Offensive américaine en Syrie, le grand retour à la politique d’endiguement de l’Iran

Point de vue

Offensive américaine en Syrie, le grand retour à la politique d’endiguement de l’Iran

El Watan, 23 mai 2017

Le ministère russe des Affaires étrangères a condamné vendredi la frappe de la coalition menée par Washington contre un convoi de forces pro-gouvernementales syriennes. «La frappe contre les forces pro-gouvernementales syriennes est absolument inacceptable et viole la souveraineté de la Syrie.

En outre, il est évident que cela ne contribue pas au processus politique», a déclaré le 19 mai le vice-ministre russe des Affaires étrangères Guennadi Gatilov. Ce raid, qui ciblait une milice chiite irakienne alliée de Téhéran dans le sud de la Syrie, à proximité de la localité d’At Tanf, est intervenu dans un contexte où la dynamique en faveur de l’armée et ses alliés s’est confirmée sur plusieurs fronts au cours des dernières semaines.

Autour de Damas, des actions militaires et des négociations ont conduit à l’évacuation des zones de Madaya, Serghaya, Zabadani, Wadi Barada, Barseh, Qhaboun, ne laissant subsister autour de la capitale que quelques zones encerclées. Dans la région de Hama, après une vaste offensive des groupuscules armés, les forces loyalistes ont repris l’initiative et progressé à quelques kilomètres de Khan Chaikhoun dans la Province d’Idleb. Les avancées contre le groupe Etat islamique (EI) ont également été visibles dans la région de Palmyre et à l’est de la province d’Alep.

Tandis que sur le front nord, un premier raid de la coalition menée par les Etats-Unis sur une base aérienne à l’est de Homs (en représailles au bombardement chimique à Khan Chaikhoun selon la version officielle) et le soutien croissant aux milices kurdes ont pour finalité d’entraver la progression de l’armée syrienne et ses alliés, l’attitude offensive américaine se confirme également au sud de la Syrie avec la frappe du 18 mai.

Elle traduit l’ambition de l’administration Trump et de son allié israélien d’empêcher le rétablissement de la continuité territoriale entre les frontières syriennes et irakiennes (qui offrirait une profondeur stratégique à l’Iran) poussant ainsi à une concentration de troupes en Jordanie.
Face à la volonté hégémonique de Washington, l’action du régime syrien et de son allié iranien sur le terrain vise donc un double objectif : le contrôle de la frontière avec l’Irak et la levée du blocus de l’EI à Deir Ezzor.

De leur côté, si les Russes ne voient pas d’un mauvais œil la priorité stratégique iranienne de réouverture des corridors reliant l’Iran à la Méditerranée, leur position apparaît toutefois plus réservée. Les efforts déployés au travers des conférences d’Astana pour installer 4 zones «de stabilité» «hors tension» s’inscrivent dans une recherche de solution négociée qui semble aux yeux de nombreux observateurs encore prématurée.

En effet, dans la mesure où une poche d’Idleb demeure entièrement aux mains de groupuscules armées contrôlés par la Turquie, les évolutions sont encore incertaines. Ankara se trouve aujourd’hui en porte-à-faux entre sa volonté de nuire au pouvoir de Damas et ses contradictions internes, redoutant également le rôle prépondérant des Kurdes appuyés par Washington.

L’ampleur du soutien des Etats-Unis aux Forces démocratiques syrienne (FDS) complique de plus en plus les relations turco-américaines qui semblaient avoir retrouvé un nouveau souffle depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Pour sa part, Washington regarde avec méfiance l’accord sur le gazoduc Turkstream qui offre un point de passage à la Russie vers l’Europe et remet en cause le rôle traditionnel d’Ankara comme poste avancé de l’Europe.

La question de l’évolution de la relation entre la Turquie et les Etats-Unis reste donc largement imprévisible et tributaire des évolutions de terrain, d’autant que les Américains désirent maintenir leur soutien aux FDS jugés plus efficaces qu’une armée turque immobilisée pendant quatre mois à l’entrée d’Al Bab.

Une force militaire kurde disciplinée et combative semble plus que jamais indispensable aux Etats-Unis désireux de conserver une présence efficace sur le terrain. Si la question de l’organisation politique des territoires libérés par les Kurdes reste en suspens, Washington chercherait naturellement à contrôler ces zones pour conforter son influence.

L’attitude offensive des Etats-Unis en Syrie répond avant tout à la priorité stratégique de Washington sous l’administration Trump de revenir à la politique d’endiguement de l’Iran. Dans son article Iran’s «Ambitions in the Levant, Why It’s Building Two Land Corridors to the Mediterranean» publié le 1er mai dans la revue Foreign Affairs, le journaliste israélien Ehud Yaari rappelle que l’implication américaine en Syrie, Irak et au Liban affaiblirait l’Iran qui devrait faire face à Washington et ses alliés régionaux.

Il est donc impératif pour Washington d’empêcher la réouverture des deux corridors pour fragiliser Téhéran et renforcer le poids de ses alliés sur l’échiquier régional. En contrepartie de leur politique active de «containment» de l’Iran, les Etats-Unis ont déjà obtenu 380 milliards de dollars d’investissements saoudiens.

Lina Kennouche