Malgré une frustration grandissante, la jeunesse sahraouie s’accroche

Malgré une frustration grandissante, la jeunesse sahraouie s’accroche

El Watan, 5 février 2016

Inondations dévastatrices dans les camps pour réfugiés, risque de radicalisation des jeunes, baisse de l’aide humanitaire… Afin de canaliser toutes les frustrations des Sahraouis, Oxfam et le HCR ont initié un projet novateur afin de réduire la marginalisation d’une jeunesse en quête de liberté.

«On assiste à une nouvelle méthode sur le montage de projets des jeunes réfugiés sahraouis en leur donnant l’opportunité de concrétiser leurs idées et de nous proposer eux-mêmes leurs projets. Les résultats vont au-delà de nos espérances», affirme Mohamed Abdelhay, chargé de projet jeunesse pour Oxfam, qui lui-même vit dans la wilaya de Smara. «Il y a plein de bonnes idées, de bons projets.

Le retour des jeunes est très positif et nous conforte dans la dynamique que nous tentons de créer, c’est-à-dire redonner à la jeunesse sahraouie un rôle-clé dans sa communauté.» Depuis plus de quarante ans, le peuple sahraoui réclame le droit au retour sur sa terre, conformément aux résolutions de l’ONU et aux avis de la Cour internationale de justice. Plus de 100 000 Sahraouis vivent en Algérie dans des camps de réfugiés dépendant des aides humanitaires. Le contexte des réfugiés sahraouis demeure extrêmement fragile.

D’un point de vue humanitaire, la grande partie des besoins n’est toujours pas couverte malgré les inondations et destructions massives d’octobre 2015. Afin de lutter contre la frustration et la colère de la jeunesse, Oxfam, en partenariat avec le HCR, a lancé en 2015 un projet en lien avec la jeunesse sahraouie, avec une nouvelle approche consistant en un appel à projet lancé à l’échelle de toutes les wilayas sahraouies. Le but étant de toucher la jeunesse la plus marginalisée, et qui tendrait vers un retour au conflit, en s’éloignant des efforts consentis pour la paix.

Jury

«Ce projet vient compléter les deux autres axes d’intervention d’Oxfam que sont l’aide humanitaire et le travail de plaidoyer autour des causes structurelles du conflit. En effet, dans un contexte où la baisse des fonds humanitaires rend le quotidien des réfugiés de plus en plus pénible, ces projets, dont l’impact social était un critère important pour la sélection, permettront dans une certaine mesure de redonner un rôle à la jeunesse pour soulager les souffrances de sa communauté», affirme Soazic Dupuy, directrice d’Oxfam Algérie.

Pour rappel, Oxfam évolue dans les camps de réfugiés sahraouis depuis le début du conflit et de la crise humanitaire en 1975. Opérant principalement dans le secteur de la sécurité alimentaire, ce projet dans les camps sahraouis est financé et soutenu par le HCR (Haut-Commissariat aux réfugiés), a pour volonté de demander aux jeunes de produire eux-mêmes leur propre projet de A à Z. Pour un processus totalement transparent, Oxfam a formé un jury composé de sept personnes présidé par Messaoud Babadji, professeur de droit à l’université d’Oran et fin connaisseur du contexte sahraoui.

Les autres membres sont Jamal Laimeche, chef de projet IDMAJ à l’association ANEJ en Algérie (Association nationale des échanges entre jeunes), Adèle Bourgazene, coordinateur régional du réseau NADA (Réseau algérien pour la défense des droits de l’enfant), Cristina Diaz (responsable administratrice et financière à Oxfam Solidarité à Bruxelles), un expert du Haut- Commissariat aux réfugiés, Khalid Halim, expert en community services au Haut- Commissariat aux réfugiés et Baba Afdeid un des responsables du ministère saharoui du Développement au sein des camps. Ce jury a étudié les 24 projets écrits dans la journée du 23 janvier.

Solution

Par la suite, un événement officiel a été organisé le 24 janvier dernier, où les représentants des 24 projets ont présenté à l’oral leur projet devant les membres du jury. A la fin de la journée, basée sur les observations effectuées à l’écrit et à l’oral, le jury a délibéré et sélectionné les meilleurs 10 projets (deux par wilayas).

Parmi eux, un parc récréatif pour enfants, un centre informatique, des projets agricoles, un centre d’activités sociales pour jeunes, une auto-école pour femmes, un centre de soutien pour enfants en échec scolaire, une pâtisserie traditionnelle, un moulin, etc. «Les jeunes Sahraouis vivent une situation paradoxale. De plus en plus sont diplômés et conscients du monde qui les entoure, grâce aux voyages, aux échanges étudiants et à internet.

Mais peu ont les moyens de mettre en pratique leurs connaissances ou de trouver une porte de sortie professionnelle dans les camps. Face à tant d’années de statu quo, la frustration et la colère ont atteint un niveau très inquiétant ces dernières années», explique Baptiste Chapuis, responsable de plaidoyer pour Oxfam dans les camps sahraouis. «Quarante ans après le début de ce conflit, il est urgent que la communauté internationale se mobilise pour qu’une solution en lien avec le droit international soit trouvée pour mettre définitivement fin à cette crise oubliée.»

Faten Hayed

4 projets pour changer la vie des Sahraouis

– Bouela Lehbib et Mohamed Salem. 26 ans, et 35 ans
Wilaya : Aousserd
Projet : production agricole

Notre projet est simple : il consiste à cultiver des produits frais (pommes de terre et oignons) sur une parcelle de 2,5 hectares avant de revendre la production aux ONG qui travaillent dans l’approvisionnement alimentaire des camps de réfugiés sahraouis. La logique est triple : ce qui est produit localement sera redistribué localement, le projet permettra d’employer quatorze jeunes Sahraouis, et devra enfin contribuer à sortir les jeunes de la dépendance à l’aide humanitaire.

Dans l’alimentaire, nous dépendons de beaucoup de produits algériens. Nous sommes dans une partie du désert où il est extrêmement difficile de cultiver quoi que ce soit, mais au bout de quarante ans, nous avons appris des techniques pour mettre en place une petite agriculture locale, avec une gestion de l’eau saine. Pour moi, l’une des plus grandes causes de la frustration de notre jeunesse réside dans l’absence de perspectives. Nous sommes dans une région fragile, il faut donner du concret aux jeunes.

– Engniya Salem Daf. 32 ans
Wilaya : Smara
Projet : création d’un centre de soutien pour enfants en situation d’échec scolaire

Malgré le soutien des autorités à l’éducation, le contexte des camps de réfugiés rend l’enseignement fragile. Les classes ne sont pas suffisantes, et comme on l’a vu avec les dernières inondations d’octobre [118 classes ont été détruites], les infrastructures demeurent précaires. Dans ce contexte, les enfants en situation d’échec scolaire ou qui ont des difficultés sont doublement fragilisés.

En s’accordant avec les autorités sur le respect des programmes et des horaires, accompagner ces enfants de 6 à 16 ans, c’est aussi leur donner les meilleures chances de poursuivre leurs études et d’atténuer leur frustration. Sans l’éducation, que leur reste-t-il à part la colère? J’ai un jeune fils de 5 ans, je veux le meilleur avenir pour lui malgré les conditions ici. Ce centre sera aussi l’occasion pour de jeunes diplômés comme moi de transmettre leur savoir, tout en s’occupant. La valeur ajoutée de ce projet, c’est son approche : ici, les ressources viennent de nous !

– Chej Hanafi Mohamed. 41 ans
Wilaya : Laâyoune
Projet : Centre de prise en charge de personnes handicapées

A titre personnel, je suis physiothérapeute. Ici, beaucoup de jeunes Sahraouis ont, comme moi, grandi et toujours vécu dans les camps depuis 40 ans. Ici, vous trouverez de plus en plus de diplômés : ingénieurs, médecins, professeurs, chargés de projet… mais peu sont ceux qui possèdent des opportunités professionnelles. Faute de perspectives, beaucoup se rabattent sur ce qu’ils trouvent pour s’occuper ou gagner un peu d’argent, ce qui contribue à la frustration ambiante.

Mon projet, c’est de monter un centre de prise en charge de personnes handicapées, physique ou mental. L’extrême vulnérabilité de ces personnes, particulièrement les enfants, est considérablement accentuée par la fragilité du contexte dans lequel nous vivons. Au-delà de pouvoir enfin donner aux jeunes d’exprimer pleinement leurs idées et leur potentiel, ce projet me permet de mettre en pratique ce pourquoi j’ai étudié, et ce que je veux faire de ma vie.

– Ghalia Mustafa. 24 ans
Wilaya : Dakhla
Projet : auto-école pour femmes à Dakhla

J’ai fait des études de psychologie en Algérie dans la wilaya d’Adrar. Comme la majorité des jeunes ici, je n’ai pas les moyens de mettre en pratique ce pourquoi j’ai étudié. Alors, pourquoi ne pas monter un projet qui soit au service de la communauté ? Quand j’étais étudiante, je n’avais qu’une préoccupation : passer mon permis de conduire. J’ai toujours pensé que c’était un signe d’émancipation. Ici, les femmes ne sont pas encouragées à conduire. Alors pourquoi pas ?

L’école de conduite que je veux créer sélectionnera 100 femmes sur la wilaya et proposera des prix très bas pour rendre ce projet accessible à toutes. De mémoire, je crois que c’est le premier projet d’ONG qui demande aux jeunes ce qu’ils veulent, et non l’inverse. En attendant que le droit international soit respecté pour notre cause, nous ne devons pas attendre pour nous mobiliser ici, dans notre société.