Ouyahia et la Kabylie : sincère ou calculateur ?

BALISES

Ouyahia et la Kabylie : sincère ou calculateur ?

El Watan, 3 juin 2003

En appelant à une négociation sur la base de la plate-forme d’El Kseur, avec libre choix des délégués par les archs eux-mêmes, Ouyahia semble être animé du souci d’agir pour le règlement de la crise de Kabylie, quitte à aller à l’encontre des règles de jeu imposées jusque-là par la Présidence de la République.

Le chef du gouvernement a peut-être arraché à Bouteflika une marge de manœuvres appréciable dans la gestion du dossier, ce qui n’a pas été le cas de son prédécesseur. Mais de l’avis des archs, l’intention ne suffit pas, Ouyahia devrait la faire suivre dans l’immédiat par la mesure d’apaisement la plus logique qui est la libération des détenus, eux-mêmes possibles futurs délégués. Si cette libération venait à voir le jour sans aucune ambiguïté, le mouvement citoyen pourrait répondre à l’offre de dialogue, pour peu qu’il parvienne à un consensus en son sein et que soient surmontées les innombrables divergences de fond et de forme qui le minent depuis deux années. La tâche sera rude mais il existe une volonté certaine en son sein de parvenir à une unité d’action qui le crédibilisera et fera de lui un partenaire sûr et solide des pouvoirs publics. Ses principales structures sont la Coordination des archs, daïras et communes (CADC), une Interwilayas qui regroupe le Comité des quartiers et villages de Tizi Ouzou (CQVT), la Coordination intercommunale de la ville de Béjaïa (CICB), la Coordination des comités de citoyens de la ville de Bouira (CCCWB) et le Comité populaire de la ville de Béjaïa (CPWB ). Le dernier a été exclu de l’Interwilayas en raison de divergences avec les autres structures des archs, lesquelles connaissent également des oppositions internes qui ont trait à plusieurs questions clefs : dialogue ou pas avec le pouvoir et quel contenu ? Plate-forme d’El Kseur stricte ou élargissement à d’autres revendications ? Programme spécial, régionalisation, voire autonomie ? etc. Un minimum commun a pu être préservé lors du dernier conclave de l’Interwilayas à Yakouren les 26 et 27 mars à travers la réaffirmation des points de la plate-forme d’El Kseur et l’urgence de la libération sans condition des détenus. Le fossé reste encore profond. Mais si les détenus sont libérés rapidement, les archs pourraient être amenés sérieusement à laver leur linge sale en famille pour se présenter en interlocuteurs unis au moins sur l’essentiel : la mise en œuvre sur le terrain de la constitutionnalisation de la langue amazighe, la délimitation des responsabilités du Printemps noir et les poursuites judiciaires à engager contre eux, les réparations des multiples préjudices, le retour à la sécurité dans la région, la relance de l’activité économique. Si un terrain d’entente est trouvé, la porte sera ouverte pour le dénouement de la crise, à condition que les autorités politiques aillent jusque-là et évitent la tentation de céder sur des points mineurs pour se dérober sur l’essentiel qui dépasse le cadre de la Kabylie pour s’inscrire dans de l’histoire nationale : loin d’être un quelconque tribalisme, comme cela a été accrédité dans le passé, les archs expriment une dynamique profondément populaire, qui s’est appuyée dans une forme traditionnelle d’organisation pour résister contre l’oppression d’un Etat et offrir une représentativité à des citoyens ainsi que des alternatives de construction de l’avenir. La Kabylie a été porteuse d’un projet démocratique, et c’est cela que le pouvoir, la classe politique, et avec eux Ouyahia doivent comprendre pour que la sortie de crise soit permise. Si c’est une autre compréhension qui s’inscrit dans une stratégie électoraliste, à la veille de la présidentielle 2004, alors la sortie d’Ouyahia n’est qu’un autre coup bas, comme il aime bien les assener.

Par Ali Bahmane