L’impatience des jeunes Sahraouis
Dans les camps de réfugiés de Tindouf
L’impatience des jeunes Sahraouis
El Watan, 3 janvier 2015
En 1975, les Espagnols abandonnaient le Sahara occidental aux mains du Maroc et de la Mauritanie. Le peuple sahraoui, qui était sur le point de fêter son indépendance, était «violemment chassé» par le roi Hassan II de ses territoires vers le sud de l’Algérie, où il s’est exilé dans des camps de fortune.
En 1991, un espoir surgit avec le cessez-le-feu et la promesse d’un référendum dans le cadre d’un plan de règlement onusien. La Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (Minurso), créée dans ce but, était censée permettre l’organisation rapide d’un référendum au Sahara occidental, tout en assurant la paix entre le Front Polisario et le Maroc.
Mais, avec le temps, de l’aveu même de l’ONU, cet objectif fut un échec complet. Les négociations engagées, depuis 1991 entre le Maroc et le Polisario, avaient à peine évolué. Il y a eu, entre- temps, de nouvelles négociations sous l’égide du même médiateur (en 2007), mais celles-ci aussi n’ont pas abouti. Le Maroc, qui est resté figé sur sa position d’autonomie au Sahara occidental sous sa souveraineté, a poussé le statu quo déjà existant vers une autre impasse en entrant en guerre contre les Nations unies elles-mêmes.
Si la crainte résidait avant dans le fait que les parties au conflit n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur une solution commune, la situation est en effet devenue encore plus compliquée après que le makhzen ait décidé de tourner le dos et à la communauté internationale et au médiateur onusien. Le conflit a ainsi atteint une étape où il est difficile d’envisager son avenir. Une attitude qui ne met pas à l’abri de la reprise des armes.
Seules les armes…
Face à cette situation ambiguë, nombreux sont les Sahraouis rencontrés dans les campements de réfugiés, à Tindouf, qui expriment leur volonté de reprendre la lutte armée. Les jeunes réfugiés que nous avions abordés lors de notre séjour dans les différents camps ont une perception différente de celle de leurs politiques. Après vingt-quatre ans de cessez-le-feu, la jeunesse sahraouie perd confiance dans le processus politique. Jeunes, vieux ou femmes croient plus à l’option militaire, dès lors que le dialogue diplomatique n’avance pas.
C’est le cas de Ghalia, Houria, Salka, Mustapha et Houari, qui sont convaincus que seules les armes pourraient apporter quelque chose. «La liberté s’arrache, elle ne se donne pas», ditd’emblée Houria, employée à la «wilaya» de Bujdur. Cette mère de trois enfants appartient à la première génération née dans les camps de réfugiés. Comme des dizaines de milliers de compatriotes, ses parents ont été forcés de quitter leur terre après la «marche verte» et la guerre qui a suivi, entre 1975 et 1991.
En s’installant au début de 1976 dans des kheïmas, ils n’imaginaient pas qu’ils allaient rester aussi longtemps dans cette partie du désert, réputée pour la rigueur de son climat. Mais après le cessez-le-feu onusien signé en 1991, la promesse d’une autodétermination prochaine n’a été suivie d’aucune avancée diplomatique. Aujourd’hui, comme Houria, des milliers d’autres Sahraouis frustrés se sentent abandonnés. Les jeunes comptent pour environ 60% de la population de réfugiés sahraouis. Ils vivent dans l’incertitude, mais l’heure n’est pas à la résignation.
«Nos responsables nous disent à chaque fois de patienter, mais notre génération en a assez», assène Mustapha. «Nous ne pouvons attendre plus, nous devons trouver une solution, mais si nous voulons avoir notre indépendance, nous devons faire parler une nouvelle fois les armes», insiste de son côté Houari. Fatimatou, une rescapée de la «marche verte», n’en pense pas moins : «Nous avons déjà payé un lourd tribut durant la guerre, alors toute la patrie ou le martyre.»
«La politique ne m’intéresse pas, je n’y comprends rien d’ailleurs, mais je veux reconquérir la terre de mes ancêtres par tous les moyens», pense de son côté Salka, convaincue que «l’esprit de combat, de nationalisme et guerrier existe chez tous les Sahraouis». Ce qui invite son amie, Ghalia, à exprimer sa détermination, en tant que femme, à «combattre avec le fusil aux côtés de ses compatriotes hommes». «On ne sait pas que gérer les camps, on peut aussi manipuler les armes», avance-t-elle, déterminée.
Il est vrai que, selon Abdeslam, «la jeunesse sahraouie fait face à une frustration grandissante du fait du blocage du processus de paix, de l’accentuation de l’oppression dans les territoires occupés et la pression socioéconomique dans les campements des réfugiés». Ce qui explique, selon lui, «cette facilité dans leur volonté de reprendre les armes».
C’est ce que pense aussi Azaine Mohamed Sid Ahmed, secrétaire général de l’Union de la jeunesse sahraouie (Ujsario), pour lequel «le sentiment du retour aux armes a été conforté chez les jeunes par l’absence d’avancées vers un règlement du conflit». «Les jeunes dans les campements n’ont aucune confiance dans les Nations unies, ils sont frustrés et ne peuvent pas patienter et attendre plus de 40 ans».
Donner un nouveau souffle
Cependant, pour notre interlocuteur, «l’option de la reprise des armes n’est qu’une opinion, mais il y a d’autres visions». «C’est vrai que toute la jeunesse sahraouie veut le retour à la lutte armée, mais la guerre demande des moyens et des conditions», estime-t-il. C’est pourquoi, selon lui, «en tant que jeunes, nous devons trouver une politique nouvelle qui n’est pas dans la reprise de la guerre, ni dans l’attente, mais ouvrir d’autres fronts».
Notre interlocuteur plaide pour de «nouvelles méthodes» pour faire connaître le conflit sahraoui dans le monde : «Il faut renforcer la participation de nos athlètes dans les compétitions internationales, faire la promotion de nos travaux artistiques, développer notre coopération et élargir les mouvements de solidarité dans le monde.»
Activiste des droits humains, Abdeslam pense qu’il faudra agir pour respecter les droits de l’homme. Ainsi, il suggère «une grande action pacifique et médiatique», une sorte d’événement qui aura «un grand impact» sur le plan international. Cela sans omettre d’«entreprendre des démarches auprès de tous les décideurs au niveau international pour ne pas rater l’opportunité de la paix à l’échéance du mois d’avril 2015».
Zroug Loula a une toute autre analyse pour expliquer l’impasse dans laquelle s’est embourbée la question sahraouie.
Ainsi critique-t-il la stratégie adoptée par le Front Polisario. Pour lui, «la position défensive qu’on a adoptée jusque-là n’apporte rien, c’est pourquoi, il faut changer de stratégie si l’on veut réaliser notre Etat indépendant et souverain». Cet employé au ministère sahraoui de la Communication préconise de «donner un nouveau souffle à notre cause et de faire pression pour que la solution du conflit soit à notre profit et à notre portée». Comment ?
«La justesse de notre cause est claire et sans équivoque, il n’y a aucune force qui peut changer cela. Ni le temps, ni l’argent, ni la trahison. Il se peut que l’année prochaine soit décisive, mais on ne peut pas vivre d’espoir et d’illusions. Le changement est nécessaire et urgent, pas nécessairement changer les personnes mais changer la manière de faire», a-t-il estimé.
Ce que veulent les jeunes Sahraouis, «c’est le renforcement de l’armée, qui peut faire face à tous les défis, une représentativité diplomatique offensive et une amélioration de la situation socioéconomique de la population de réfugiés, notamment en matière de travail, d’éducation et de santé», selon Abdeslam. Pour lui, les jeunes Sahraouis réclament également «le renforcement du processus démocratique en cours en donnant l’opportunité aux nouvelles générations d’assumer leur place dans l’espace politique». Cela même si, pour Yahia, qui est très optimiste, «la situation actuelle est en faveur des Sahraouis, car c’est le début de la fin pour le Maroc». Les Sahraouis n’attendent que ça.
Rabah Beldjenna
Ould Salek Mohamed Salem. Ministre sahraoui des Affaires étrangères
«La crédibilité du Conseil de sécurité est en jeu»
– Un référendum était prévu en février 1992 après qu’un plan de règlement ait été signé entre le Front Polisario et le Maroc après le cessez-le- feu de septembre 1991. Mais depuis cette date, rien de concret. Quelle analyse en faites-vous ?
Cela s’explique essentiellement par deux raisons. La première est que le Maroc savait à l’avance après la fin de l’opération d’identification des votants qu’il va perdre ce référendum du moment que les Nations unies n’auraient pas accepté la fraude. Le Maroc avait transféré une bonne partie de sa population qui n’a rien à avoir avec le référendum d’autodétermination qui ne concerne que le peuple sahraoui. Donc le Maroc a commencé à bloquer dès la publication des listes de votants.
Toutefois, le roi Hassen II, avant sa mort, n’a jamais dit qu’il n’irait pas au référendum définitivement. C’est son fils, quand il a pris le pouvoir, qui a soudain, à partir de 2004, refusé carrément le référendum. Deuxièmement, au sein même du Conseil de sécurité, il y a un pays, membre permanent, qui est la France, qui ne veut pas voir pour le moment un Etat indépendant au Sahara occidental.
– Il y a eu entre-temps un processus de négociations qui n’a pas non plus abouti. Pis encore, ces pourparlers (directs avec Peter Van Walsum et indirects avec Christopher Ross) ont conduit à une nouvelle impasse…
Non, c’est que les Nations unies n’ont pas fait pression sur le Maroc pour qu’il aille vers des négociations de bonne foi. Parce que, faut-il le rappeler, la résolution du Conseil de sécurité sur la base de laquelle ces négociations se déroulent prévoit «des négociations de bonne foi, sans condition préalable, pour trouver une solution politique juste et mutuellement acceptable qui garantisse le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental». Mais comme le Maroc, en allant vers ces négociations, affirme qu’il n’accepte que l’autonomie, nous sommes donc très loin de l’objectif de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Le Maroc bloque à l’avance ce processus de négociation. Ce qui est malheureux, c’est que cette position est connue par les membres du Conseil de sécurité, les amis du secrétaire général (les cinq membres permanents, moins la Chine plus l’Espagne), savent que le Maroc n’a pas cette volonté politique, mais que les intérêts de certains priment au sein du Conseil de sécurité, dont la France qui a, jusqu’à maintenant, bloqué le processus d’autodétermination.
– Et, du coup, face à une telle situation de blocage, la jeunesse sahraouie s’impatiente et réclame carrément le retour à la lutte armée !
D’ailleurs, d’aucuns pensent aujourd’hui que le Front Polisario n’a jamais été aussi proche de cette option…
Il y a deux vérités. La première est que tous les Sahraouis, pas seulement la jeunesse, les vieux plus que les jeunes et les femmes plus que les hommes, les Sahraouis dans les zones libérées, dans les campements, dans les zones occupées et la diaspora, sont unanimes sur la nécessité de reprendre le fusil pour la simple raison que le Maroc bloque ce que les deux parties ont accepté. Le Maroc fait fi de toutes les résolutions des Nations unies jusqu’à maintenant.
Mais l’autre raison, qui est primordiale, est que les Sahraouis, qui ont donné tout le temps au temps, commencent à s’impatienter et considèrent que les Nations unies ne donnent aucune importance à un conflit d’intensité mineure, d’un niveau déterminé. Il faut donc aller aux armes pour imposer au Maroc d’aller vers ce que les deux parties ont accepté, à savoir le plan de règlement de 1991 et rappeler au Conseil de sécurité ses responsabilités. Car ce Conseil a créé une mission qui s’appelle la Minurso, dont l’objectif est l’organisation d’un référendum. Dès que le Maroc bloque, le Conseil de sécurité ne bouge pas pour que cette mission s’arroge le droit de terminer son mandat.
– Des manœuvres ont eu lieu ces derniers mois dans les territoires libérés. De quoi s’agit-il exactement ? Une préparation à une cette option ?
Ce n’est pas la première fois que l’Armée de libération du peuple sahraoui (ALPS) fait des manœuvres militaires. Cette fois-ci, les manœuvres se déroulent dans un contexte où tous les Sahraouis s’impatientent et où l échéance d’avril 2015 approche. Si les Nations unies n’assument par leurs responsabilités et n’imposent pas au Maroc d’aller au référendum et si ce pays ne donne pas de signe positif pour mettre fin à son occupation, il est clair que les manœuvres se sont déroulées pour adresser un message clair à l’occupant, pour dire que les Sahraouis sont prêts à reprendre la guerre.
– Justement, tous les regards sont aujourd’hui rivés sur la prochaine résolution des Nations unies. Peut-on dire que celle-ci sera décisive pour l’avenir de la question sahraouie ?
Dans son rapport d’avril 2014, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, avait déclaré que s’il n’y a pas de progrès dans les négociations entre les deux parties d’ici avril 2015, il va demander au Conseil de sécurité de revoir le cadre dans lequel ces négociations se déroulent. C’est une conclusion très importante sur le plan politique, car pour nous, si le SG arrive tient de tels propos, cela veut dire que même les Nations unies, tout comme les Sahraouis, sont lassés de renvoyer échéance après échéance la solution politique, alors qu’il s’agit d’un conflit de décolonisation, très simple dans ses dimensions géographique, politique et juridique.
Non seulement les Sahraouis s’impatientent, mais la crédibilité de l’ONU est en jeu. Les Nations unies sont des faiseurs de paix, pas de guerre ! Le statu quo n’est pas dû uniquement à la position du Maroc, mais aussi à l’inertie du Conseil de sécurité, à la complicité de certains de ses membres.
– Le Maroc ne cesse, ces derniers temps, d’accuser le Front Polisario d’être un groupe terroriste…
Qu’on accuse le Front Polisario d’être un groupe terroriste, c’est la mode aujourd’hui. Quand le monde était dominé par les deux blocs, pour le Maroc, le Front Polisario était marxiste-léniniste ; après la révolution iranienne en 1978, le Front Polisario est passé de communiste à fondamentaliste, islamiste.
Aujourd’hui, avec la lutte contre le terrorisme international, le Maroc essaye d’user et d’utiliser toute la panoplie de propagandes pour mettre en cause la légitimité du combat du peuple sahraoui et surtout toucher la noblesse de notre cause. Jusqu’à l’an 2000, Mandela était considéré par l’apartheid comme terroriste et tous les combattants algériens de l’ALN étaient également considérés comme des hors-la-loi.
Tous les combattants pour la liberté ont été des terroristes, des bandits ou des hors-la-loi. Je me félicite que le Maroc se comporte comme tous les colonialistes. Il refuse de reconnaître un peuple assujetti et colonisé, il considère que les combattants pour la liberté sont des terroristes. Si c’est ainsi, nous nous en félicitons.
– Et l’Algérie n’échappe pas à l’acharnement du Maroc, qui l’accuse de créer l’instabilité dans la région…
Voilà aussi ce qui démontre que le Maroc est un apprenti sorcier du colonialisme. Parce que toutes les puissances coloniales qui refusent les peuples colonisés et l’autre partie, à savoir les mouvements de libération, inventent des ennemis qui n’existent pas. Et le Maroc ne diffère pas de la France, de l’apartheid, d’Israël et des autres colonialistes. Durant l’apartheid, l’Afrique du Sud ne reconnaissait pas une majorité opprimée et y un mouvement de libération qui s’appelait l’ANC. On considérait que tous les mouvements et toutes les manifestations organisées en Afrique du Sud et toute la guerre étaient menées par les pays de la ligne de front.
Pour la France, à l’époque de la colonisation de l’Algérie, on a accusé tous les voisins parce qu’on ne reconnaissait pas la résistance de l’ALN, du FLN et du combat du peuple algérien. C’est une méthode archaïque qui est très connue dans les comportements des colonialistes et voilà encore une fois ce qui démontre que le Maroc est un envahisseur qui ne veut pas mettre fin à son occupation illégale du territoire du Sahara occidental.
Quant à l’Algérie, elle ne se cache pas d’être la Mecque des mouvements de libération, nous sommes très fiers de notre relation avec ce pays et nous la remercions, car elle a accueilli Mandela, Amilcar Cabral, Yasser Arafat, les Vietnamiens et tous ceux qui ont combattu avant nous, comme la Swapo, MPLA… Comme disait Cabral, les musulmans vont à La Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération à Alger. Certains, comme le Maroc, ne pardonneront jamais à l’Algérie d’être la capitale de la liberté en Afrique.
Rabah Beldjenna