La ligue des rois

LA LIGUE DES ROIS

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 9 septembre 2013

Les monarchies du Golfe sont en pointe pour défendre une attaque américaine contre la Syrie et elles sont prêtes à sortir leur chéquier pour prendre en charge les «dépenses». La chose était courue d’avance, les monarchies du Golfe sont parties prenantes de la guerre syrienne et leurs dollars ont pesé lourd pour enfermer l’opposition syrienne à l’étranger dans une logique militaire. Ces monarchies ont également neutralisé totalement la Ligue arabe qui aurait pu servir de moyen pour la réalisation d’une solution politique qui assure le changement en Syrie sans passer par sa destruction et sa dislocation.

L’attitude timorée des pays qui étaient hostiles à la transformation de la Ligue arabe en institution participant à l’entretien de la guerre en Syrie a cependant donné des ailes aux monarchies. La Ligue arabe est passée depuis des années sous orbite des monarchies, sur le dossier syrien cette emprise a été totale. Dans ces pays qui ont très largement fabriqué le poison du clivage entre «sunnites» et «chiites», les Syriens ne comptent pas, le but était d’affaiblir l’Iran et le Hezbollah. Soit les mêmes buts que ceux des Américains et des Israéliens. De quoi poser de vraies questions sur la nature de cette institution et, pour des pays comme l’Algérie, sur la pertinence de continuer à en faire partie sachant que les «réserves» régulièrement exprimées par les diplomates algériens n’ont aucune incidence.

Pour des raisons purement domestiques, liées à la situation intérieure, l’Egypte a fait, une fois n’est pas coutume, faux bond aux Saoudiens. D’où l’échec relatif de la tentative des monarchies à obtenir récemment un soutien clair aux opérations militaires américaines contre la Syrie. Le niet égyptien a surpris les monarchies mais elles ont appris à le « contextualiser» en tablant sur le fait que les autorités du Caire sont désormais encore plus dépendantes de l’aide financière octroyée avec une générosité très intéressée après le putsch contre Mohamed Morsi. Il serait en effet illusoire de croire que l’Egypte va reprendre une démarche «nassérienne» même si les médias égyptiens qui ne craignent plus le ridicule tentent de donner au général Sissi la posture de Nasser. La Ligue arabe est sous contrôle. Et si l’Egypte se positionne aujourd’hui contre une intervention militaire en Syrie, c’est juste pour faire différent de Mohamed Morsi. Cela ne fait pas une politique.

Au Maghreb, on peut se réjouir qu’en Tunisie la coalition dominée par les islamistes se soit positionnée contre l’intervention militaire étrangère en Syrie. Là également, la conjoncture interne ne permet pas à Ennahda de prêter le flanc aux accusations de suivisme à l’égard du Qatar. Mais ces objections émises par quelques pays membres de l’organisation ne lèvent pas les équivoques. Hier, en rencontrant des ministres arabes, le secrétaire d’Etat américain n’était pas loin de les présenter comme l’expression de la Ligue arabe. C’est une équivoque durable puisque depuis quelques années, les émirs du Golfe se donnent le pouvoir de parler au nom de la Ligue arabe. Il est vrai qu’ils n’ont pas entendu des voix suffisamment fortes pour les dissuader de le faire. Il est peut-être temps – si ce n’est pas trop tard – de le dire ouvertement : le Conseil des monarchies du Golfe n’est pas la Ligue. Et à défaut de trouver suffisamment de voix pour rétablir les choses, il faut en tirer les conclusions. Cette Ligue après avoir prouvé pendant longtemps son inutilité est en train de faire étalage de sa nocivité.