Les frappes occidentales en Syrie n’ont eu aucune conséquence sur le terrain
Riadh Sidaoui. Ecrivain, politologue, directeur du Centre arabe de recherche et d’analyse politiques et sociales de Genève (Caraps)
Les frappes occidentales en Syrie n’ont eu aucune conséquence sur le terrain
El Watan, 27 avril 2018
Deux semaines après les frappes occidentales en Syrie, Riadh Sidaoui revient avec nous sur cette intervention militaire et sur ses conséquences sur le terrain, en apportant un regard critique sur l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient.
– Aujourd’hui, quelle lecture faites-vous des attaques militaires contre la Syrie ?
Il s’agit tout d’abord d’une violation du droit international et de la souveraineté d’un pays indépendant, sans mandat du Conseil de sécurité de l’ONU. Dans un autre aspect, il s’agit de frappes limitées, sans réelle consequence sur le terrain. Et l’on voit bien le flou stratégique des Etats-Unis et de la France quant à la suite à donner à cette intervention qui n’a pas par ailleurs causé de dégât sérieux en Syrie.
Enfin, il s’agit de préparer l’opinion publique occidentale à accepter le fait accompli, en diabolisant et criminalisant Bachar Al Assad, car l’armée du régime syrien et ses alliés russe et iranien sont vainqueurs sur le terrain militaire et dominent la quasi-totalité du territoire syrien.
Ce qui est difficile accepter pour les états-majors occidentaux, qui pensaient en finir avec Al Assad au bout de quelques mois. C’est aussi un moyen de sauver la face. Le rapport de force est totalement en défaveur des Occidentaux.
– Cette intervention s’inscrit dans la longue série des interventions militaires occidentales dans la région : Irak, Libye…
La différence fondamentale entre les précédentes interventions militaires occidentales, en Irak et en Libye notamment, est la présence de la Russie dans l’affaire ; après être restée passive dans les renversements de régimes irakien et libyen, elle a démontré une détermination sans faille.
La Rusie n’a pas lâché son allié syrien, avec une implication forte dans les batailles diplomatiques (veto systématique a l’ONU) et militaire (intervention militaire sur demande de la Syrie à partir de 2015). Les Etats-Unis, après la chute de l’URSS, ont cru pouvoir façonner le monde à leurs désirs, mais entre temps de nouvelles puissances sont apparues : Chine, Russie, Brics… qui s’opposent régulièrement aux intérêts américains, ce qui plonge le monde dans une nouvelle guerre froide.
– Rétrospectivement, comment jugez-vous ces interventions occidentales ?
Elles ont été et continuent d’être de véritables catastrophes qui n’apportent que chaos et guerre civile. Elles prétendent défendre la démocratie et les droits humains, ce qui est absurde car la démocratie ou le regime politique ne s’importent pas et ne s’imposent pas de l’extérieur, mais sont le résultat d’un long processus historique et de dynamique interne.
En réalité, les puissances occidentales ne courent qu’après leurs intérêts divers, ce qui n’est pas nouveau dans les relations internationales. Tous les pays où ils sont intervenus sont des Républiques et non des monarchies, qui ont également toutes participé aux guerres contre l’Etat d’Israël et sont de farouches soutiens à la cause palestinienne.
Ces pays sont riches en pétrole et en ressources naturelles. Et le comble c’est que ces interventions militaires ont quasiment toutes été financées par les pétromonarchies du Golfe, qui elles sont réticentes à toute idée de démocratie et de droits de l’Homme. Aujourd’hui, tous ces pays visés sont dans une situation de désintégration étatique ; les guerres civiles et le terrorisme y règnent en maître.
– Aujourd’hui, quels regards portent les Occidentaux sur le bilan de leurs interventions ?
Il y a un vrai silence au regard du chaos total qui règne en Irak et en Libye. On fait la guerre, on détruit, on parle de dictateur qu’il faut écarter, puis après son renversement, on oublie les dégats considérables et les souffrances humaines incommensurables ; on oublie les morts et les destructions irréparables sur les societés et les êtres humains qui les composent.
Après tout, ce n’est qu’un régime gênant dont on s’est débarrassé ! Après que les milices prospèrent ou que le terrorisme s’étende, c’est pas notre problème.
– Dans vos livres et conférences, vous dénoncez le deux poids deux mesures des Occidentaux…
En effet, je considère que les interventions occidentales ont toujours été hypocrites. Je donne souvent l’exemple du Bahreïn, qui me paraît exemplaire. Pourquoi n’ont-ils pas soutenu les revendications légitimes pour plus de démocratie et de justice sociale du peuple bahreïni ? Pourquoi ont-ils laissé les chars saoudiens mater la rébellion ? Tout simplement parce que la démocratie et les droits de l’Homme ne sont qu’un prétexte pour intervenir.
Dans mon dernier livre, Du Printemps arabe à Daech, je dénonce les compromissions des Occidentaux et leur laisser-aller, voire leur complicité dans l’apparition de l’EI, notamment le financement par les pays du Golfe, le soutien de la Turquie à certains groupes ou la gestion américaine de l’après-Saddam Hussein, qui a été le véritable terreau de cette organisation terroriste.
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Réunion des ministres des AE de Russie, de Turquie et d’Iran demain à Moscou
Les ministres des Affaires étrangères de Russie, de Turquie et d’Iran se réuniront samedi à Moscou pour discuter de la Syrie, ont annoncé hier les ministères turc et russe des Affaires étrangères.
Dans un entretien à l’agence de presse russe, une source du ministère a noté que la réunion prévue le 28 avril portera sur le règlement de la crise en Syrie.
Plusieurs réunions se sont déjà tenues depuis que les trois pays ont lancé un processus de paix pour la Syrie à Astana, la capitale kazakhe.
En tant que pays garants, ils ont réaffirmé leur engagement à parvenir à un «cessez-le-feu durable» en Syrie ainsi qu’à préserver l’intégrité territoriale du pays déchiré par le conflit.
L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, avait rapporté qu’un accord sur une désescalade en Syrie était «nécessaire aussi bien sur le plan militaire que politique».
Sellal Lamara