Al Assad ne songe pas à partir, propose une solution, l’opposition rejette
par Salem Ferdi, Le Quotidien d’Oran, 7 janvier 2013
Sous des applaudissements nourris de partisans mobilisés, le président Bachar Al Assad a appelé à un » dialogue national « , présenté une » solution politique » à une crise sanglante mais s’est montré inflexible : il n’est pas question qu’il se démette de ses fonctions car toute transition devra passer par les urnes. Pour lui, la Syrie ne connait pas un conflit entre le pouvoir et l’opposition mais entre la » patrie et ses ennemis » qui, affirme-t-il, veulent la partition du pays. Il a assuré que le gouvernement a toujours été disponible au dialogue mais que jusqu’à présent il n’a pas » trouvé de partenaire « . Le dialogue n’a en effet jamais pu être enclenché en raison du préalable au départ de Bachar Al Assad formulé par l’opposition. Le plan pour une sortie de crise de Bachar Al Assad comporte trois étapes. La première est, que les pays qui arment les » terroristes » arrêtent de les financer et qu’il y ait un arrêt des actions » terroristes » afin de permettre le retour des réfugiés. Dans ce cas, l’armée syrienne cessera ses opérations, tout en se réservant le droit de riposter en cas de menace contre la sécurité nationale.Un mécanisme devrait être mis en place pour surveiller que les engagements des parties soient respectés et notamment pour le contrôle des frontières.La seconde étape serait la tenue d’une conférence nationale avec l’ensemble des forces et la rédaction d’une charte nationale, à soumettre par la suite à référendum, qui défend la souveraineté de la Syrie, son unité et son intégrité territoriale, et rejette le terrorisme et la violence. Elle sera suivie par des élections législatives, suivies de la formation d’un gouvernement élargi à toutes les composantes de la société. Dans une troisième étape, il y aura une conférence nationale de réconciliation et amnistie générale pour toutes les personnes détenues en raison des événements.
LIGNE ROUGE
» Toute transition doit « se faire selon les termes de la Constitution », a insisté Bachar Al Assad, très ovationné par ses partisans, rassemblés pour l’occasion à la Maison de la culture et des arts à Damas. Le message est clair : il n’est pas question que la transition se fasse sans le régime syrien, qui a fait du maintien de Bachar Al Assad une ligne rouge, sur laquelle il n’entend pas transiger. Le régime a perdu du terrain au cours de 20 mois de conflit,et ne s’est pas effondré de l’intérieur. Il n’y a pas eu de velléités sérieuses au sein du pouvoir syrien, de chercher une solution de rechange à Bachar Al Assad, car le personnel au pouvoir qui se sent face à une » menace existentielle » considère que le départ du président en titre, sonnerait comme une capitulation et provoquerait une décomposition accélérée du régime. Mais au-delà du personnel du régime, des pans importants de la population syrienne, (Alaouites, chrétiens, druzes) appréhendent avec angoisse une éventuelle prise du pouvoir par des islamistes. Une inquiétude alimentée par la tournure » communautaire » prise par le conflit sur le terrain, où des djihadistes salafistes venus de l’étranger sont très actifs. Le plan de Bachar Al Assad a été, sans surprise, rejeté par l’opposition. Le porte-parole de la Coalition de l’opposition syrienne, Walid Al-Bounni a été tranchant. » Nous avons dit lors de la formation de la Coalition que nous souhaitions une solution politique, mais l’objectif pour les Syriens est de le sortir (du pays) et ils ont déjà perdu pour cela plus de 60.000 martyrs (…) ils n’ont pas fait tous ces sacrifices pour permettre le maintien du régime tyrannique ».
LOGIQUE DE SURVIE
En clair, il n’y aura pas de discussions ou de dialogue sans le départ de Bachar Al Assad. C’est le cercle vicieux, dans lequel est enfermée la Syrie depuis le début du conflit, où le chiffre des morts ne cesse d’augmenter sur fond de destruction systématique des infrastructures. Le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague a réagi avec une rapidité remarquable au discours de Bachar Al-Assad qui, selon lui, allait » au delà de l’hypocrisie ». »Il est responsable des morts, de la violence et de l’oppression qui engloutissent la Syrie et ses vaines promesses de réformes ne trompent personne », a déclaré le chef de la diplomatie britannique, dans un message posté sur Twitter. Comme s’il donnait la » ligne « . En réalité, Bachar Al-Assad et ses partisans, ont été pendant longtemps aveuglés par leur pouvoir, mais aujourd’hui ils ne sont pas dans l’hypocrisie mais dans une logique de survie. C’est pour cela qu’ils disent que la transition se fera avec eux ou ne se fera pas. Le président syrien vit » dangereusement » mais il sait qu’en l’état actuel des choses, le régime ou ce qu’il en reste a besoin de lui. En Syrie, l’impasse est totale. Personne n’arrive à trancher par les armes, personne ne négocie.
El-Assad droit dans ses bottes
par Kharroubi Habib
P ar son silence qui aura duré 6 mois, le président syrien Bachar El-Assad a nourri les rumeurs et supputations le donnant en voie d’être sacrifié par les noyaux dirigeants du régime et les alliés étrangers de celui-ci. Il est vrai que l’option de la solution politique négociée pour mettre fin au conflit armé qui a cours en Syrie depuis plus de deux ans achoppe sur le préalable de son départ du pouvoir posé par l’opposition armée et déclaré par elle non négociable. Quelques déclarations ambiguës faites par des personnalités russes sur l’obstacle que serait Bachar El-Assad pour un plan de paix à la crise syrienne ont paru confirmer ces rumeurs et supputations.
C’est pour mettre un terme aux spéculations sur le sujet que Bachar El-Assad s’est adressé hier au peuple syrien mais également en direction de la communauté internationale. Le président qui parlait hier ne donnait en rien l’impression d’être aux abois et prêt à quitter le pouvoir comme il est exigé de lui par l’opposition armée et ses soutiens internationaux. Il a au contraire donné celle de n’avoir pas songé un instant à abandonner sa fonction. Tout ce que Bachar El-Assad a déclaré dans son discours a consisté en des propositions qui de son point de vue constituent la solution politique à la crise syrienne, mais dont il a subordonné l’exécution à l’arrêt par l’opposition de sa révolte armée. La feuille de route qu’il a développée prévoit qu’à la condition précitée son régime est d’accord pour ouvrir un dialogue national auquel prendront part les oppositions extérieures et intérieures, qu’il sera procédé à l’installation d’un nouveau gouvernement syrien et à une révision de la Constitution par voie du référendum populaire.
Autant de propositions qui ne sont pas très éloignées de l’esprit du plan de paix esquissé par l’émissaire international pour la Syrie Lakhdar Brahimi avec l’assentiment de Moscou et Téhéran, les deux principaux alliés internationaux de son régime. L’ouverture est incontestablement habile car elle donne à sous-entendre que ce n’est pas le régime qui fait obstacle à une solution politique, mais l’intransigeance de l’opposition armée dont l’opinion internationale découvre avec une inquiétude grandissante que ses bataillons les plus actifs sur le terrain sont formés de «jihadistes» venus de tous les horizons et se revendiquant d’El-Qaïda.
Il faut souligner, car cela est important, que Bachar El-Assad ait prononcé son discours et avancé ses propositions alors que Brahimi et des représentants du Kremlin et de la Maison Blanche s’apprêtent à se rencontrer pour discuter du projet de plan de paix du premier nommé. Il leur a ce faisant transmis le message qu’il n’est pas l’obstacle à la solution politique comme le prétend l’opposition armée. En s’en tenant à l’accord qui s’est dégagé à la conférence de Genève sur la Syrie, Bachar El-Assad rend cette opposition armée responsable de la poursuite du conflit parce qu’elle refuse de s’y conformer, encouragée par des parties signataires de cet accord (occidentales et arabes) qui lui fournissent armement et finances.
Ce qui ressort du discours du chef de l’Etat syrien est que le régime est certes confronté à de rudes assauts, mais loin de l’effondrement prédit récurremment depuis plus de deux ans par la propagande des insurgés et les médias étrangers acquis à leur cause. En Syrie, la situation est qu’aucun des deux camps n’est en mesure de l’emporter militairement rapidement sur l’autre, que Bachar El-Assad et son régime disposent du soutien d’une partie non négligeable du peuple syrien et ne sont pas confrontés à des défections qui affaiblissent gravement leur camp. Autant dire que le conflit syrien peut se poursuivre encore longtemps. Par réalisme, humanité et intérêt bien compris pour la stabilité régionale et la paix dans le monde, la communauté internationale se doit d’imposer aux deux belligérants la solution politique à leur conflit et les contraindre à y aller sans préalables «non négociables».
LE PARADOXE BACHAR
par M. Saadoune
Sur la Syrie, il n’y a pas de bonnes nouvelles à annoncer. La solution politique rejetée au début par le régime est aujourd’hui rejetée par l’opposition. La guerre reste indécise et elle le restera longtemps à moins d’une intrusion étrangère. Les deux parties sont figées dans leur position tandis que la machine de la guerre et de la destruction avale le pays morceau par morceau, allonge le nombre des victimes et accroît le nombre des réfugiés vers l’extérieur et vers l’intérieur.
Le tissu social qui permettait aux habitants de ce pays de se dire « Syriens » a été déchiré et les gens se positionnent sur des bases ethno-religieuses. Des regroupements de populations se font également sur ces critères. Des faits qui suscitent un malaise chez les opposants ; ils ont tendance d’ailleurs à accuser automatiquement ceux qui font le constat d’être les défenseurs du régime. Il en est de même de l’afflux des djihadistes venus de pays arabes. Ces opposants, plutôt démocrates et laïcs, ont tendance à mettre toute information sur le sujet dans la case de la « propagande » en faveur du régime. Il y a une sorte de pense-bête que l’on veut imposer sur le conflit syrien qui ne s’accommode pas des faits et de la complexité du terrain. Et qui également s’impatiente quand on aborde les aspects géopolitiques du conflit. Les pays du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar, ne soutiennent pas les insurgés par amour de la démocratie, les Occidentaux non plus. L’Iran qui ne l’ignore pas soutient le régime de Damas en pensant qu’il est un domino qu’on veut faire tomber avant la prochaine guerre anti-iranienne.
Et pourtant, tous ces éléments qui concourent à la crise syrienne ne sont pas des inventions. De même que l’aveuglement et la brutalité du régime ne sont pas des fictions ou une propagande des opposants. C’est une réalité qui ne date pas d’aujourd’hui. Et de ce point de vue, il ne fait pas de doute que le régime en place porte l’écrasante responsabilité de la situation. Il a été tellement aveuglé par son réflexe sécuritaire qu’il n’a pas compris que les contestataires étaient des Syriens qui aspiraient à plus de libertés et n’étaient pas dans des « agendas » externes. Quand on est au pouvoir, préserver l’unité du pays et le tissu social est un devoir primordial. Il implique une capacité d’écoute et une disponibilité au changement. Aujourd’hui, il y a des oppositions syriennes et ce n’est pas faire de la propagande pour le régime syrien que de dire qu’une partie est dans des agendas externes et que l’autonomie politique de cette opposition vis-à-vis de son soutien extérieur est minime. C’est toute la Syrie qui se retrouve piégée dans un conflit où les choses arrivent toujours trop tard pour être d’une quelconque utilité.
Il n’y a rien d’imprévisible dans le discours de Bachar Al-Assad d’hier. Ceux qui l’applaudissaient et les «chefs» militaires ont perdu de leur superbe, mais ils attendaient de lui qu’il dise «non» à ceux qui réclament son départ, qu’ils soient Syriens ou étrangers. Non pas par amour pour lui, ni par volonté de se sacrifier pour lui. Juste par conviction (fausse ou vraie, cela ne compte pas beaucoup dans ces situations) que son départ serait une défaite qui ouvrirait le champ à des représailles à grande échelle. Bachar Al-Assad est devenu, paradoxalement, au bout de ses terrifiantes erreurs, leur assurance de pouvoir négocier leur statut et leur place dans une autre Syrie. Et plus les opposants et les pays étrangers réclament son départ comme un préalable et plus ils s’y attachent. On est dans le registre de la psychologie. Mais dans une guerre, c’est un aspect qui n’a rien de négligeable.