La RASD s’invite à l’Assemblée française

Conférence sur la décolonisation du Sahara Occidental

La RASD s’invite à l’Assemblée française

El Watan, 30 octobre 2010

Pour la République sahraouie démocratique, c’est un moment historique à marquer d’une pierre blanche. Pour la France, c’est un petit pied de nez du fait que son auguste Assemblée nationale accueille dans ses murs
les ennemis jurés de son ami le roi.

Paris (France). De notre envoyé spécial

Le président sahraoui, Mohamed Abdelaziz, a été, ce jeudi, la guest-star de la Conférence sur la décolonisation du Sahara
occidental : responsabilité des Nations unies et rôle de la France. Il était 14h quand le président Abdelaziz fait son entrée à la salle 6217 du célèbre Palais Bourbon, sous une chaude ovation des députés européens et des représentants de plusieurs pays du monde. Le geste est lourd de sens dans une telle enceinte, où l’amour du Maroc se conjugue à tous les temps. Bien installé à la tribune de cette salle mise à la disposition par le parti socialiste, le président Abdelaziz a eu du mal à cacher son émotion. «C’est une grande fierté pour moi de pouvoir m’adresser au monde à partir de cette prestigieuse institution française, symbole de la liberté et des droits de l’homme», lance-t-il d’emblée. Dans une salle tapissée de toiles représentant l’Assemblée nationale française et ses moments historiques, comme les discours de Léon Blum et François Mitterrand, le président de la RASD s’est lancé dans la langue de Molière, histoire d’embrasser cette main généreuse du PS qui lui a remis les clés d’un palais jusque-là infranchissable pour le Polisario. «J’ai le grand honneur de donner la parole ici à l’Assemblée nationale française au président Mohamed Abdelaziz». Cette invitation du président de la coordination des comités de soutien européens (Eucoco), Pierre Galland, a fait se lever la salle qui applaudit à tout rompre.
Le président Abdelaziz saisit l’occasion pour faire un round-up exhaustif de la question sahraouie.

Léon Blum derrière, Mitterrand devant

De l’invasion marocaine en 1975, à l’assassinat d’un jeune de 14 ans il y a quelques jours à El Ayoun, en passant par les échecs recommencés des pourparlers sous l’égide de l’ONU, le Président sahraoui a fait le tour de la question. «En dépit des difficultés, de la répression et de la guerre, nous avons toujours respecté nos engagements pour la paix», souligne-t-il.
Il profitera de cette tribune inespérée pour titiller la France «patrie des droits de l’homme» et «sanctuaire de la démocratie» pour sa responsabilité dans le blocage du conflit. «La France détient les clés de la paix et du règlement du conflit de par sa relation avec le Maroc et sa position prédominante au sein de l’Union européenne», a déclaré le Président sahraoui. Il se demandera comment fermer les yeux sur les «violations caractérisées» des droits de l’homme contre le peuple sahraoui et le «pillage» de ses ressources naturelles, en référence aux accords de pêche conclus avec l’UE. M.
Abdelaziz usera d’une formule proverbiale pour lancer un message à la France : «Le Maroc veut une prédétermination, nous nous voulons une autodétermination». Le Président de la RASD souligne également que les Sahraouis et le Polisario aspirent à vivre «en paix et bonne intelligence avec nos frères marocains». Voulant visiblement adresser une mise au point à la propagande marocaine selon laquelle le Polisario est source de problèmes dans la région, M. Abdelaziz répond fermement et avec assurance que : «Nous sommes attachés à la stabilité régionale.»

Aminatou et Abdelaziz, même combat

Mais pas pour longtemps, puisque «la situation est grave et dangereuse et peut dégénérer à tout moment», met-il en garde.
Après avoir regagné sa place, la salle est une nouvelle fois plongée dans un bruit de clameurs et de youyous ! Oui, des youyous à l’Assemblée nationale française ! Pour cause, la femme qui a fait trembler le roi, Aminatou Haider, fait une entrée triomphale comme une super star, distribuant sourires et saluts de la main. Elle a sans doute ravi la vedette au président Abdelaziz, de par l’aura qu’elle a acquise au niveau mondial grâce à sa grève de la faim en 2009. Mais pour le président sahraoui qui l’a chaudement enlacée, c’est un moment particulier pour envoyer un autre message. Le Maroc, qui tente de présenter Aminatou comme un électron libre, qui n’aurait rien à voir avec le combat du Polisario, a été bien «servi» à partir de l’Assemblée nationale française. Aminatou a non seulement chaleureusement salué son Président, mais a dressé un véritable réquisitoire contre l’«occupant» marocain.
Tout au long de son allocution au nom de son association CODESA, qui dénonce l’atteinte aux droits de l’homme et défend les victimes de la répression marocaine contre les activistes sahraouis, Aminatou Haider a dit au monde que son combat se confond avec celui de son peuple et de ses représentants. «Forces d’occupation», «occupant», «les colons marocains», «mon pays le Sahara occidental», sont autant de mots et de maux qui ont structuré son discours. Et comme pour enfoncer le clou et rappeler au monde que le Maroc reçoit les ordres de l’étranger, Aminatou Haider remerciera, séance tenante, «l’Etat français» de l’avoir aidée à retourner chez elle à El Ayoun, après 32 jours de grève de la faim. «C’est une grande fierté pour moi de pouvoir m’adresser à partir de cette auguste assemblée à la France, patrie des droits de l’homme, pour féliciter l’Etat français de son intervention lors de ma grève de la faim», déclare d’emblée ce symbole de la lutte sahraouie pour son autodétermination.

Dans un français parfait, à l’accent espagnol, Aminatou a longuement mis des noms sur les violations, les tortures, les viols, disparitions et les pressions qu’ont subies et subissent encore ses compatriotes d’infortune entre les mains des «forces d’occupation». Depuis 2005 jusqu’à l’adolescent de 14 printemps assassiné la semaine dernière, Aminatou a dressé un état des lieux qui aura choqué l’aéropage de députés, sénateurs, et hommes politiques qui suivaient son témoignage dans un silence de cathédrale.
Ce jeudi de l’histoire pour la cause sahraouie sera clôturé à l’Assemblée nationale française par une table ronde des députés européens et régionaux autour des voies et moyens de faire entendre la voix du peuple sahraoui dans les institutions européennes et onusiennes.
Autour du président de l’Eucoco, Pierre Galland, et du député PS de la Loire Atlantique, des élus britanniques, belges, italiens, espagnols, mexicains, brésiliens, péruviens ont pris la parole pour fustiger la colonisation marocaine et appelé les soutiens du Maroc, notamment la France, à jouer un rôle «juste» et «positif» dans la résolution de ce conflit, conformément aux résolutions de l’ONU.
Cette irruption dans ce haut lieu de la démocratie française a pris fin tard dans la soir ée dans la bonne humeur et avec ce sentiment que la cause sahraouie a «franchi un pas» en avant après avoir forcé le portail du Palais Bourbon. Pour le Maroc, c’est peut être une porte qui se referme.
Hassan Moali

Mohamed Abdelaziz interpelle l’UE et la France

Jeudi, depuis l’Assemblée nationale française, Mohamed Abdelaziz, président de la RASD, a lancé un appel urgent à la communauté internationale, et plus particulièrement à l’Europe qui «a une grande responsabilité dans la pérennisation du conflit» et qui «ferme les yeux devant la situation désolante qui prévaut au Sahara occidental occupé par le Maroc» et «participe au pillage des ressources naturelles du territoire», pour que son peuple lutte pacifiquement pour son droit à l’autodétermination.

Mohamed Abdelaziz a aussi pointé le doigt sur la «position prédominante», «que ce soit au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU ou au niveau de la politique européenne à l’égard du conflit» de la France, qui «s’aligne» «sur les thèses de l’autre partie au conflit au détriment de la légalité internationale». Et de rappeler qu’«aujourd’hui encore, c’est le blocage imposé par le Maroc en politique pour contrecarrer les efforts des Nations unies. Le Maroc veut seulement une solution unilatérale, une prédétermination». Pour replacer la question sahraouie sous l’angle qui est le sien, celui de la décolonisation et du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, le président Abdelaziz a choisi à cet égard un lieu symbolique fort. 35 ans d’occupation militaire, d’illégalité, de transgression du droit, de répression aveugle, de graves violations des droits de l’homme et de pillage des ressources naturelles, mais aussi 35 ans de résistance, de respect des engagements vis-à-vis de la communauté internationale. C’est, en quelques mots, le bilan dressé par Mohamed Abdelaziz. Et de préciser que «le peuple sahraoui n’aspire qu’à la paix. La paix est précieuse et appelle des sacrifices de la part des deux belligérants. Le Front Polisario réaffirme ici à Paris être disposé à payer la partie qui lui incombe. Nous sommes attachés à la stabilité régionale et, dans ce cadre, nous sommes disposés à en payer le prix et à respecter les droits des uns et des autres, pour peu que le droit démocratique de notre peuple soit respecté.»

L’UE et la France font preuve dans le conflit opposant le Maroc au Front Polisario de partialité, de parti pris et de complaisance vis-à-vis de la puissance occupante, le Maroc, voire l’UE, font fi de la légalité internationale. L’accord de pêche dans les eaux territoriales sahraouies signé l’an dernier par l’UE avec le Maroc, et qui doit être rediscuté en février 2011, en est une illustration.
L’UE n’est pas sans ignorer le statut juridique de territoire non autonome du Sahara occidental et, qu’en tant que tel, ses richesses ne peuvent être exploitées que si elles profitent d’abord aux populations autochtones. Ce qui n’est pas le cas. Le phosphate sahraoui, qui rapporte un milliard d’euros annuellement au royaume marocain, est exploité avec le concours d’entreprises européennes. En toute illégalité aussi. Seule la Suède s’y est refusée. Des milliers de Sahraouis face à l’oppression ont opté pour une nouvelle forme de résistance et de protestation, et ont décidé depuis le début du mois d’octobre de s’exiler collectivement pour vivre dans des camps de fortune à l’extérieur des villes occupées.

A ce jour, ce sont plus de 20 000 Sahraouis qui se sont installés dans plus de 8000 tentes dans les environs d’El Ayoun, a rappelé le président Abdelaziz. Encerclés par les forces armées et la police de la puissance occupante, ils ne peuvent recevoir ni médicaments, ni nourriture, ni eau. Mais qui s’en préoccupe ? Où sont les réactions d’indignation habituelles quand il est porté atteinte aux droits de l’homme dans quelque lieu du monde que ce soit ? Pas un mot dans les médias français ! Même pas une brève. La mort du jeune adolescent de 14 ans est passée elle aussi sous silence, ne suscitant aucune réaction, ni officielle ni médiatique. «La situation de ces camps est fortement préoccupante et ne cesse de se détériorer. Le 23 octobre, les forces d’occupation ont tiré à balles réelles sur les civils, tuant un enfant de 14 ans et blessant cinq autres. Une telle situation, où la vie de milliers de Sahraouis innocents est en danger constitue une réelle menace pour la paix dans la région et risque d’anéantir les efforts consentis à ce jour par l’ONU et rendre improbable la reprise des négociations entre le Front Polisario et le Maroc», a alerté le Président de la RASD. «C’est pourquoi je lance du haut de cette tribune un appel urgent pour que soit levé le blocus imposé par les forces marocaines à ces campements, afin de permettre l’arrivée de médicaments, d’eau et de nourriture, ainsi que la visite de la presse et des observateurs internationaux. La situation est grave, elle peut déraper d’un moment à l’autre et se transformer en un massacre collectif», lance-t-il. «La situation de milliers de Sahraouis dans les environs de la ville occupée d’El Ayoun interpelle la conscience humaine, c’est la démonstration manifeste de l’attachement de notre peuple à ses droits, mais aussi un cinglant démenti à la propagande marocaine sur une prétendue prospérité dans le territoire», poursuit-il. Faut-il rappeler que des milliers de Sahraouis ont été victimes de répression, de torture, de disparition forcée ; des centaines de militants des droits de l’homme sont encore portés disparus, des prisonniers d’opinion croupissent dans les prisons marocaines.
Nadjia Bouzeghrane