Sarkozy, Zapatero et Prodi lancent l’Appel de Rome
Union de la Méditerranée
Sarkozy, Zapatero et Prodi lancent l’Appel de Rome
El Watan, 22 décembre 2007
En dehors de l’Allemagne qui continue à s’opposer farouchement à la concrétisation de son projet d’union méditerranéenne, le président français Nicolas Sarkozy a réussi, jeudi soir à Rome, la prouesse de convaincre ses homologues espagnol et italien de rallier sa cause.
Plus qu’un simple soutien, le président français a reçu de la part des chefs de gouvernement espagnol, Jose Luis Zapatero, et italien, Romano Prodi, qui jusque-là s’étaient montrés réservés sur la question, un engagement ferme de contribuer à faire aboutir le projet d’union méditerranéenne. Engagement qui, pour le moins que l’on puisse dire, met en minorité l’Allemagne d’Angela Merkel. Ce soutien s’est exprimé à travers l’Appel de Rome pour l’union de la Méditerranée, lancé par MM. Sarkozy, Prodi et Zapatero et que ceux-ci entendent concrétiser lors d’une conférence le 13 juillet prochain à Paris. Le texte de cet appel a été adopté lors d’une réunion tripartite tenue dans la capitale italienne. Le président français et les chefs de gouvernement espagnol et italien ont, lors d’une conférence de presse animée conjointement, tenu à placer cette vision d’une union politique apportant « la paix et le développement » entre les deux rives de la Méditerranée, dans l’esprit ayant présidé au Traité de Rome de 1957 qui a donné naissance à l’Union européenne. « Convaincus du fait que la Méditerranée, creuset de culture et de civilisation, doit reprendre son rôle de zone de paix, de prospérité, de tolérance, le président de la République française, le président du Conseil des ministres de l’Italie et le président du gouvernement d’Espagne se sont réunis à Rome le 20 décembre 2007 pour réfléchir ensemble aux lignes directrices du projet d’union pour la Méditerranée. L’union pour la Méditerranée aura pour vocation de réunir Europe et Afrique autour des pays riverains de la Méditerranée et d’instituer un partenariat sur un pied d’égalité entre les pays du pourtour méditerranéen », ont indiqué MM. Sarkozy, Prodi et Zapatero dans leur appel. Et de préciser que cette union pour la Méditerranée sera « le cœur et le moteur de la coopération en Méditerranée et pour la Méditerranée et visera à rendre plus claires et visibles les actions que les différentes institutions développent en faveur de la Méditerranée ». Les responsables français, espagnol et italien ont indiqué par ailleurs s’être mis d’accord pour « inviter les chefs d’Etat et de gouvernement des pays riverains de la Méditerranée à se réunir avec les pays de l’UE le 14 juillet à Paris pour définir leur vision commune » et que « ce sommet sera précédé d’une réunion des pays riverains le 13 juillet ». Dans le même moment, l’on a annoncé que Paris assurera la présidence semestrielle de l’Union européenne à partir du 1er juillet 2008 et que des travaux préparatoires seront entamés au cours des prochains mois par la France, l’Espagne et l’Italie « en étroite consultation avec les pays appelés à participer » à l’union. Au-delà du problème posé par « le veto allemand », Paris, Madrid et Rome auront aussi fort à faire, d’ici juillet prochain, pour mettre en confiance les pays de la rive sud de la Méditerranée qui, dans leur majorité, sont assez dubitatifs sur cette idée d’union de la Méditerranée. Le défi principal pour MM. Sarkozy, Zapatero et Prodi sera notamment de convaincre leurs partenaires du Maghreb que leur projet sera plus équitable que le processus de Barcelone et, surtout, qu’il pourra trouver des réponses durables aux innombrables blocages sur lesquels celui-ci a butés au point de devenir complètement inopérant. Car, dans le cas contraire, le projet d’union de la Méditerranée, vu du Sud, ne pourra être appréhendé autrement que comme une chimère de plus.
Zine Cherfaoui
Point de vue-Méditerranée : construire la convergence
Identités, migrations, inégalités, environnement : l’espace euro-méditerranéen est unique de par la multiplicité des défis auxquels il nous confronte. « Rendez-vous des civilisations » depuis plusieurs millénaires, cet ensemble géopolitique de fait concentre les grandes fractures planétaires.
Alors que moins de quinze kilomètres séparent l’Europe de l’Afrique du Nord au détroit de Gibraltar, la mer Méditerranée marque le plus grand différentiel de niveaux de vie au monde entre deux régions contiguës, deux fois supérieur à celui entre les Etats-Unis et le Mexique. Une ligne de faille porteuse de graves fragilités sociales, politiques et environnementales. Le premier enjeu au sud de la Méditerranée demeure celui de la croissance économique : trop inégalement répartie et trop pauvre en emplois, elle est insuffisante pour résorber les déséquilibres structurels de la zone. Du fait des courbes démographiques, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient devront faire face, ces vingt prochaines années, à l’arrivée massive de jeunes, largement diplômés, sur le marché du travail. Or, le chômage des jeunes (près de la moitié des demandeurs d’emploi de la région) est porteur de profondes inégalités sociales qui, combinées aux disparités dans la répartition des richesses et l’accès aux services essentiels, produisent les conditions de la fuite en avant idéologique – dont la résurgence de groupuscules djihadistes au Maghreb est l’une des illustrations marquantes. 90 millions de nouveaux emplois devront être créés en vingt ans si la région veut juguler le fléau du chômage – soit l’équivalent du nombre d’emplois actuel.Mais le défi est double : le pourtour méditerranéen, densément peuplé, ne survivra pas non plus à une croissance qui aggraverait davantage les pressions sur les ressources naturelles de la région. Les travaux du Plan Bleu le montrent, la croissance actuelle est non-soutenable, tout comme l’aménagement des territoires et la gestion de l’eau dans de nombreux pays du bassin méditerranéen. La dégradation rapide de l’environnement engendre un coût économique majeur pour ces derniers. Le stress hydrique s’accentuera du fait du réchauffement climatique et de l’expansion démographique. Face à cette Méditerranée des défis, les réformes économiques domestiques sont fondamentales pour créer les conditions d’une accélération de la croissance. Améliorer, rénover et rendre cohérents les secteurs éducatifs des pays concernés sont les difficiles mais incontournables étapes dans cette direction. Ensemble, nous pouvons aussi bâtir une Méditerranée des réseaux : l’approvisionnement énergétique, les marchés financiers, les télécommunications ou les transports pourraient donner lieu à autant de réseaux structurant l’espace euro-méditerranéen. Enfin, les projets de coopération entre acteurs des secteurs public et privé de la région, qui encouragent aujourd’hui déjà le financement des PME (notamment dans les zones qui émergent de conflits) ou aident les entreprises de la rive sud à répondre aux normes internationales pourraient être renforcés, afin de permettre les synergies des économies du pourtour méditerranéen. A cet égard, les investisseurs privés européens et français doivent se positionner pour faire face à l’afflux des capitaux extérieurs, notamment des pays du Golfe. Car l’ampleur des défis à relever ne doit pas nous faire oublier ce que cette région recèle d’opportunités, en premier lieu desquelles sa main-d’œuvre jeune et qualifiée et ses marchés en expansion. Face à l’émergence de redoutables pôles de croissance asiatique, l’Europe et ses partenaires méditerranéens ne sortiront gagnants de la mondialisation que s’ils parviennent à mettre en valeur leurs complémentarités, renforçant ainsi la compétitivité de cet ensemble dans l’économie mondiale. Mais si le « croître ensemble » doit constituer le cœur d’une collaboration euro-méditerranéenne renforcée, les peuples riverains de la mare nostrum devront également relever le défi du « vivre ensemble », apprenant à partager des ressources rares. L’aménagement durable des territoires, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour les populations urbaines en forte croissance ou la problématique énergétique sont autant de sujets autour desquels les pays méditerranéens ont intérêt à travailler ensemble. La préservation et la valorisation de notre patrimoine naturel régional pourrait ainsi constituer l’un des axes de travail d’une Union des « solidarités concrètes ». Les priorités ne manquent pas pour l’union de la Méditerranée ; il s’agit aujourd’hui de choisir celles qui sauront fédérer les énergies et construire une convergence économique durable – préalable à tout progrès sur les autres fronts. L’histoire européenne nous l’a montré : le travail en commun autour d’intérêts partagés est la meilleure façon de dépasser les tensions et les clivages politiques qui continuent à peser sur le développement de la zone.
L’auteur est Directeur général de l’Agence française de développement
Jean-Michel Severino