Les archs et le dénouement de la crise
LES ARCHS ET LE DÉNOUEMENT DE LA CRISE
Le dialogue n’est plus un tabou
El Watan, 8 juin 2003
La crise de Kabylie a tout l’air de s’engager sur une nouvelle trajectoire à la faveur de l’offre de dialogue faite par le chef du gouvernement et les réactions peu hostiles pour une fois des archs.
L’étape du rapprochement semble en tout cas amorcée même si l’on est encore loin de conclure au début de la fin d’une confrontation qui a trop duré et surtout trop coûté à la région. Les dernières réunions des coordinations de wilayas des archs ont en effet consolidé la tendance vers l’assouplissement des positions vis-à-vis de l’option du dialogue dégagée par les avis dispersés des délégués au lendemain direct du fameux discours de M. Ouyahia. Les pronostics donnant une remontée en puissance des propos entiers et intransigeants caractéristiques des conclaves des archs se sont plantés, et c’est une approche empreinte de pragmatisme et d’ouverture qui fut globalement privilégiée. Les préalables posés à toute souscription à la démarche proposée par le pouvoir, exhibés dans le passé récent comme autant de preuves sur la mauvaise foi des gouvernants, sont désormais formulés en balises à même de tracer la voie vers la table des négociations. Il est ainsi relevé que tout processus de règlement ne peut être sérieusement envisagé sans la libération des détenus, l’annulation de toutes les procédures judiciaires engagées contre les militants du mouvement et la levée de l’interdiction qui touche les activités publiques des archs. D’autres voix soulèvent, quant à elles, la question des édiles locaux et députés dégagés par les deux rendez-vous électoraux voués au rejet par les archs, il est ainsi revendiqué que les assemblées communales soient dissoutes et que les mandats ayant échu aux «députés Taïwan» soient annulés. Rien de moins. Reste que ces positions, formulées lors des débats en plénière, n’ont pas été retenues dans la déclaration finale du conclave de la CICB par exemple où les rédacteurs ont manifestement priviliégié un ton des plus modérés comparativement du moins à la littérature précédente de la structure. Voilà qui marque, selon plusieurs observateurs, la fin du tabou qui a, jusqu’ici, frappé la notion du dialogue, érigé en bouclier par les archs pour déjouer les «manœuvres du pouvoir». Du moins, c’est ici la substance de l’argumentaire de refus maintes fois réitéré par le mouvement. A en croire les déclarations faites par le président de la République à la tribune de la conférence de presse organisée dernièrement en marge de son déplacement à Strasbourg, le problème des détenus sera prochainement réglé, l’on ne sait si la libération interviendra en amont ou en aval du processus proposé par M. Ouyahia, mais il est clair que la mesure ne peut être que prévue dans l’approche globale préconisée par le pouvoir, même si du côté du mouvement il n’est aucunement question d’accepter un «chantage» par les détenus, comme le réaffirment les préalables posés. A la décharge des animateurs des archs, il est en effet peu crédible pour la dyamique de protestation d’adhérer à une démarche de règlement de la crise sans la mise en liberté préalable d’animateurs emprisonnés pour leurs activités au sein du mouvement. Des analystes soutiennent à ce propos que les détenus n’ont plus beaucoup de temps à passer en prison et prédisent un geste du président de la République dans moins d’un mois, soit à l’occasion du 5 Juillet prochain, anniversaire de l’Indépendance. D’autres sont plus optimistes puisque avançant des dates de dénouement plus immédiates, du moins pour les prévenus devant comparaître les prochains jours devant le tribunal. L’on soutient en tout cas que le pouvoir qui a fait le grand effort du discours laudateur de M. Ouyahia et la reconnaissance de la Coordination des archs comme interlocuteur exclusif sur la question ne peut pas avoir fait l’économie d’une mesure en direction des détenus.
Par M. Slimani
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La population reprend espoir
Un nouveau climat politique prévaut en Kabylie depuis une semaine. La sortie de crise paraît possible et l’espoir est perceptible chez le commun des citoyens de la région.
Pour la première fois, jeudi dernier à Azazga, le conclave de la CADC n’en était pas un. Une ambiance particulière qui était plus expressive que la déclaration qui allait sortir de la rencontre des délégués. Jeudi soir, la porte de l’ex-église d’Azazga ne s’était pas refermée sur les joutes des délégués. La crise de Kabylie connaît un véritable tournant ces derniers jours où l’ont voit les efforts emprunter la voie de la reconstruction et de la levée des barrières psychologiques qui barrent la route, dans tous les sens du terme, à l’activité économique et sociale dans la région. Dans sa déclaration transmise hier, la CADC écrit que «le mouvement citoyen n’a jamais cultivé de tabou par rapport au dialogue qui est effectivement une vertu (…)». Tout en notant une «évolution dans la forme du discours du pouvoir», les archs réajustent en fait leur propre démarche adoptée depuis deux ans, excluant toute «négociation et toute prise de contact avec le pouvoir». Cette évolution positive dans les positions respectives des deux parties (pouvoirs publics et archs ) a suscité un véritable sentiment de soulagement et d’espoir au sein de la population, laquelle ne veut pas se résoudre à la fatalité de la crise et de la paralysie endémique frappant la région depuis deux ans. Les délégués des archs, en faisant une déclaration sans fioritures hier, donnent l’impression d’avoir clairement perçu l’attente profonde et les préoccupations des citoyens aspirant à un retour à une vie normale. Les délégués ont donc écrit : «Par fidélité au principe du respect de la population qui a mandaté les délégués, une large concertation avec la base citoyenne, seule habilitée à se prononcer sur des questions de principe engageant l’avenir du mouvement citoyen, s’impose pour aboutir à une réponse à la hauteur des enjeux et des défis de l’heure.» Pour les délégués, l’heure est donc grave et la décision à prendre est déterminante. Le retour à la concertation avec la population augure d’un développement de la situation dans le sens du règlement de la crise, puisque ce qui est recherché à travers cette démarche de «concertation avec la base» est de casser les carcans et les positions de principe définitifs dans lesquels se sont enfermés jusqu’ici les délégués. Le déclic est venu du discours du chef du gouvernement, dont on croirait que la mission première est finalement de régler la crise de Kabylie. Une crise qui a chamboulé la vie institutionnelle nationale et dont l’évolution menace l’avenir économique et socio-politique de la région. Devant l’APN, Ouyahia a usé de tout son pouvoir de persuasion et a, selon les observateurs, redonné son sens au principe du «réalisme politique». L’argument déterminant du chef du gouvernement est d’avoir politiquement «réhabilité» les archs en les mettant en position d’interlocuteurs légitimes et crédibles. Ouyahia avait déclaré : «Au mouvement des archs, j’adresse un salut car si ce mouvement a porté des revendications et s’il s’est engagé dans la contestation parfois même violente, il n’a cependant jamais porté atteinte à l’essentiel, l’attachement à l’Algérie, l’attachement à l’unité nationale.» En décodé, Ouyahia aura en quelque sorte dit : «Assumons tous nos erreurs, mais nous sommes condamnés à trouver une solution.» Les premières «salutations» d’Ouyahia étaient en effet allées à la population de Kabylie, à qui il a exprimé sa «préoccupation devant la persistance de cette crise qui paralyse la région et qui pèse sur la Patrie» ». La gravité et la solennité de cette intervention devant l’Assemblée nationale a produit une sorte d’électrochoc dans la région que l’on craignait durablement plongée dans la morosité et le désespoir. Abandonné par les délégués des archs, le discours politique figé est repris par les partis politiques. Avant même que la dynamique de sortie de crise ne s’enclenche, les formations politiques donnent déjà l’impression d’être dépassées par les évènements. Tandis que le RCD insiste sur un ensemble de préalables, déclarant que cette initiative «même tardive» aurait gagné en crédibilité si elle avait été précédée d’ «un minimum de gestes relevant de la seule volonté du pouvoir», le FFS, lui, campe sur sa quête d’une solution politique globale et nationale. Le secrétaire fédéral du FFS, que nous avons contacté hier a indiqué que «tout ce qui se cogite ces derniers temps, y compris l’appel au dialogue, est en relation avec la perspective de l’élection présidentielle». C’est la thèse de la «manœuvre», qui était chère aux …archs.
Par D. Tamani
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Après l’invitation au dialogue du chef du gouvernement aux archs
Les délégués temporisent
Les travaux du conclave extraordinaire de la CADC tenu vendredi dernier à Azazga n’ont finalement pris fin que dans la matinée d’hier (samedi), sans toutefois que les délégués ne prennent une décision claire quant à l’invitation d’Ouyahia.
Plus de dix heures de débats ont été consacrées à l’opportunité de répondre favorablement ou non à l’appel au dialogue lancé par le chef du gouvernement en vue de régler la crise. A travers une déclaration, en guise de réponse à cette offre, les délégués de la CADC affirment vouloir d’abord se concerter avec leur base avant de trancher la question. Tout en prenant acte «de l’évolution au niveau de la forme dans le discours du pouvoir à travers cette offre qui tranche avec toutes les précédentes invitations biaisées et empreintes d’ambiguïté et de langue de bois», les rédacteurs de la déclaration s’interrogent sur le crédit à donner à une offre jugée en déphasage avec «la réalité amère du terrain». Une réalité faite d’emprisonnement, de harcèlement judiciaire et de répression, selon les délégués, qui considèrent qu’au-delà de l’effet d’annonce, aucune volonté de régler définitivement et pleinement la crise n’est perceptible. Pour eux, la crise de confiance qui existe entre les gouvernants et les gouvernés fait que toutes les démarches politiques du pouvoir sont suspectes, quand bien même elles seraient de bonne foi. Ils estiment que du moment que le chef du gouvernement a, dans son discours, annoncé que les revendications du mouvement citoyen ont été substantiellement satisfaites, il s’agit d’un appel à «un dialogue préalablement balisé». Ainsi, les représentants de la quarantaine de coordinations présents au conclave d’Azazga, en évoquant le principe du retour à la base pour toutes les questions qui engagent l’avenir du mouvement, et en précisant que le mouvement ne cultive aucun tabou sur le dialogue, veulent prendre le temps d’analyser et de débattre encore un peu plus l’offre qui leur a été faite. Contrairement aux autres coordinations de wilaya (Béjaïa et Bouira), la CADC temporise tout en sachant qu’il faut arrêter une position claire à soumettre à l’Interwilayas le week-end prochain à Amizour, ce qui laisse supposer l’existence d’un fossé entre les pour et les contre le dialogue parmi les délégués de la CADC. Sur ce, il n’est pas exclu qu’un autre conclave soit convoqué pour faire la «synthèse» du débat à la base, ce qui risque de retarder la décision finale du mouvement des archs dans son ensemble. D’autre part, les délégués présents à Azazga ont décidé de faire de la journée du 14 juin (deuxième anniversaire de la marche historique d’Alger) une journée de recueillement, et de poursuivre la campagne de solidarité avec les sinistrés du tremblement de terre. A signaler enfin que le quartier des Genêts a connu hier encore quelques troubles, lorsque des jeunes ont barricadé la route de l’hôpital en début d’après-midi, pour la troisième journée consécutive, en réaction à l’interpellation mercredi dernier de deux frères d’un délégué de Tizi Ouzou.
Par M. H.