple envie de se moquer de Nicolas Sarkozy. Le problème c’est qu’il y a urgence. Qu’on le veuille ou non, l’avenir de la rive sud de la Méditerranée, ou pour être plus précis, du Maghreb, est au Nord. Et, c’est le plus intéressant, la réciproque est vraie. Dans un monde où sévit la crise économique, où le prix du transport va fatalement augmenter dans les années à venir, l’économie va redécouvrir le sain concept de proximité et la géographie reprendra ses droits. Mais, il y a une autre donnée, encore plus incontournable, qui est celle de la démographie. La réalité, pour les décennies à venir, c’est que les bras vont manquer au nord quand ils se multiplieront au sud. Qui va payer les retraites au Nord si ce n’est les travailleurs du Sud ? Où les entreprises européennes trouveront-elles de nouveaux marchés si ce n’est au sud de la Méditerranée (*) ?
Mais pour que ceux du Sud paient, par leurs cotisations sociales, les retraites au Nord, il faut que ce dernier investisse et crée des emplois au Maghreb comme au Levant. Et, si l’on est optimiste, on peut se dire que l’Europe, tôt ou tard, devra admettre qu’elle n’a pas le choix que de s’investir pleinement dans sa rive sud.
Cette réalité, ils sont nombreux à ne pas vouloir l’admettre au Nord. L’idée même que des « facteurs d’irrévocabilité » autres que l’énergie (si les gens du Sud paient les retraites de ceux du Nord, les relations entre les deux rives pourront difficilement être remises en cause) puissent exister entre le Maghreb et l’Union européenne a du mal à être prise au sérieux à Paris, Bruxelles ou Berlin. C’est pourtant cela qui pourrait s’imposer dans trente à quarante ans. A condition, bien sûr, que les Palestiniens aient enfin recouvré leurs droits et dignité.
(*) Lire la lettre ouverte de Abderrahmane Hadj Nacer aux participants du G20, Le Nouvel Économiste du 19 février 2009.