Comment les Occidentaux ont armé et financé Daech
Conflit syrien
Comment les Occidentaux ont armé et financé Daech
El Watan, 17 décembre 2017
L’ONG Conflict Armament Research (CAR) vient de confirmer ce que tout le monde savait déjà plus ou moins, à savoir que des pays occidentaux ont, sciemment ou non, renforcé des groupes terroristes activant au Proche et Moyen-Orient.
Dans un rapport publié cette semaine au terme de trois ans de recherches sur le terrain, CAR a ainsi analysé l’armement utilisé par le groupe terroriste autoproclamé Etat islamique (EI), en se basant sur un échantillon de 40 000 pièces. Il ressort que des armes fournies aux «rebelles» en Syrie, notamment par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, ont souvent fini entre les mains des éléments du groupe terroriste. En clair, cela veut dire que les Occidentaux ont indirectement armé Daech.
«La fourniture internationale d’armes aux factions du conflit syrien a augmenté de manière significative la quantité et la qualité des armes dont disposait l’EI», assure le rapport en question.
Selon la même ONG, Washington et Riyad ont fourni des armes, «apparemment à des forces de l’opposition syrienne». Les animateurs de CAR expliquent que dans la plupart des cas, les Etats-Unis n’avaient pas le droit d’envoyer aux rebelles cet armement obtenu auprès de fournisseurs européens, dont la plupart sont roumains et bulgares. Le rapport souligne que ces opérations ont par exemple «indirectement permis à l’EI d’obtenir des quantités substantielles de munitions anti-blindage». L’ONG Conflict Armament Research (CAR) fait remarquer que le fait n’est pas nouveau.
Elle rappelle que les Etats-Unis, la France et également la Grande-Bretagne avaient fourni des armes à l’Armée syrienne libre dès le début du conflit qui ont très vite fini aussi par atterrir dans le camp des terroristes d’Al Qaîda. «Le groupe terroriste Al Nosra, lié à Al Qaîda, se les était appropriées quelques jours plus tard. Sans compter les rebelles entraînés par la CIA en Jordanie qui ont fait défection avec armes et bagages pour rejoindre finalement les djihadistes. Ce qui avait poussé les Etats-Unis à mettre fin à ces programmes d’entraînements», indique l’ONG CAR.
Le cas éloquent de Lafarge
Un autre dossier traitant de collusions entre des groupes terroristes moyen-orientaux et des Occidentaux défraie actuellement la chronique. C’est celui du cimentier franco-suisse Lafarge Holcim. L’entreprise est carrément soupçonnée d’avoir financé Daech à hauteur de 12,946 millions d’euros pour continuer à faire fonctionner son usine syrienne entre 2011 et 2015.
L’ONG Sherpa, qui est partie civile dans le dossier, vient d’ailleurs de dénoncer des tentatives d’entrave à la justice de la part du cimentier. L’ONG Sherpa a accusé mardi dernier Lafarge de ne pas collaborer avec les enquêteurs et demandé au parquet de diligenter une enquête «pour entrave à l’exercice de la justice». William Bourdon, son président, accuse notamment l’entreprise d’avoir «organisé, selon une méthode qui fait plutôt penser à des méthodes de voyous, le nettoyage des preuves».
Les juges d’instruction, qui pilotent cette enquête depuis juin, semblent dresser le même constat : ils ont récemment relevé que «des éléments essentiels ne se trouvaient plus au siège lorsque la perquisition a été effectuée», d’après une source proche du dossier citée par l’AFP. «L’intégralité de la comptabilité susceptible d’impliquer la personne morale n’a pas été davantage transmise», ont-ils ajouté. L’affaire Lafarge, c’est «un dossier volumineux, dont les preuves sont très solides», comme le souligne le fondateur de Sherpa. L’ONG française de défense des victimes de crimes économiques était la première à porter plainte au nom d’anciens employés syriens. A noter que le 8 décembre, Bruno Lafont, PDG de Lafarge entre 2007 et 2015, a été mis en examen pour «financement du terrorisme», «mise en danger de la vie d’autrui» et «violation d’un embargo». Les observateurs soutiennent que cette décision est un coup de tonnerre. C’est la première fois en effet qu’un patron du CAC 40 est mis en cause pour une infraction terroriste.
Deux autres responsables du groupe ont aussi été mis en examen pour «financement du terrorisme» et «mise en danger de la vie d’autrui», jeudi et vendredi : Eric Olsen, directeur des ressources humaines (DRH) à l’époque des faits, devenu ensuite patron de LafargeHolcim, et le superviseur du groupe pour la Syrie, Christian Herrault. Cette nouvelle vague de mises en examen porte à six le nombre de responsables du cimentier mis en cause dans ce dossier par les juges d’instruction financiers français Charlotte Bilger et Renaud Van Ruymbeke.
Zine Cherfaoui