Chronique d’une provoc annoncée par Mohamed VI
Après le rappel de l’ambassadeur marocain, Alger ne joue pas la réciprocité
Chronique d’une provoc annoncée par Mohamed VI
par Salem Ferdi, Le Quotidien d’Oran, 2 novembre 2013
Le Maroc rappelle son ambassadeur à Alger pour protester contre un discours du président Bouteflika, lu à Abuja, par le ministre de la Justice, appelant à la mise en place d’un mécanisme international de surveillance des droits de l’Homme au Sahara Occidental. Alger refuse de suivre Rabat et maintient son ambassadeur au Maroc.
Pour ceux qui suivent la question du Sahara Occidental et les rapports, soupçonneux et tendus entre Alger et Rabat, rien dans le discours prononcé à Abuja ne sort de l’habituel. Ce «coup de colère» exprimé par un rappel de l’ambassadeur du Maroc était annoncé depuis le 10 octobre dernier. S’adressant au Parlement, Mohamed VI a invité les députés et les partis à ne pas «attendre les attaques de nos adversaires pour y riposter, il faut plutôt les acculer à la défensive, en prenant les devants, en anticipant les événements et en y répondant de manière positive».
Le Palais a attendu que le président algérien s’exprime sur la question du Sahara Occidental pour passer à l’offensive. La décision de rappeler l’ambassadeur est justifiée par « la multiplication des actes de provocations et d’hostilités de l’Algérie à l’égard du Royaume, notamment s’agissant du différend régional au sujet du Sahara marocain ». Le discours prononcé à Abuja est qualifié de «volontairement provocateur» avec des «termes foncièrement agressifs» qui seraient, selon le palais, le signe que l’Algérie est «partie prenante à ce différend». En réalité, rien dans le discours n’est nouveau. L’Algérie a été constamment en faveur de l’autodétermination et ne reconnaît pas la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Elle n’est pas la seule. Même l’Onu ne le reconnaît pas puisque le Sahara Occidental reste au regard de l’institution internationale un territoire non autonome et qu’elle a une «Mission» chargée d’organiser le référendum d’autodétermination.
L’ALGERIE N’EST PAS NEUTRE !
Le plus surprenant est de voir que le Palais reproche à l’Algérie de ne pas être «neutre», comme s’il s’agissait de lui interdire d’avoir un avis sur le sujet. Il est évident qu’il n’y a rien de nouveau dans la position algérienne qui justifie cette mesure de rappel de l’ambassadeur. On est plutôt dans le schéma classique qui consiste à jouer la menace externe pour ranimer un consensus interne autour du Palais dans un contexte économique pénible. Les signes de nervosité du Palais se sont d’ailleurs manifestés par le traitement brutal réservé au journaliste Ali Anouzla à qui l’on reproche, entre autres, de ne pas avoir des positions orthodoxes sur le Sahara Occidental. On peut rappeler que l’Algérie a choisi d’éviter l’escalade quand le chef du parti de l’Istiqlal, encore au gouvernement, avait appelé à la récupération par la force du «Sahara marocain» spolié, selon lui, par l’Algérie. C’était pourtant un homme qui était membre du gouvernement marocain et un modèle du politicien mokhazni du Palais. En tout cas, le prétexte du discours d’Abuja ne fonctionne pas pour expliquer l’escalade que constitue le rappel d’un ambassadeur. Il sert de prétexte à une décision pratiquement annoncée de créer l’incident avec Alger au moment où l’envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu pour le Sahara Occidental élabore son rapport. Et à l’approche de la tournée du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, qui doit achever une tournée dans le monde arabe par une visite en Algérie et au Maroc. L’Algérie semble avoir choisi de ne pas riposter par la réciprocité et donc d’entrer dans le jeu de l’escalade. Elle a «pris note avec regret» de la décision du gouvernement marocain. Une décision «injustifiée» qui, indique un communiqué des affaires étrangères, est «une escalade malencontreuse qui s’appuie sur des motifs fallacieux et attentatoires à la souveraineté de l’Algérie dont les positions de principe sur les questions régionales et internationales ne sont susceptibles d’aucune remise en cause sous l’effet d’interférences étrangères».
PAS DE RAPPEL DE L’AMBASSADEUR ALGERIEN
Le communiqué signé Amar Belani souligne que la «position de principe de l’Algérie sur le nécessaire parachèvement de la décolonisation du Sahara Occidental n’a jamais varié et le discours prononcé à Abuja par le ministre de la Justice, garde des Sceaux, ne fait que rappeler la constance de cette position qui est non seulement connue mais est largement soutenue par l’Union Africaine, le Parlement Européen ainsi que par de nombreux autres acteurs internationaux». Tout en pointant une «campagne ininterrompue de dénigrement de l’Algérie» qui vise à la «bilatéralisation d’une question qui relève de la responsabilité des Nations unies», l’Algérie a décidé de maintenir «en place l’ensemble de ses missions diplomatique et consulaire dans le Royaume du Maroc ainsi que les Chefs desdites missions qui poursuivent normalement leurs activités». Le communiqué formule l’espoir que cet «épisode malheureux dans le cours des relations algéro-marocaines pourra être contenu dans sa juste dimension et être rapidement dépassé». Il n’est pas certain que cet appel à calmer le jeu sera entendu par le Maroc.
DANGEREUSE ESCALADE À CASABLANCA
L’emblème national arraché du consulat d’Algérie
Le Soir d’Algérie, 2 novembre 2013
Le Maroc est passé de la parole à l’acte en s’attaquant, hier, au consulat d’Algérie à Casablanca. Un individu s’est introduit dans l’enceinte diplomatique et a arraché le drapeau national. L’acte intervient 24 heures après l’annonce de l’Algérie de maintenir l’ensemble de ses missions diplomatique et consulaires dans le Maroc.
Tarek Hafid – Alger (Le Soir)
Le Makhzen a choisi la date symbolique du 1er Novembre pour s’en prendre à la souveraineté de l’Algérie. Une manifestation organisée devant le consulat d’Algérie à Casablanca a dégénéré lorsqu’un individu s’est introduit illégalement dans l’enceinte diplomatique.
Des images diffusées sur internet le montrent escaladant le mur du consulat sous le regard des policiers marocains. L’homme monte ensuite sur le toit et arrache avec force le drapeau accroché à la hampe. L’acte est présenté comme étant «isolé». Mais il est à inscrire dans le cadre d’une dangereuse escalade savamment entretenue par le Maroc.
Jeudi, vingt-quatre heures après la décision de Rabat de rappeler son ambassadeur, Alger opte pour la sérénité. Le ministère algérien des Affaires étrangères annonce dans un communiqué officiel le maintien en place de l’ensemble de ses missions diplomatique et consulaires dans le royaume du Maroc. «L’Algérie prend note avec regret de la décision du gouvernement marocain relative au rappel pour consultation de son ambassadeur à Alger. Cette décision injustifiée constitue une escalade malencontreuse qui s’appuie sur des motifs fallacieux et attentatoires à la souveraineté de l’Algérie dont les positions de principe sur les questions régionales et internationales ne sont susceptibles d’aucune remise en cause sous l’effet d’interférences étrangères», indique le communiqué officiel rendu public jeudi.
Le département de Ramtane Lamamra dénonce une volonté de «bilatéralisation» à outrance du dossier du Sahara occidental, argument fallacieux utilisé par le Maroc dans cette énième attaque contre l’Algérie. «La campagne ininterrompue de dénigrement de l’Algérie, menée avec acharnement par une partie de la classe politique marocaine, relayée et amplifiée par les médias publics de ce pays, est contraire aux relations de fraternité, de coopération et de bon voisinage entre les deux pays. Cette campagne préméditée et cette escalade procèdent manifestement de la pratique connue visant à la bilatéralisation d’une question qui relève de la responsabilité des Nations unies.» Et de rappeler la position inchangée de l’Algérie vis-à-vis de la cause sahraouie. «La position de principe de l’Algérie sur le nécessaire parachèvement de la décolonisation du Sahara occidental n’a jamais varié et le discours prononcé à Abuja par le ministre de la Justice, garde des Sceaux, ne fait que rappeler la constance de cette position qui est non seulement connue mais est largement soutenue par l’Union africaine, le Parlement européen ainsi que par de nombreux autres acteurs internationaux.»
En fait, le terme «autres acteurs internationaux» désigne en premier lieux les Etats-Unis. Ce pays avait introduit dans le dernier projet de résolution présenté devant le Conseil de sécurité de l’ONU, une disposition visant à créer un mécanisme de surveillance des droits de l’Homme dans les territoires sahraouis sous occupation marocaine. Cette proposition avait été retirée à la dernière minute suite à une intervention personnelle du roi Mohammed VI auprès de Barack Obama. Humilié par un de ses alliés stratégiques, le Maroc n’avait pas pour autant osé rappeler son ambassadeur à Washington. Intervenant, dans le site électronique Algérie Patriotique, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a tenu à rappeler, dans une mise au point adressée au ministre marocain Mustapha El-Khalfi que «pas un seul pays au monde ne reconnaît la souveraineté du royaume du Maroc sur les territoires du Sahara occidental». «N’étant pas la puissance administrante de droit (qui demeure l’Espagne jusqu’à la tenue du référendum d’autodétermination), le Maroc occupe militairement le territoire. C’est un constat objectif qui ne peut souffrir aucune ambiguïté et qui s’impose à la communauté internationale», a précisé Amar Belani.
T. H.