Les Kurdes de Syrie refusent de participer à la réunion de Sotchi

Alors que la Turquie a repris son offensive sur la zone d’Afrine

Les Kurdes de Syrie refusent de participer à la réunion de Sotchi

El Watan, 29 janvier 2018

Ankara reste déterminé à laminer toute présence de forces kurdes de Syrie à ses frontières. Ces dernières se sentent abandonnées par leurs alliés dans la lutte contre les djihadistes.

La Turquie a repris hier ses bombardements pour tenter de briser les lignes d’une milice kurde syrienne alliée des Etats-Unis, rapporte l’AFP citant l’agence de presse étatique Anadolu. En effet, l’aviation et l’artillerie turques ont pilonné dans la matinée la colline de Barsaya, dans la région d’Afrine, au nord-ouest de la Syrie.

La Turquie mène depuis le 20 janvier une offensive dans cette région contre les Unités de protection du peuple (YPG). Ankara qualifie ce groupe de «terroriste», qui est l’allié de la coalition antidjihadistes emmenée par Washington. Le président Recep Tayyip Erdogan s’est dit déterminé à poursuivre l’offensive et même à l’élargir vers l’est, notamment à Minbej, où Les Etats-Unis ont déployé des militaires.

Des divergences entre Washington et Ankara, deux alliés au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (Otan), au sujet des YPG alimentent la tension entre les deux pays. La Turquie reproche aux Etats-Unis de soutenir ce groupe lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène une guérilla sur le sol turc.

Samedi, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, a exhorté Washington à retirer ses troupes déployées à Minbej, ville située à une centaine de kilomètres à l’est d’Afrine et qu’Ankara menace d’attaquer. Après Afrine, «nous allons nettoyer Minbej», a encore affirmé hier le porte-parole du gouvernement turc, Bekir Bozdag, cité par Anadolu. Face à l’offensive turque, le Parti de l’union démocratique (PYD), aile politique des YPG, a appelé samedi «la communauté internationale» et «les forces nationales syriennes» à «faire pression par tous les moyens» pour stopper l’offensive meurtrière d’Ankara.

Les groupes kurdes syriens, longtemps marginalisés en Syrie, ont profité du retrait des forces de Damas du nord du pays au début du conflit pour affirmer leur autonomie à partir de 2012. Depuis, à part quelques accrochages dans le nord-est de la Syrie, combattants kurdes et troupes syriennes se sont évités, conduisant des opposants au régime de Damas à accuser les groupes kurdes de coopérer avec le gouvernement de Bachar Al Assad.

Accusations rejetées par ces derniers. Suite à leur alliance avec Washington contre le groupe Etat islamique (EI), les combattants kurdes ont pu élargi les territoires sous leur contrôle. Or, Ankara voit comme une menace à sa sécurité l’établissement d’une entité kurde à sa frontière. Evoquée depuis plusieurs mois, l’intervention turque à Afrine semble avoir été précipitée par l’annonce de la création prochaine, par la coalition antidjihadistes emmenée par Washington, d’une «force frontalière» incluant notamment des YPG.

Abandonnés

Par ailleurs, les Kurdes ont indiqué hier qu’ils ne participeraient pas à la réunion sur la paix en Syrie prévue demain à Sotchi, en Russie, «en raison de la situation à Afrine». «Nous avions dit auparavant que si cette situation persistait à Afrine, nous ne pourrions pas être présents à Sotchi», a déclaré une responsable des autorités kurdes, Fawza Youssef.

La réunion de Sotchi vise à réunir des représentants du gouvernement et des rebelles syriens, à l’initiative de Moscou, Téhéran et d’Ankara, soutien des rebelles. «La Turquie et la Russie sont les garants de Sotchi et ces deux pays se sont mis d’accord sur Afrine (aux dépens des Kurdes, ndlr), ce qui contredit le principe même de dialogue politique», a indiqué la responsable kurde.

Samedi, l’opposition syrienne a annoncé son boycott du congrès de Sotchi, à l’issue d’un nouveau round infructueux de pourparlers avec le régime de Damas sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) à Vienne. «Le régime mise sur une solution militaire, il ne montre pas de volonté d’engager une négociation politique sérieuse», a expliqué le négociateur en chef du Comité des négociations syriennes (CNS), qui représente les principaux groupes de l’opposition, Nasr Hariri.

Soupçonnée par certaines chancelleries occidentales de viser à contourner le processus onusien, ce que Moscou dément, la réunion de Sotchi veut rassembler quelque 1600 participants. Mais en l’absence de la majeure partie de l’opposition, sa légitimité paraît compromise.

Lundi dernier, les Kurdes de Syrie ont estimé que l’offensive de la Turquie contre leur enclave d’Afrine constitue un «soutien clair» à l’EI et ont appelé Washington à «prendre ses responsabilités». «Cette attaque barbare (…) est un soutien clair à l’organisation terroriste», selon un communiqué des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de combattants kurdes et arabes soutenue par Washington dans la lutte contre l’EI.

«La coalition internationale est appelée à prendre ses responsabilités vis-à-vis de nos forces et de notre peuple à Afrine.» Et de poursuivre : «La coalition internationale, notre partenaire dans la lutte contre le terrorisme, avec qui nous avons mené des batailles honorables pour éliminer le terrorisme (…) sait très clairement que cette intervention turque est là pour vider de son sens la victoire finale» contre l’EI. Pour les FDS, «malgré la perte de ses principaux bastions», l’EI «garde une force non négligeable dans un triangle à la frontière syro-irakienne, avec des milliers de combattants». «Sans compter les dizaines de cellules dormantes dans les régions libérées», selon le communiqué.

Washington a reconnu avoir été mis au courant par Ankara de son offensive lancée le 20 janvier sur Afrine. Et le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, a réitéré lundi dernier à Londres l’appel des Etats-Unis à la «retenue» de «toutes les parties» en Syrie, tout en reconnaissant «le droit légitime de la Turquie» à se «protéger».

«Les Etats-Unis sont en Syrie pour vaincre l’EI», «et nous l’avons fait avec une coalition de partenaires et les Forces démocratiques syriennes», a-t-il déclaré lors d’une rencontre avec son homologue britannique Boris Johnson. «Nous sommes inquiets au sujet des incidents turcs dans le nord de la Syrie», a dit Rex Tillerson.

«Nous reconnaissons totalement le droit légitime de la Turquie à protéger ses propres citoyens contre des éléments terroristes qui pourraient lancer des attaques contre des citoyens turcs, en territoire turc, depuis la Syrie», a-t-il ajouté. «Nous demandons à toutes les parties de faire preuve de retenue et de minimiser l’impact sur les civils», a souligné le chef de la diplomatie américaine, relevant être en contact avec les autorités d’Ankara comme avec les chefs de la coalition anti-EI pour «voir comment satisfaire les inquiétudes sécuritaires légitimes de la Turquie».

Amnay idir