Grèves et marches pour la commémoration du printemps berbère
GREVES ET MARCHES POUR LA COMMEMORATION DU PRINTEMPS BERBERE
La Kabylie à l’unisson
El Watan, 21 avril 2003
La grève générale à laquelle ont appelé les archs a été massivement suivie dans la région. Les institutions publiques ont cessé toute activité et les magasins ont baissé rideau durant toute la journée d’hier. La réussite de cette action de protestation organisée par les délégués des archs pour commémorer le 23e anniversaire du Printemps berbère était prévisible.
Par contre, la marche populaire prévue le même jour l’était moins. Avant l’heure H, de nombreux délégués appréhendaient la défection des masses de citoyens. A onze heures, ils étaient déjà des milliers de manifestants à se retrouver au point de départ de la marche. Si ce premier acte a été une retentissante victoire pour les organisateurs, il n’en n’a pas été de même pour le second : l’organisation a été un lamentable échec. Les carrés des marcheurs ont manqué d’organisation, et les encadreurs ont montré des signes de débordement. A tel point que les premiers carrés (des délégués et des parents des victimes) qui devaient mener la marche étaient noyés parmi les manifestants. Parmi la dizaine de carrés (de différentes tailles) figurent les représentants de la Fondation Matoub, les mères et sœurs des victimes du Printemps noir, qui portaient une banderole sur laquelle on pouvait lire «A nos détracteurs, l’histoire vous jugera». Les personnalités politiques étaient rares dans la marche. Ferhat M’henni du MAK et Mouloud Lounaouci du MCB ont été remarqués. Le professeur Issad a également fait le déplacement à Tizi Ouzou. Dans une déclaration à la presse, il a estimé que «le mouvement continue dans une atmosphère pacifique. C’est la démocratie qui avance, l’Etat de droit peut être retardé, mais nul ne peut l’arrêter. C’est un phénomène du XXIe siècle. Ces jeunes qui se battent aujourd’hui ne peuvent pas se tromper.» Au moment où les marcheurs avançaient dans le calme, scandant des slogans, parmi lesquels «Libérez les innocents, jugez les assassins», «Pouvoir assassin», «Ulac smah ulac», un impressionnant dispositif anti-émeutes a été placé dans trois endroits menant vers la prison, lieu où devait converger les marcheurs. Des dizaines de policiers ont dressé un rempart infranchissable. Tout l’arsenal de répression était là ; des lance-grenades lacrymogènes, des camions à eau, des camions anti-barricades et des véhicules des BMPJ. Il était en fait prévisible que l’itinéraire (rond-point du 20 Avril vers la prison) était une aventure. Vers midi, les premiers marcheurs se sont déjà postés devant la haie des CNS. A tout moment, ça pouvait dégénérer. Affolés par cette situation, des délégués ont précipitamment décidé de tracer un nouvel itinéraire ; au lieu d’aller vers la prison, les marcheurs sont invités à se rendre au siège de la wilaya. Cela ne s’est pas fait sans couacs ; certains parmi les manifestants ont refusé d’emprunter ce parcours, car, ont-ils expliqué, il faudrait que l’itinéraire initial tracé lors du conclave de l’Interwilayas soit respecté. Pour leur part, des délégués de la présidence tournante ont estimé lors d’un point de presse : «La marche a été une réussite totale. Nous sommes persuadés que nous avons déjoué un plan d’embrasement de la région en évitant la confrontation.» Lors de la même rencontre, un délégué a réitéré une fois de plus les positions radicales des archs. Pour lui, «il faut se battre jusqu’à la limite morale et physique. Il faut rejeter toute idée de négociation.» Les manifestants se sont séparés après avoir observé une minute de silence devant le siège de la wilaya. Des escarmouches ont éclaté dans la ville de Tizi Ouzou. Une dizaine de personnes a été arrêtée, a-t-on appris.
Par Saïd Gada
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Le printemps des archs
Les délégués de la Coordination des archs et communes de Tizi Ouzou (CADC) ne cachaient pas hier leur satisfaction, après la réussite de la marche célébrant le 20 Avril. Il faut dire que eux-mêmes avaient nourri des craintes de voir la population ne pas répondre favorablement à leur appel. Ce n’était certes pas la grande mobilisation, mais des milliers de personnes de toutes les catégories sociales ont marqué par leur présence cette date symbolique.
Pour nombre de citoyens qui ont fait le déplacement à Tizi Ouzou, en cette journée printanière, le 20 Avril pour tout ce qu’il représente comme symbolique du combat pour la démocratie, pour tamazight, pour la liberté d’expression, mené par toute une génération mérite le déplacement. Alors que depuis des mois, les archs n’avaient pu organiser une quelconque manifestation, au point où même les sit-in hebdomadaires devant le tribunal de Tizi Ouzou étaient «boudés» par plusieurs délégués, la marche d’hier peut-elle paraître comme un regain de force pour le mouvement ? Pas aussi sûr. Contrairement aux précédentes années, la célébration du 23e anniversaire du Printemps berbère a connu cette année l’effacement quasi total des formations politiques, dont certaines se sont contentées d’apporter leur soutien aux actions des archs, alors que d’autres ne se sont même pas fait entendre. Le Mouvement culturel berbère, avec ses différentes ailes, n’a plus l’apanage des manifestations publiques ; disloqué par les luttes d’appareil, il a été «remplacé» par les archs. Mais aujourd’hui, force est de constater que la célébration du Printemps berbère n’est plus la même ; la scène politique ayant été réduite à ce que décide le mouvement citoyen, lui aussi traversé par des luttes, qui pourraient lui faire connaître, si ses animateurs ne réagissent pas, le même sort que le MCB. Se réjouir de la réussite de la marche du 20 Avril est une chose, mais cette réussite ne doit pas faire oublier aux délégués du mouvement que la maison des archs n’est plus ce qu’elle était en 2002 par exemple, lorsque le mouvement avait réussi à mobiliser derrière lui la population pour le rejet des élections. Le printemps 2003 a été marqué par les archs, qui doivent maintenant se consacrer à revoir leur stratégie, à affiner la réflexion sur les perspectives politiques en maintenant une certaine cohésion, afin de parvenir à rentabiliser ce qui peut l’être et arracher la libération des détenus, avant les autres défis que le mouvement doit affronter. Certains délégués parlent déjà du rejet dans un premier temps des partielles, que Zerhouni prévoit de tenir entre juin et juillet prochains, et par la suite l’élection présidentielle de 2004. Mais dans une année, le mouvement aura-t-il la force populaire de refaire le coup des législatives, sachant que c’est une échéance à laquelle prendraient part les partis qui le soutiennent ? En attendant, les détenus sont à leur septième mois, et la Kabylie vit un marasme social, culturel et économique par la faute d’un pouvoir qui n’a pas fini de jouer le pourrissement. Deux années après le drame qui a secoué toute une région, l’avenir reste incertain. Alors que le printemps symbolise la renaissance, celui de la Kabylie restera-t-il toujours noir ?
Par Mourad Hachid
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Des milliers de personnes dans la rue à Béjaïa
Les archs ont finalement pu marcher hier à Béjaïa sans aucune forme d’interdiction de la part des autorités. Dans une atmosphère assez tendue, des milliers de manifestants, des jeunes pour la plupart, ont arpenté les rues de la ville restée fermée aux marches du mouvement depuis plus d’une année. La démonstration est loin néanmoins de tenir la comparaison avec celle organisée l’an dernier, à la même date, aussi bien sur le plan de l’organisation que sur celui de la participation.
Le mot d’ordre de grève générale a été, quant à lui, globalement suivi à travers le territoire de la wilaya. Dès les premières heures de la matinée, des vagues de manifestants ont commencé à affluer vers la ville, par bus et par fourgons ou, comme constaté, par des camions «réquisitionnés» pour la circonstance. La marche, l’une des plus décisives pour l’avenir du mouvement des archs, devait réitérer les revendications de la plate-forme d’El Kseur et exiger la libération des détenus. Toutes les coordinations de la région s’étaient dépensées depuis plusieurs jours à mettre le paquet sur l’événement. Après s’être rassemblés aux Quatre Chemins, lieu prévu pour le départ de la marche, les manifestants, que les délégués ont tout fait pour organiser en carrés, se sont ébranlés vers le centre-ville en entonnant les slogans traditionnels des archs, repris également par des calicots noirs, alors que sur tout l’itinéraire la présence policière s’est faite des plus discrètes. Chemin faisant, des pneumatiques sont brûlés et des plaques de signalisation routière sont malmenées par des jeunes réfractaires aux rappels à l’ordre impuissants des organisateurs. Les jeunes, de plus en plus belliqueux, s’en prennent à quelques magasins dans le quartier El Qods, et un marchand de fruits et légumes a vu ses cageots renversés. «L’entorse» au mot d’ordre de grève générale n’a pas été tolérée. C’est sans doute pour anticiper d’autres débordements que les meneurs de la marche ont dévié la procession, en évitant de monter vers la haute ville.Dans une pagaille grandissante, la manifestation se déverse dans la rue de la Liberté, dont le mobilier urbain subira par endroit la furie destructrice des jeunes excités. C’est au niveau du quartier CNS que les incidents les plus déplorables se sont produits. Des manifestants, que personne ne pouvait apparemment maîtriser, bombardent un arrêt de bus d’une pluie de pierres, faisant fuir dans la panique fourgons de transports ou navettes et usagers. Les pierres cibleront également des habitants du quartier et une courte bataille à coup de projectiles s’est engagée. La manifestation, qui s’était déjà muée en grande ruée, à l’exception de son carré de tête resté relativement organisé, ne s’est pas conclue par le meeting prévu sur le parking du stade. Une défaillance de sono a privé les délégués de s’adresser à la foule en cette journée qu’ils ont saluée comme celle d’une démonstration qui confirme la bonne santé du mouvement. «La mobilisation a été suffisamment importante pour relancer la problématique posée par la plate-forme d’El Kseur», nous dira le délégué Yazid Mehdi, en relativisant et regrettant les incidents. Enfin, il y a lieu de signaler que le mouvement de grève générale a été largement suivi dans les localités de la vallée de la Soummam et un peu moins dans les autres centres urbains de la région.
Par M. Slimani
Béjaïa : De notre bureau
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Mobilisation réussie pour le 20 Avril
La manifestation publique qui a eu lieu hier, même si elle n’a pas drainé les foules des années précédentes, montre qu’une lutte vieille d’un quart de siècle peut renaître dans la rue même si le jeu politique a fini par effilocher le cadre organisationnel, le MCB en l’occurrence, qui a canalisé depuis vingt ans la revendication identitaire. Ce sont les archs, apparus suite aux événements le 18 avril 2001, qui ont appelé aux actions commémorant le 23e anniversaire du 20 Avril 1980.
Les slogans de la marche étaient également ceux des archs : «Libérez les détenus», «Ulac smah ulac» (pas de pardon ), «Plate-forme d’El Kseur scellée et non négociable»… La marche étaient ouverte par les parents des victimes du Printemps noir et encadrée par les délégués du mouvement citoyen. Quelques anciennes figures du MCB ont été aperçues lors de la manifestation d’hier. Ould Ali L’hadi, Ferhat Mehenni, Mouloud Lounaouci et d’autres anciens militants moins connus. Ils ont tous adhéré aux mots d’ordre des archs tout en continuant à s’affronter, parfois à se combattre, sur le terrain politique, après avoir suivi des voies divergentes ces dernières années. Le MCB ayant littéralement volé en éclats, la date fondatrice de ce mouvement, le 20 avril, a été néanmoins célébrée grâce à la présence des archs qui occupent le terrain depuis deux ans. Tout en réalisant la disparition des différentes tendances du MCB qu’ils ont animées depuis des années dans le fracas des déclarations au vitriol et des actions aux itinéraires opposés, les anciens militants du mouvement culturel se consolaient sans doute hier en voyant une banderole déployée dans un carré des marcheurs, réclamant «Tamazight langue nationale et officielle». Satistaite à moitié (statut de langue nationale conféré à tamazight dans la Constitution amendée), grâce au combat des archs, la revendication identitaire continue encore à être portée dans la rue loin du mouvement originel qui l’a vu naître. Commissions nationales (proches du FFS) disparues, coordination nationale (proche du RCD) sabordée, le MCB ne se signale plus qu’à travers des déclarations portant le même sceau et une large place à la polémique et aux attaques voilées. Née il y a quelques semaines, depuis l’éviction de Ould Ali du RCD, la nouvelle structure portant la dénomination du MCB est la seule organisation qui a mis en place un programme de festivités commémoratives cette année. L’ambition du programme et les moyens mobilisés par l’équipe de Ould Ali ont fait dire à ses détracteurs qu’il bénéficie du soutien de sphères occultes cherchant à «normaliser» la région. Le bruit de ces tiraillements a été couvert hier lors de la manifestation par les slogans qui font consensus, comme la libération des détenus et le jugement des auteurs d’assassinats. Un slogan brandi dans la journée d’hier est par contre de nature à provoquer une ligne de fracture avec les formations politiques implantées dans la région ; «Ulac l’vot ulac», «Pas de partielles, pas de présidentielle avant la satisfaction de la plate-forme d’El Kseur», ont été les slogans réitérés par les manifestants. L’absence des dirigeants du RCD et du FFS a été remarquée hier lors de la marche qui, à l’opposé des rendez-vous précédents, ne s’est pas terminée par un meeting ou par des prises de parole. Refuser les élections partielles au FFS ou la présidentielle au RCD est une nouvelle perspective de tension qui se dessine à l’horizon. Hier, vers 17 h, des enfants de 12 ans continuaient à jeter des pierres sur la façade du théâtre Kateb Yacine, ancien siège de la CADC occupé actuellement par les CNS. Compromises par les luttes intestines des états-majors politiques, la revendication démocratique et la rupture avec le système en place apparaissent comme une charge un peu trop lourde sur les épaules de la masse juvénile, qui en a déjà payé le prix fort.
Par D. Tamani