Le pouvoir dans le désordre, les ârouch en embuscade et le FIS en trouble-fête

Le pouvoir dans le désordre, les ârouch en embuscade et le FIS en trouble-fête

Une étrange impression de déjà-vu

Le Quotidien d’Oran, 28 juin 2003

Benflis est déjà candidat sans attendre le congrès extraordinaire. Les guerres de position au sein de la « famille du pouvoir » deviennent de plus en plus âpres alors que les ârouch se placent en embuscade. Ali Benhadj et Abassi Madani, hommes libres et sans parti, pourraient en cas d’élections ouvertes – jouer les trouble-fêtes en faveur d’un homme acceptable comme Ahmed Taleb Ibrahimi. Chronique d’une semaine « politique » avec beaucoup de «blancs»…

Les passes d’armes se multiplient entre le FLN de Benflis et les partisans de Bouteflika. L’ancien chef de gouvernement s’est assuré et a signifié sa « candidature » via un texte léonin du conseil de coordination du parti. Politiquement et médiatiquement, la candidature de Benflis est consacrée mais on conserve un lien très tenu avec le formalisme juridique en évitant d’annoncer franchement ce qui est officiellement du ressort du congrès. Cela s’appelle dans le langage classique du FLN un verrouillage préalable du congrès extraordinaire. Le seul vrai argument opposable par l’équipe de Benflis n’a rien à voir avec la démocratie et il consisterait à dire que « cela s’est toujours passé ainsi ». C’est juste mais cela réduit à sa plus simple expression les notions de « rénovation » et de démocratisation du parti. Il est en tout cas clair que les opérations de basses politiques menées à coup de gourdins et d’instruments contondants autour des mouhafadhas ont fait long feu et ont globalement eu pour effet de resserrer les hommes de l’appareil autour de Ali Benflis. Ceux-ci d’ailleurs semblent avoir décidé d’ignorer Abdelkader Hadjar en le gérant par une procédure judiciaire pour concentrer leurs attaques sur le ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni. Dernière escarmouche en date, la polémique autour du retard de la loi communale que le ministre semble imputer à l’ancien chef de gouvernement, ce qui a fait rugir de colère le FLN. Les indiscrétions sur le fonctionnement délétère du gouvernement, les « misères » que l’ont fait aux ministres du FLN sommés de rester dans leurs bureaux se sont multipliées ainsi qu’une menace de démission collective de ces ministres « benflisiens ». Le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia semble, pour l’instant, épargné par cette contre-attaque du FLN qui est concentrée sur le ministre de l’Intérieur. La passe d’armes risque de s’amplifier sachant que ce ministre aura s’il est toujours en poste et par impératif de fonction, la tâche de gérer les élections présidentielles. Dans la « famille naturelle » du pouvoir, incarnée par Bouteflika et Benflis, tout se passe comme si la présidentielle de 2004 va se jouer exclusivement dans la « maison » et que les candidats « extérieurs » ne vont être que des comparses. Certains « inquiets » ne manqueront de rappeler qu’une configuration similaire a existé en 91. Les candidats du FLN dirigé par M Mehri subissant à l’époque les vexations de l’administration dirigée par Sid-Ahmed Ghozali qui, avec l’aide de l’ONM, a suscité des candidatures «indépendantes» avec pour seule conséquence une amplification du score du FIS. Et justement, celui-ci, même sans existence organique légale, risque d’être l’intrus dans un jeu que l’on croyait balisé.

Au lendemain du premier tour des élections législatives de décembre 1991, un brillant candidat du FIS au niveau d’Alger Centre avouait que « l’on ne sait que faire, ni par ou commencer ?». L’arrêt du processus électoral, quelques jours plus tard, rendit la question caduque mais a ouvert d’autres chapitres avec d’autres problèmes graves. Plus d’une décennie plus tard, à quelques jours de la libération de Ali Benhadj et de Abassi Madani dans un climat politique marqué par l’âpreté des luttes de clans au sein de la nomenklatura du régime, on se pose encore la question : que vont-ils faire ? Personne n’a encore de vraie réponse à cette question. Ce qui est sûr est que le FIS n’aura pas une existence organique ou juridique et que ni Abassi Madani, ni Ali Benhadj ne seront candidats aux présidentielles. Autre fait certain : les deux hommes ont, en cas de jeu électoral ouvert, la capacité de peser lourdement sur le cours des élections. Tous ces paramètres réunis sont constitutifs d’une voie possible qui évite la confrontation avec le pouvoir. Cette voie devait être celle de la mouvance islamiste avant la création du FIS. La plupart des leaders islamistes s’étaient à l’époque rassemblés dans le cadre de la ligue de la Daawa islamique sous la direction de Cheikh Ahmed Sahnoun. Elle devait fonctionner comme une sorte de groupe de pression – et non comme un parti – capable de peser lourdement aussi bien dans le choix des hommes que des politiques à mettre en oeuvre. Ce projet initial a été contrecarré par l’annonce de la création du FIS qui a poussé d’autres leaders islamistes à créer leur propre mouvement. Aujourd’hui, Ali Benhadj et Abassi Madani se retrouvent – s’ils veulent influencer le cours des choses – contraints à revenir d’une manière ou d’une autre au choix initial de la Rabita. Qui vont-ils soutenir dans la première bataille à laquelle ils assisteront en hommes libres ? C’est la vraie bonne question. Les jeux sont d’autant plus ouverts que les deux hommes ne doivent rien à Bouteflika dès lors qu’ils ont accompli la totalité de leur peine. Le choix parait logiquement restreint à Abdallah Djaballah et à celui, plus probable et plus sûr, de Ahmed Taleb Ibrahimi. Le président sortant ne peut de ce fait tabler électoralement sur les islamistes qui ont d’autres choix possibles. Pas même sur celui du MSP où les luttes discrètes pour la succession de Mahfoudh Nahnah risquent de s’amplifier et d’empêcher le parti de s’aligner sur un candidat du pouvoir comme il l’a fait en 1999. Mais globalement, le paysage de la mouvance islamiste parait moins contrasté et conflictuel que celui des autres courants.

Les « désordres » dans la famille du pouvoir inquiètent selon toute vraisemblance Ahmed Ouyahia qui lui ne semble pas dans l’urgence électorale. Devant le conseil national du RND, il a exprimé son agacement devant les « jeux de pouvoir » surtout qu’ils ont la fâcheuse manie de venir parasiter son affaire du moment, l’offre du dialogue avec les arouchs. A mots couverts, il a accusé certaines « parties » d’être animées par des ambitions de pouvoir au détriment de l’intérêt national et d’une sortie de crise dont la Kabylie a intérêt. L’exigence d’une reconnaissance préalable par voie de communiqué ou de discours présidentiel de la plate-forme d’El-Kseur bloque le processus. Bouteflika qui a intérêt à apaiser la région pourrait cependant considérer que ce préalable est un piège politique qui sans lui valoir un regain de popularité en Kabylie lui en ferait perdre ailleurs.

Ouyahia n’est pas loin de penser que ces « parties » en question ne sont animées que par cette volonté de tailler des croupières au président. Une partie des arouchs – travaillée par le RCD qui semble prêt à entrer dans la bataille des présidentielles avec Said Sadi comme candidat d’un « pôle démocratique » plus virtuel que réel – semble préférer le statu quo actuel jusqu’aux présidentielles. La tendance à l’exigence du « préalable » semblait se confirmer hier soir.

Le processus du dialogue risque d’être bloqué au grand dam d’Ouyahia, « homme d’ordre », qui sait que dans la présidentielle il n’y a qu’une seule circonscription électorale et que la Kabylie, malgré son importance, risque de ne pas peser lourd dans la balance.

K. Selim