Vers une ouverture du jeu politique et électoral ?

APRES LES DECLARATIONS DU GENERAL LAMARI SUR LA NEUTRALITE DE L’ARMEE

Vers une ouverture du jeu politique et électoral ?

El Watan, 17 janvier 2004

Le général de corps d’armée Mohamed Lamari, qui se confiait vendredi à la presse nationale en marge de la cérémonie officielle de remise des objets de l’Emir Abdelkader au musée du Moudjahid, présidée par le président Bouteflika, va sans nul doute relancer le débat sur la position de l’ institution militaire par rapport à la prochaine élection présidentielle.

Le général Lamari a entrepris avec ce nouveau contact avec la presse, qui intervient après la publication il y a peu dans les colonnes de l’organe central de l’Anp El Djeich d’une instruction appelant les éléments de l’Anp à observer une stricte neutralité dans le débat politique en cours, de clarifier certaines des récentes déclarations qu’il estime mal comprises. Tout d’abord, cette petite phrase qui avait fait l’effet d’une douche froide dans les milieux démocrates et par laquelle il avait assuré que l’armée respectera le choix du peuple lors de la prochaine échéance électorale même si l’heureux candidat s’appellerait Djaballah. Des propos qui ont été triomphalement salués par le courant islamiste et vite interprétés par d’ autres milieux politiques comme un signe patent annonciateur de la mise en place d’un système politique à la turque. Le général Lamari, qui semblait souhaiter plus que les journalistes cette rencontre avec les médias pour lever les équivoques nées de ses déclarations antérieures, a précisé que l’ armée demeure plus que jamais attachée à une position de stricte neutralité concernant la prochaine échéance électorale et qu’elle ne sponsorisera aucun candidat. Le message est destiné d’abord aux islamistes, et particulièrement à Djaballah qui s’était empressé de donner une signification et une fausse interprétation politique aux propos de Lamari en laissant entretenir le doute qui inclinerait à penser que l’armée s’est positionnée sur la base d’ une réalité politique qui consacrerait le mouvement El Islah comme la première force politique. Le rappel par le général Lamari de l’engagement de l’armée à respecter et à faire respecter l’ordre républicain par l’ensemble de la classe politique, et principalement par le courant islamiste qui serait tenté par l’aventure de remettre en cause les acquis démocratiques du peuple algérien, vient opportunément remettre les pendules à l’heure. L’ engagement de l’armée, réitéré par son chef d’état-major, de demeurer à l’ é cart des joutes politiques est également destiné à tous les autres candidats qui attendent de l’institution militaire sinon d’être adoubée par elle, à tout le moins d’intervenir pour faire barrage à la candidature et à l’élection de Bouteflika ou à la neutralisation d’autres candidats, selon la position et le camp dans lequel se trouve chaque candidat. Il est vrai que, par le passé, l’armée avait prêté le même serment de rester dans ses cantonnements comme elle l’avait fait encore lors de la dernière élection présidentielle, un serment qui ne sera jamais respecté comme l’a reconnu publiquement le général à la retraite Khaled Nezzar, qui a confirmé officiellement ce qui était de notoriété publique, à savoir que Bouteflika ne serait jamais arrivé à la Présidence de la République sans le soutien de l’armée. Qu’est-ce qui a changé donc dans le système politique algérien d’ aujourd’hui pour croire que l’armée est réellement soucieuse d’inscrire désormais son action dans le cadre des missions républicaines qui lui sont dévolues par la Constitution et de se soustraire définitivement au jeu politique qui avait fait d’elle le premier parti politique dans le pays, même à l’ère du pluralisme ? La clarification de Lamari sur la neutralité de l’institution militaire renvoie dos à dos les différents candidats, en même temps qu’elle fausse les plans et les calculs de certains candidats qui ne désespèrent pas de voir leur nom figurer sur les tablettes et les scénarii de l’armée. Scénarios : le général Lamari a lâché le mot devant les journalistes révélant que l’armée travaille sur des options qu’elle ne pourrait pas rendre publiques pour des raisons évidentes. Cette confession va sans nul doute donner du grain à moudre à certains candidats pour prendre en défaut le général Lamari quant à ses déclarations sur la neutralité de l’ armée. De tous les autres candidats, c’est sans conteste Bouteflika, et à un degré moindre Benflis, dont certaines informations laissaient croire qu’il avait le soutien de certains hauts officiers de l’Anp, qui devraient le plus méditer la sortie médiatique de Lamari. Bouteflika semble tellement avoir bien compris depuis plusieurs mois déjà son lâchage par l’armée qu’il a prestement changé de monture en cherchant d’autres soutiens de substitution qu’il semble avoir trouvé en mobilisant à son profit, pour sa réélection, l’ administration et les finances publiques qu’il distribue généreusement lors de ses sorties dans les wilayas pour tenter de capter l’électorat. Certains observateurs s’interrogent si Bouteflika, qui est à présent prévenu qu’il ne doit compter que sur lui-même, ne serait pas tenté de faire payer au général Lamari sa liberté de parole et la remise en cause du mariage de raison qui le liait à l’institution militaire en le limogeant. Le risque d’une crise politique et institutionnelle d’une telle option est tellement grand qu’on voit mal Bouteflika franchir ce pas, d’autant qu’il ne veut pas insulter l’ avenir en se mettant à dos l’armée.

Par S. Bensalem

 

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«Nous sommes concernés»

Dans une déclaration rapportée jeudi par les quotidiens El Khabar et Le Matin, le chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Mohamed Lamari, a affirmé que «l’armée n’a jamais été et ne sera pas neutre dans les affaires qui engagent le devenir du pays».

En marge de la visite du président de la République au musée de l’Armée à Alger, mercredi 14 janvier, le général Lamari a clarifié la vision de « neutralité» de l’armée par rapport à la prochaine élection à la présidentielle. «Nous suivons de près l’évolution de la scène politique parce que nous sommes concernés en tant qu’institution de la République. L’ armée n’est pas partie prenante et ne veut pas se mêler du jeu politique actuel», a-t-il précisé. Selon lui, l’armée veillera au respect de «l’ordre républicain» et du «pluralisme politique». «Toute personnalité politique investie des prérogatives de président de la République qui compte attenter à l’ordre républicain, remettre en cause le pluralisme politique, tenter un réaménagement constitutionnel à la mesure de sa personne ou mépriser la société et le peuple trouvera l’armée devant elle», a-t-il menacé. Interrogé sur l’initiative du groupe des 11, signataire mardi 13 janvier d’une déclaration exigeant le départ du gouvernement accusé de préparer la fraude en faveur d’un second mandat pour Bouteflika, le général Lamari a répondu que «le jour viendra où on se prononcera sur cette question». Le groupe des 11 n’en est qu’à ses balbutiements, selon le chef d’état-major, qui préconise de «laisser les choses arriver à maturation». «Lorsque ces acteurs politiques poseront concrètement les problèmes, nous étudierons leurs doléances», a-t-il ajouté. Pour que l’armée intervienne afin de garantir des é lections honnêtes et prévenir une fraude éventuelle, il faudra, selon lui, qu’un consensus de l’ensemble de la classe politique soit établi. «Ceux qui ont demandé à l’armée de revenir dans les casernes sont les mêmes qui demandent aujourd’hui son intervention dans le champ politique», a-t-il dit. Evoquant l’éventualité d’une réédition du scénario de la présidentielle de 1999 lorsque les six candidats s’étaient retirés, laissant Bouteflika seul dans la course, le général Lamari a estimé qu’un remake donnerait lieu à une é lection présidentielle «non crédible». «Nous avons étudié tous les scénarios, que nous ne pouvons pas rendre publics, et nous demeurons toujours vigilants par rapport à ce qui se passe dans le pays», a-t-il encore déclaré.

Par Monia Zergane

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CONJONCTURE

Tout, sauf le putsch

Honni soit qui mal y pense : serait-ce la réponse du chef d’état-major de l’ ANP aux voix insistantes qui ont estimé réunies les conditions psychologiques d’une irruption violente de l’armée dans le champ politique algérien ? La mise au point du général Lamari, même dite sur le ton de la boutade («On ne va tout de même pas nous demander d’enlever le président Bouteflika» !), ne s’en veut pas moins une réaffirmation des limites constitutionnelles des missions de l’armée algérienne et dont l’une se trouve être précisément la défense de la Loi fondamentale qui consacre le caractère républicain de l’Etat.

Les quelques flèches décochées au passage par le général en direction des mêmes qui demandaient naguère le retour de l’armée dans les casernes et ont porté contre elle des accusations abominables sont peut-être destinées à souligner davantage la permanence de la mission de l’institution militaire qui ne pourrait, de ce fait, adapter chaque fois sa position à des desiderata partisans ou politiques conjoncturels. Sauf que s’agissant de la prochaine élection présidentielle, dont l’enjeu est déterminant pour la stabilisation générale du pays et de la vie politique, le chef d’état-major ne prend pas de haut la demande de garanties sérieuses contre la fraude allant jusqu’à inviter le groupe dit des «10+1» à mieux préciser ses propositions, car, d’après lui, sa déclaration du 12 janvier dernier en est encore au stade de la «besmala». Faisant d’une pierre plusieurs coups et non deux seulement, le général Lamari a aussi délivré un message aux partenaires é trangers de l’armée algérienne, notamment les Occidentaux qui n’ont jamais fait mystère de leur intérêt soutenu pour les évolutions, souvent contrariées, de l’Algérie. Soucieux de donner de lui l’image d’un légaliste jusqu’au bout des ongles, il n’a certainement pas sacrifié à un simple rituel protocolaire en accueillant personnellement le président de la République au musée de l’Armée, ce mercredi, pour une cérémonie des plus ordinaires. C’est que la rumeur donnait les deux hommes en froid, et leur mésentente aurait atteint un point tel que le général ne se rendait plus à l ’ aéroport, depuis quelque temps, pour les salutations d’usage lors des départs et arrivées du chef de l’Etat. D’ailleurs, il est à se demander si cette cérémonie n’a pas été organisée uniquement dans le but de les faire se rencontrer et de montrer devant les caméras que les institutions fonctionnent normalement, chacune de leur côté. Le légalisme de la hiérarchie militaire signifierait alors, dans ce cas de figure, que si celle-ci n’a pas de préférence pour un candidat, fut-il le président sortant, elle n’a pas non plus d’a priori contre lui. De ce point de vue, la clarification du chef d’état-major était donc destinée autant à l’intérieur qu’à l’extérieur et peut être ainsi résumée : «tout, sauf la tentation putschiste».

Par A. Samil