Provocations américaines en Syrie : quand la donne échappe à Washington
Par : Lina Kennouche, El Watan, 2 juillet 2017
Doctorante à l’université Saint Joseph de Beyrouth
La tension entre l’axe de Washington et celui de Téhéran a franchi un palier supplémentaire ces dernières semaines avec la multiplication des provocations américaines en Syrie. La nouvelle tentative de déstabiliser Damas avec l’avertissement lancé par le président américain Donald Trump à l’adresse du régime syrien de lui faire «payer le prix fort» en cas de nouvelle attaque chimique et les discussions anticipées avec la France sur de possibles représailles, suggèrent une absence de maîtrise de l’évolution de la situation sur le terrain.
Dans ce contexte, la déclaration du secrétaire à la Défense, Jim Mattis, selon laquelle «l’avertissement» aurait été «pris au sérieux» par le régime de Bachar Al Assad apparaît comme un simple effet d’annonce qui masque mal la position inconfortable de Washington, dont les forces restent bloquées à Al Tanf, à une dizaine de kilomètre de la frontière entre la Jordanie, la Syrie et la vallée de l’Euphrate.
Le plan américain consistant à envoyer les Pentagon groups (assemblage hétéroclite de forces formées et entraînées par les Américains, ndlr) vers le nord d’Al Tanf situées sur l’axe stratégique reliant l’Irak à la Syrie pour empêcher la jonction entre les zones tenues par l’armée syrienne et celles contrôlées par les unités irakiennes du Hached chaâbi a été mis en échec le 10 juin dernier. Les frappes de la coalition n’ont pu entraver la progression de l’armée et de son allié irakien qui est parvenu à couper la route d’Al Tanf par le flanc sud. L’encerclement des Pentagon groups dans cette ville sanctionne donc l’échec de la stratégie américaine d’établir un couloir allant du Nord de l’Irak à l’Est de la Syrie pour transformer significativement la donne sur le terrain.
En réaction, Washington s’est livré à plusieurs démonstrations de force notamment en abattant un avion syrien près de Raqqa le 18 juin dernier. Mais en réalité, la capacité d’intervention militaire des Etats-Unis a très tôt montré ses limites comme, l’a illustré la frappe de représailles de la coalition contre une base de l’armée syrienne située près de Homs le 6 avril après le bombardement de Khan Cheikhoun. Cette opération a été davantage perçue comme une offensive de charme en direction de l’opinion publique qu’un véritable bombardement punitif.
Dans le but d’éviter une escalade militaire avec la Russie, Washington a veillé à informer Moscou de son action, lui permettant ainsi de retirer ses appareils militaires stationnés sur cette base.
Fortes de leurs succès, les troupes de l’armée syrienne et leurs alliés ont donc contraint les Américains à renforcer leur soutien aux forces kurdes, creusant un peu plus l’antagonisme avec Ankara. Dans cette perspective, la libération totale de Raqqa et la consolidation des positions kurdes dans une région arabe présente le risque d’un durcissement de la confrontation à la fois entre Turcs et forces kurdes mais également entre ces dernières et l’armée syrienne. La situation n’est pas moins volatile sur le terrain en Irak en dépit de la progression des forces irakiennes et l’assaut donné aux dernières poches de résistance dans la ville de Mossoul.
En effet, le risque d’exacerbation des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis dans le cadre de la lutte pour le contrôle du territoire est réel. Alors que les Américains apportent leur appui à la fois aux Kurdes irakiens et à une partie des forces sunnites, ils pourraient également être tentés d’instrumentaliser les contradictions sur une scène politique chiite fragmentée. Si la composante populaire du Hached chaâbi se trouve sous l’influence ou le contrôle effectif de l’Iran, les divergences avec les forces du Hached loyalistes à l’Ayatollah Ali Al Sistani et avec les Saraya du leader Moqtada Sadr constituent encore une carte imprévisible. Une convergence d’intérêts pourrait rapidement se dessiner entre les Etats-Unis poursuivant leur stratégie d’endiguement de l’Iran et le Premier ministre irakien Haïdar Al Abadi soucieux de sortir de la trop grande dépendance vis-à-vis de Téhéran.
Lina Kennouche