Ghardaïa, de nouveau l’embrasement…

Une centaine de blessés, des commerces incendiés

Ghardaïa, de nouveau l’embrasement…

El Watan, 15 mars 2014

Les démons de la violence se sont réveillés, mercredi soir, dans tous les quartiers de Ghardaïa pour ne plus s’arrêter, au grand désappointement des populations locales. Des dizaines de magasins incendiés et plusieurs blessés dont deux gravement atteints suite à une violence brutale. Une escarmouche, puis un café vandalisé par de jeunes Mozabites du ksar Bounoura ont mis le feu aux poudres, générant en retour une vendetta et des saccages en règle.

Les démons de la violence se sont réveillés, mercredi soir, pour ne plus s’arrêter à Ghardaïa. Pis, ils se sont étendus brusquement à tous les quartiers de la ville. Prenant comme étincelle le quartier de Sidi Abbaz, dans la commune de Bounoura, où le célèbre café kiosque La Cabane a été vandalisé et incendié, les violences ne vont plus cesser. Des dizaines de magasins sur les grands boulevards de Ghardaïa, 1er Novembre, Didouche Mourad, 5 Juillet et même dans la vieille ville au niveau du vieux marché de Ghardaïa, sont incendiés tour à tour. Les éléments de la Protection civile, malgré toute leur bonne volonté, n’ont pu faire face à l’ampleur des incendies et à leur étendue dans les deux communes de Ghardaïa et de Bounoura.

Des colonnes de fumée montaient de toutes parts vers le ciel, témoignant ainsi de l’ampleur des dégâts. Mais ce qui a plus retenu l’attention des citoyens, c’est l’absence totale de réaction des autorités locales devant la gravité de la situation. «Où sont les responsables de cette wilaya ? Que font-ils pour nous protéger ? Nous sommes tous en danger de mort», crie de toutes ses forces une femme du quartier de Haï El Moudjahidine, qui a déjà subi, en janvier et février, des dégâts inestimables, où plus de quarante maisons avaient été incendiées et leurs habitants réduits à l’état de sinistrés. Tous les quartiers, que ce soit Theniet El Makhzen, Merrakchi, Sidi Abbaz, Bounoura, Beni Izguène, Haï El Moudjahidine, Hadj Messaoud Mélika, Aïn Lebeau, El Hoffra, Souk Lahttab ou Châabet Ennichène, se sont levés en même temps dans une spirale de violence que personne n’attendait. Les forces antiémeute, en nombre insuffisant après que le gros des troupes ait été déployé à Ghardaïa, puis déplacé ailleurs, ne pouvaient en aucun cas faire face à l’intensité des affrontements. Il est même arrivé que des policiers se retrouvent dans une sale situation, ce qui a fait plus de 20 blessés parmi eux. Mêmes les élèves ont été privés de cours dans les 3 paliers jeudi, leurs responsables d’établissement leur ont fait rebrousser chemin, à cause du manque de sécurité.

Des administrations et des établissements publics ont aussi gardé les portes closes et les effectifs n’ont pu rejoindre leurs postes. Des dizaines de blessés ont été dénombrés parmi les jeunes des deux communautés, dont deux gravement atteints ont été admis aux urgences médico-chirurgicales de l’hôpital Docteur Tirichine de Sidi Abbaz. Une quinzaine de policiers ont aussi été touchés à divers degrés, mais sans gravité, nous assure une source sécuritaire sous le sceau de l’anonymat. Mais le pic de violence a été atteint hier, lorsque des jeunes se sont attaqués à des fidèles en pleine prière du vendredi dans la mosquée. Cette atteinte au sacré a fait sortir de leurs gonds les habitants du quartier et l’on n’arrivait plus à démêler l’écheveau de réactions et contre-réactions dans une spirale qui n’en finit pas. Beaucoup de plaies et du sang a coulé dans des batailles rangées avec jets de pierres et de toutes sortes d’objets hétéroclites. Des maisons et des commerces dans cette zone ont aussi fait les frais de la fureur des jeunes qui ont tout saccagé sur leur passage. Même les tirs de grenades lacrymogènes n’ont pu dissuader les foules d’émeutiers prêtes à en découdre.

Ce n’est qu’avec l’arrivée de deux escadrons des forces antiémeute de la gendarmerie que les antagonistes ont pu être séparés, mais pour un temps seulement. Sitôt les forces antiémeute appelées sur un autre lieu, les affrontements reprenaient de plus belle. «Et ne nous dites surtout pas que les soi-disant sages ou notables peuvent intervenir. Le mal est trop profond et les ressentiments bien exacerbés», lâche, avec amertume, un avocat bien connu, qui enfonce le clou : «Pour moi, la responsabilité de l’Etat est entière dans ces événements. Lui et lui seul est en mesure et a les moyens de faire respecter la loi. Il a l’obligation de protéger ses citoyens et leurs biens. Mais malheureusement dans cette affaire, l’Etat fait tout le contraire de ce qui lui incombe. Je ne comprends rien à cette inconsciente posture.» Pour Mustapha, sociologue, «c’est le rôle des autorités locales, et à leur tête le wali, qui me désarçonne dans cette affaire. Sont-ils conscients des enjeux de cette région dans la stratégie nationale ? Honnêtement, j’en doute. Leur mutisme me conforte dans mes doutes».

La nuit risque d’être longue, même si des renforts impressionnants de gendarmes sont arrivés dans la vallée. Hier, en début de soirée, ils ont commencé à prendre position dans certaines parties de la ville, notamment sur les terrasses de la vieille ville, s’interposant entre les quartiers mozabites et arabes de Beni Merzoug. Entre temps, sur toutes les terrasses dans différents quartiers, des jeunes s’organisent pour veiller sur leurs biens et se défendre en cas d’attaque. C’est dire que le climat délétère s’installe, frisant la paranoïa. Les ménagères ne sont pas en reste, elles prennent leurs dispositions pour constituer des stocks de nourriture en cas de pénurie, compte tenu que la majorité des magasins d’alimentation générale ont été incendiés. Mustapha Sioussiou, responsable de la commune de Ghardaïa de l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), a appelé notre bureau local pour «dénoncer la série d’incendies des magasins et faire porter l’entière responsabilité au wali et aux autorités locales qui ont failli à leur mission de protection des biens
et des personnes», ajoutant : «Pourtant, nous avons rencontré, mardi passé, le wali et nous l’avons mis en garde contre la levée du dispositif de sécurité et il nous avait affirmé que toutes les dispositions ont été prises pour protéger tous les commerces, et voilà le résultat.»

K. Nazim


Sit-in des mozabites à Alger pour réclamer «la sécurité»

Nous réclamons l’intervention de l’armée.» C’est avec ce slogan et bien d’autres que plusieurs dizaines de citoyens mozabites sont venus, hier après-midi, crier leur ras-le-bol devant la maison de la presse Tahar Djaout d’Alger.

Bravant le froid et la pluie, ces citoyens, alignés sur les deux côtés de la chaussée, réclament plus de sécurité. «Où sont les 6000 policiers et gendarmes envoyés par Belaïz ?» s’interroge Smaïli, un quinquagénaire rencontré sur place. L’homme, qui s’est vite improvisé en porte-parole, se dit certain que «des arrière-pensées» sont derrière les évènements qui «se poursuivent toujours» dans plusieurs quartiers de Ghardaïa. Notre interlocuteur ne veut pas dissocier ce qui se passe à Ghardaïa de l’élection présidentielle de 17 avril prochain.

Pis, «certains titres de la presse, notamment des journaux arabophones, mettent le feu aux poudres». Un autre jeune, qui porte son fils dans les bras, s’indigne sur la reprise des violences dans sa région. «Nous en avons assez de la violence. Cinq morts, ça suffit !» s’est-il emporté.
D’autres manifestants rencontrés sur place ont indiqué que les foyers de tension ont gagné plusieurs quartiers de la ville de Ghardaïa. Cela, malgré le déploiement de 6000 policiers et gendarmes dans la vallée du M’zab. A mentionner que les policiers présents en force n’ont pas empêché le sit-in. Ils se sont contentés de dégager la chaussée.
A. Boukhlef